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LETTRE II.

Il est vrai, monsieur, que j'allai à Bruxelles l'automne dernière; mais ce voyage fut si imprévu et si précipité, que je n'aurois pu vous en avertir à temps. Dieu sait quelle joie j'aurois eue de vous voir et de vous entretenir. Je ne connois point assez les éditions de saint François de Sales, pour pouvoir dire quelle est la meilleure; il y en a un grand nombre: il faudroit se donner la patience de les comparer toutes en détail, et de choisir sur chaque morceau celle qui se trouveroit la plus ample et la plus exacte. Vous savez qu'il y a dans l'ancienne édition de Lyon un dix-huitième entretien qui n'est pas ailleurs. Je suis ravi de voir que vous aimiez tant ce bon saint. Si les protestants le lisoient, il leur ôteroit peu à peu leurs préventions contre l'église romaine; sans raisonner, il instruit plus que tous les savants qui raisonnent. On goûte en lui la bénignité du Sauveur, la douceur et la modestie de Jésus-Christ. Il fait sentir que l'église qui porte de tels saints n'est pas stérile; et qu'elle est encore, selon la promesse, pleine de l'esprit des premiers siècles.

L'estime et l'amitié que j'ai pour vous, monsieur, m'engagent à demander souvent deux choses à Dieu; souffrez que je vous le dise ici. La première est qu'il vous fasse la grace de rendre à la véritable église visible ce qui lui est dù. Ce n'est pas assez de l'aimer, de l'estimer dans votre cœur, de ne lui point imputer les excès d'autres lui imputent, et de trouver de la consola-›

que

n'est

à

tion à participer à son culte quand vous le pouvez : il n'a jamais été permis de scrtir de son sein si elle pas idolâtre, et il n'est pas permis de retarder y rentrer si cette idolâtrie est imaginaire. L'esprit du Sauveur est un esprit de paix, d'amour et d'union; il a voulu que les siens fussent consommés dans l'unité : il ne s'est pas contenté d'une unité intérieure et invisible, il a voulu une unité intérieure et extérieure tout ensemble: en sorte que ce fût à ce signe visible et éclatant qu'on reconnût ses vrais disciples. Ainsi, malheur à ceux qui se séparent, ou qui demeurent séparés de la tige qui porte la sève dans toutes les branches. Malheur à ceux qui partagent en deux ou qui laissent dans la division ce que Jésus-Christ a voulu faire un. Remarquez, s'il vous plaît, que les plus grands saints et les écrivains de la vie intérieure, qui ont eu les plus touchantes marques de l'esprit de grace, étoient, comme saint François de Sales, dans la communion romaine, et prêts à mourir plutôt que d'en sortir. Les ames humbles et pacifiques, qui ne vivent que de recueillement et d'amour, sont toujours petites à leurs propres yeux; et ennemies de la contradiction; elles sont bien éloignées de s'élever contre le corps des pasteurs, de décider, de condamner, de dire des injures, comme Luther et Calvin en ont dit d'innombrables. Leur style n'a rien d'âcre ni de piquant ni de dédaigneux. Ils n'entreprennent point une réforme sèche, critique et hautaine, qui aille à rompre l'unité et à soutenir que l'époux a répudié l'épouse. S'ils voient quelque abus ou quelque superstition dans les particuliers, ils en gémissent avec douceur et le gémissement de la colombe est toujours discret et modeste; elle ne gémit que par un amour

tendre et paisible. Alors de telles ames gémissent en secret avec l'épouse, loin de pousser des cris scandaleux contre elle. Elles n'élèvent jamais leurs voix dans des disputes présomptueuses, elles ne disent point que l'église s'est trompée pendant divers siècles sur le sens de l'écriture, et qu'elles ne craignent point de se tromper en expliquant le texte sacré contre la décision de cette ancienne église au contraire, ces ames sont dociles et toujours prêtes à croire qu'elles se trompent; leur cœur n'est qu'amour et obéissance. Les dous intérieurs, loin de leur inspirer une élévation superbe et un sentiment d'indépendance, ne vont qu'à les anéantir, qu'à les rendre plus souples et plus défiantes d'ellesmêmes, qu'à leur faire mieux sentir leurs ténèbres et leur impuissance, enfin qu'à les désapproprier davantage de leurs pensées. O combien ont-elles horreur du zèle amer et de tous les combats de paroles! Au lieu de la dispute, elles emploient l'insinuation, la patience et l'édification; au lieu de parler de Dieu aux hommes, elles parlent des hommes à Dieu afin qu'il les touche, qu'il les persuade et qu'il fasse en eux ce que nul autre n'a pu faire. L'oraison supprime toutes les disputes. Dans la véritable oraison personne n'abonde en son sens, chacun fait taire sa propre raison. C'est l'esprit d'oraison qui est l'ame de tout le corps des fidèles; c'est cet esprit unique et commun qui réuniroit bientôt à l'église mère toutes les sectes, si chacun, au lieu de disputer, se livroit au recueillement. D'un côté, voyez la pure spiritualité de saint François de Sales; de l'autre, voyez ses principes sur l'église dans ses controverses : c'est le même saint qui parle avec l'onction du même esprit de vérité dans ces deux sortes d'écrits. Tels sont

