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pas jusqu'à dire que Sénèque a été formellement proclamé chrétien par ce même Tertullien que nous citions tout à l'heure. La prétendue assertion de l'auteur de l'Apologétique à cet égard n'existe que dans l'imagination de ceux qui l'ont mise en avant. Il est facile d'en juger en relisant le texte sur lequel on la fonde: Ego miror Lucium, sapientem virum, repente factum christianum1. « Je ne conçois pas que le sage Lucius se soit ainsi tout à coup fait chrétien. » Pour des lecteurs non prévenus, et libres de tout esprit de contention, il n'y a rien qui se puisse appliquer à Sénèque

Hinc porrò Seneca quorumdam judi-
cio audacter annumeratus christia-
nis; cui rei probandæ miror homi-
nes adeò násutos nón produxisse hæc
Tertulliani, etc. Voici maintenant ce
qu'il dit dans son Codex apocryph. :
Fabulam de Seneca christianismo
confirmare etiam visa nonnullis sunt,
contrarium potiùs suadentia, Tertul-
liani verba..... ego Lucium, etc. Fa-
bricius ne nomme pas les auteurs
qui ont appliqué à Sénèque le pas-
sage de l'Apologétique. Cette inter-
prétation paraît appartenir à Mar-
guerin de La Bigue, qui argumente
en effet de l'Apologétique en faveur
du christianisme de Sénèque : Falsò
Seneca ad Paulum inscriptas episto-
las calumniatur Erasmus, cùm eum-
dem inter ecclesiasticos numeret Hie-
ronymus, et occultè christianum si-
guificet Tertullianus in apologia,
(Biblioth. veterum patrum, Lugd.,
1579, tom. II, p. 71. Linus, De
passion. B. Pauli, not. margin.). Or,
il n'y a pas, dans l'Apologétique,
d'autre trait que celui du § 3, d'où
l'on puisse induire que Sénèque a
été qualifié chrétien par Tertullien.
Cette interprétation est implicite-
ment adoptée par Laurent de La
Barre, dans son édition des œuvres

1

des Pères (Hist. christian. vet. Patrum, Paris., 1583, in-folio, p. 53), où il transcrit fidèlement la note marginale de Marguerin de La Bigue.

En niant que le passage de Tertullien puisse s'appliquer à Sénèque, je ne veux pas cependant dissimuler le rapprochement que l'on pourrait faire entre ces mots repentè factum christianum, et un passage de la lettre VI à Lucilius, où il exprime à son correspondant le désir de lui faire part du « changement soudain >> qui s'est opéré dans ses idées: Cuperem tecum communicare tam subitam mutationem. Ce changement soudain, pour qui aurait accepté l'interprétation en question, ne semblerait-il pas signifier la conversion soudaine insinuée par Tertullien? Au surplus, cette phrase, même isolée de celle de l'Apologétique, sera plus tard mise à profit avec la lettre VI toute entière parmi les inductions à l'appui du christianisme de Sénèque.

'Apologetic., 3.

Telle est la leçon de Rigault (Tertul., Paris, 1634, in-fo, p. 4), suivie par Havercamp (Apologet., in-8°, p. 37-38, not.). Les éditions antérieures lisaient Ego Lucium defero.

dans ce passage. Ici Lucius 1, de même que Seius dans une phrase qui précède, n'est qu'un de ces noms de convention usuellement employés pour la démonstration, dans les ouvrages de droit ou de dialectique, et correspondant à notre locution française un tel. De ce que Sénèque s'appelait Annæus Lucius, ce n'est pas une raison pour que ce dernier prénom tout seul, commun d'ailleurs chez les Romains; le désigne plutôt que tant d'autres qui s'appelaient aussi Lucius. Il ne faut donc pas tenir sérieusement compte de la citation de l'Apologétique, interprétée comme on l'a fait, et Tertullien reste seulement; d'après ce qui a été dit plus haut, le premier des écrivains ecclésiastiques qui ait observé dans les ouvrages de Sénèque des rapports avec la doctrine évangélique. De plus, en revenant à la périphrase que nous avons citée, le mot sæpè nous force à convenir avec l'abbé Greppo « que le grand apologiste ne croyait pas au christianisme de Sénèque *. »

IV.

Séneque chrétien dans ses écrits. — Morale, images et pensées empruntées au Nouveau-Testament.

Mais il est à propos d'entrer dans le détail des rapprochements qui ont été ou peuvent être faits entre les écrits

Les manuscrits ne sont pas même d'accord sur le nom de Lucius, que quelques-uns remplacent dans le texte par Gaius ou par Titius. Ce dernier nom est ajouté par d'autres comme appositif à celui de Lucius. C'est ainsi qu'écrit Havercamp (loc. cit). Ego miror Lucium Titium sapientem virum, etc. Il n'y aurait plus dès lors aucune amphibologie dont on puisse se prévaloir pour l'appliquer à Sénèque; mais je goûte peu cette variante; il faut, je crois, choisir entre Lucium et Titium, et supprimer l'un ou l'autre.

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de notre auteur et les Livres saints. Quoique le travail ne soit pas nouveau', le lecteur nous saura gré peut-être de remettre sous ses yeux, en même temps que les passages de l'Ecriture corrélatifs, celles des pensées de Sénèque dont la convenance avec nos idées religieuses a donné lieu aux remarques des Pères que nous venons de rapporter.

Pour commencer par la morale, on pourrait soutenir qu'il n'est aucune des vérités introduites dans le monde par la révélation, qui ne soit plus ou moins expressément acceptée par le précepteur de Néron. Et les notions même qui émanent de la philosophie naturelle, il les énonce souvent de manière à trahir la source sacrée où il les a plus. spécialement puisées. Si saint Paul définit la vertu «< une puissance supérieure à la puissance des rois, et à toutes les dénominations humaines ou célestes, » Et quæ sit superéminens magnitudo virtutis (divinæ)... Suprà omnem principatum et omne nomen quod nominatur non solùm in hoc seculo, sed etiam in futuro, notre sage l'appelle à son tour << un don sublime et royal, supérieur à toutes choses. » Altum quiddam est et excelsum et regale, invictum et infati

⚫ Quelques passages de Sénèque, correspondants à des passages de l'Ecriture, ont été colligés par Shoell dans son Histoire de la littérature romaine (tom. II, p. 446 et seq.). Du Rozoir en ajoute quelques autres à la fin du tome VII du Sénèque-Panckoucke, après avoir indiqué çà et là ces ressemblances dans le cours des notes publiées sur chaque livre. L'abbé Greppo (Trois mémoires, etc., p. 105 à 108), en reprenant le même travail, y a fait peu d'additions. Voir aussi la traduction anglaise des épîtres à Lucilius par Th. Morell, citée plus haut, et en un mot les ouvrages énumérés "dans la note 2 de la page 6.

Quant à Joseph Hall, que Fabricius (Bibl. lat., tom. II, p. 121) désigne comme l'auteur d'une collection de sentences Seneca-bibliques, insérées dans son prétendu Seneca christianus, on a déjà remarqué que cette désignation paraît inexacte, soit en ce qui concerne le titre, soit en ce qui concerne l'objet de l'ouvrage donné comme étant de cet auteur par le critique allemand.

2 Ephes. I, 19, 21. Je cite la traduction de la Vulgate, de préférence au texte. J'ai cru rendre les rapprochements de l'auteur latin plus faciles à saisir, en présentant les pièces de comparaison dans une même langue.

gabile'... nihil virtute præstantius. Il compare l'homme vraiment vertueux « au phénix qui n'apparaît sur la terre que tous les cinq cents ans. » Tanquam phœnix semel anno quingentesimo nascitur. Cette observation qu'il renouvelle ailleurs Rarò forsitan magnisque ætatum intervallis invenitur, a l'air d'une réminiscence de l'aphorisme évangélique « Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. » Multi vocati, pauci veró electi".

Plus loin, ce sont les expressions et les métaphores ellesmêmes qui coïncident. Une des particularités de la langue du Nouveau-Testament est l'image de l'ensemencement et de la récolte, pour figurer le développement des vices et des vertus dans le cœur de l'homme. Sénèque s'empare, sans la déguiser, de cette comparaison: Semina in corporibus humanis divina dispersa sunt, quæ si bonus cultor excipit, similia origini prodeunt... si malus... erunt purgamenta pro frugibus. « Des germes divins sont disséminés dans les corps des hommes: si le champ ainsi ensemencé échoit en partage à un bon cultivateur, il produit une moisson digne de la semence... sinon... au lieu d'épis, il ne produira que de mauvaises herbes. » En lisant ce passage, on se sent naturellement reporté aux paraboles du semeur, de l'ivraie et du bon grain, racontées par les Evangélistes. Bien mieux, la parabole du grain de sénevé et celle du semeur se retrouvent avec leurs principaux traits dans la lettre XXXVIII à Lucilius: Seminis modo spargenda sunt (verba), quod quamvis sit exiguum, cùm occupavit idoneum locum, vires suas explicit et ex minimo in maximos auctus effunditur... Pauca sunt quæ dicuntur; sed si illa animus bene exceperit, convalescunt et exsurgunt. Eadem est, inquam, præceptorum conditio, quæ seminum. Multum efficiunt, elsi

• De vitá beatâ, 7.
2 Ep. LXVII, in fine.
Ep. XLII.

De const. sapientis, 7.

5 Matth., XXII, 14.
6 Ep. LXXIII, in fine.

angusta sint: tantum idonea mens capiat illa el in se trahat. Multa invicem et ipsa generabit, et plus reddet quàm acceperit. « La parole ressemble à la semence; toute petite qu'elle soit, si on la répand sur un sol bien préparé, elle se développe avec force et prend des proportions considérables... Ainsi faibles sont les mots; mais si l'esprit les recueille, ils poussent et s'épanouissent. Les leçons du maître sont donc dans la même condition que les graines. Peu importe leur inconsistance, pourvu qu'elles soient recueillies par une intelligence apte à les recevoir : celle-ci fructifiera à son tour, et rendra plus qu'elle n'a reçu. » Dans l'Evangile la semetice « déposée en bonne terre, produit ici cent pour un, là soixante; là trente. » Alia autém ceciderunt în terram bonam, et dabant fructum áliud centesimum, aliud sexagesimum, aliud trigesimum'.-Et le grain de sénevě « la plus petite de toutes les semences, dépasse bientôt en grandeur les autres légumes, et devient un arbre, etc. » Quod minimum quidem est omnibus seminibus; cùm autem creverit, majus est omnibus oleribus et fit arbor, etc.

V.

Pa

Suite de la morale chrétienne de Séneque : du précepte Sequere Deum. renté entré Dieu et les hommes. - Traces de l'Oraison dominicale. La vertų persécutée en ce monde. Mortification de la chair. — Éloge de la

chasteté.

Rien de plus chrétien, au fond et dans la forme, que cette sentence de Sénèque : « Veux-tu te rendre les Dieux favorables, sois bon; c'est honorer les Dieux que de les imiter. » Vis Deos propitiare? bonus esto; satis illos coluit, quisquis imitatus est. Evidemment il dit cela d'après saint Paul Qui in hoc (justitiâ et pace), servit Christo, placet

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