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ces aimables saints qui ont été nourris et perfectionnés dans le sein de l'église mère. Ne voulez-vous pas être de leur communion, et aimer comme eux la mère qu'ils ont si tendrement aimée? Il faut devenir comme eux simple et petit enfant pour sucer le lait de ses mamelles ; le lait qui coule, c'est l'esprit d'amour et d'oraison 1; l'esprit d'oraison et l'esprit d'unité sont la même chose. Cherchez tant qu'il vous plaira hors de cette sainte unité, vous n'y trouverez guère que des cœurs hautains, contentieux et desséchés; vous y trouverez des docteurs secs et éblouis de leur science, qui languissent sur des questions sans fin, et qui s'évaporent dans leurs propres pensées; vous y trouverez des pratiques exactes et sévères en certains points de discipline; vous y trouverez l'horreur de certains vices grossiers; vous y trouverez une attention curieuse au sermon, et un chant de psaumes qui excite l'imagination, avec des prières où les paroles arrangées et multipliées frappent les auditeurs mais vous n'y trouverez point cette oraison toute intérieure qui a fait chez nous tant de grands saints. Il est vrai que vous remarquerez chez nous beaucoup de docteurs vides de Dieu et pleins d'eux-mêmes, beaucoup d'ignorance et même de superstition dans les peuples; mais la vraie église n'est pas exempte de scandales. Il faut laisser croître le mauvais grain avec le bon jusqu'à la moisson, de peur qu'une réforme téméraire n'arrache le bon grain avec le mauvais, et qu'elle ne ravage au lieu de réformer. La vraie église est celle qui nourrit le pur grain mêlé avec l'ivraie, et qui tolère l'ivraie dans l'espérance que le Seigneur en séparera un jour lui-même le pur grain. Encore une fois, monsieur, ce n'est que dans l'église catholique que

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vous trouverez cette oraison que vous aimez tant, et qui vous donne un si grand attrait d'amour pour Dieu. Ailleurs on parle, on chante, on loue Dieu, on raisonne, on dispute, on exhorte, on fait des règlements: dans l'ancienne église, on se tait, on se rapetisse, on rentre dans l'enfance par simplicité, on se compte pour rien, on s'anéantit, on est l'holocauste d'amour. Le nombre de ces ames, dont le monde n'est pas digne, est petit, il est vrai; mais enfin il n'est que là. Comparez ces saints avec les réformateurs, et avouez la différence: il n'y a que l'unité qui porte de tels fruits.

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La seconde chose que je vous souhaite, c'est que vous marchiez dans la voie de pure foi, pour éviter toute illusion. Prenez garde que la plupart des ames qui s'imaginent marcher par cette voie n'y marchent point; on tient infiniment plus qu'il ne paroît aux expériences intérieures qu'on fait. Si on n'est en garde contre soi-même, on tend toujours insensiblement à chercher un appui et une certitude intérieure dans ses goûts, dans ses sentiments les plus vifs, et dans toutes les choses qui ont saisi l'imagination. On regarde son propre goût comme un attrait de grace, ses propres vues comme des lumières surnaturelles, et ses propres désirs comme des volontés de Dieu. On s'imagine que tout ce qu'on éprouve en soi est passif et imprimé dé Dieu par-là on se fait insensiblement à soi-même une direction intérieure fondée sur l'inspiration immédiate. Il n'y a plus ni autorité ni loi extérieure qui arrête et qui puisse contrebalancer cette inspiration. Voilà le danger du fanatisme pour les ames qui se croient désappropriées et transformées sans l'être : si elles l'étoient, leur véritable désappropriation les éloigneroit infini

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