Obrazy na stronie
PDF
ePub

L'exégèse ou critique biblique, ou, pour ne parler que de la branche qui en ce moment nous intéresse plus spécialement, l'exégèse ou critique du Nouveau Testament, n'est pas assurément une science nouvelle; elle a son point de départ dans l'antiquité; à bien dire, elle a commencé le jour où il s'est agi de comparer et de mettre d'accord, nous ne dirons pas quatre, mais simplement deux Évangiles, à plus forte raison l'ensemble des documents compris ou à comprendre dans le Nouveau Testament. Il suffit d'ouvrir l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe pour reconnaître quelle importance ces questions avaient déjà à la fin du I, et conservaient dans le cours du Ive siècle. Pour l'étude critique et comparative des Évangiles, en particulier, nous avons, dans l'ouvrage de saint Augustin sur la Concordance des évangélistes, écrit au commencement du y siècle, un monument précieux des progrès accomplis par l'ancienne exégèse chrétienne.

Toutefois, pendant les siècles du moyen âge, peu favorables, comme on sait, à la critique, le silence se fait sur ces questions. C'est seulement au XVIIe siècle que, de nouveau, elles se font jour dans les écrits de Spinosa, et c'est seulement dans le dernier quart du XVIIIe siècle, à la suite du vaste mouvement imprimé à l'esprit humain par la réforme et la philosophie, que la critique biblique prend en Allemagne son essor définitif.

Tandis qu'en France, par suite de la résistance du parti orthodoxe, la critique biblique, si brillamment inaugurée au temps de Louis XIV par un père de l'Oratoire, Richard Simon,

s'est trouvée réduite au silence, ou, pour mieux dire, complétement supprimée, en Allemagne la théologie protestante, fidèle au principe du libre examen posé par son fondateur, et protégée par ce principe, n'a pas craint de soumettre à la double lumière de l'histoire et de la raison tous les écrits qui composent l'Ancien et le Nouveau Testament; elle les a discutés, analysés, caractérisés. Et ainsi, tandis qu'en France, en l'absence de tout débat contradictoire, il n'est resté en présence que deux partis extrêmes, également absolus, l'un dans son affirmation, l'autre dans sa négation, l'un dans sa foi, l'autre dans son incrédulité, en Allemagne, sous l'influence d'un débat libre et consciencieux, la route s'est peu à peu frayée à l'établissement d'une foi en même temps rationnelle et dogmatique; l'accord s'est fait de plus en plus entre la science et la tradition, et tout s'est préparé pour un nouveau mouvement religieux, nonseulement plus pacifique, mais aussi plus vaste et plus fécond que celui qui a donné à la chrétienté la réforme du xvr° siècle'.

1. Hâtons-nous de reconnaître que le protestantisme français s'est, autant qu'il a été en lui, associé à ce grand travail. Sans doute, il n'a pu partager l'initiative de l'école allemande, lorsque, il y a bientôt quatre-vingts ans, celle-ci commença son entreprise. A cette époque, le protestantisme n'était pas même légalement toléré en France; son affaire n'était pas de discuter, mais de vivre. Plus tard, les commotions de la Révolution et de l'Empire, les luttes de la Restauration et de la monarchie de Juillet, furent peu favorables à l'étude des questions bibliques. Mais, après 1851, sous l'influence de l'Allemagne, un centre protestant se forma à Strasbourg, qui entreprit d'introduire en France, de développer, de compléter les résultats de la critique allemande. Il eut pour organe la Revue de théologie, publiée à Strasbourg, et, plus tard, trouva un précieux auxiliaire dans la Revue germanique. Les noms de MM. Colani, Reuss, Réville, Stap, Scherer, Michel Nicolas, Nefftzer, disent assez comment les rédacteurs de ces recueils s'acquittèrent de la

On n'attend pas de nous que nous retracions ici l'histoire de cette vaste élaboration. Nous renverrons ceux qui désireraient la connaître aux travaux spéciaux publiés en Allemagne sur ce sujet, mais particulièrement à un article inséré, en 1861, dans la Revue de théologie scientifique de Jena1 par le savant éditeur

tâche qui leur était confiée. Presque tous, d'ailleurs, ont publié, sur des questions de critique biblique, des travaux spéciaux d'une haute importance.

Ce mouvement a eu aussi un grand retentissement en Angleterre; la publication de l'ouvrage qui, sous le titre de: Essays and Reviews, produisit, il y a trois ans, dans ce pays, une si profonde sensation, plus récemment la publication du livre du très-révérend John William Colenso, évêque de Natal, sur le Pentateuque et le livre de Josué (The Pentateuch and the book of Joshua critically examined), en ont été les résultats les plus remarquables. Nous ne connaissons par nous-même aucun de ces deux ouvrages. Mais l'un et l'autre ont été l'objet d'articles extrêmement remarquables, publiés par M. Edmond Scherer dans la Revue des Deux Mondes; le premier, sous le titre : La crise du Protestantisme en Angleterre (15 mai 1861); le second, sous le titre : Confessions d'un missionnaire anglais (15 mars 1863). Nous citerons la conclusion de ce dernier article:

« Est-ce à dire que la religion puisse se passer d'une forme et d'un corps? La religion, ramenée à son essence, réduite à ses éléments mystiques, débarrassée de toute théologie, cette religion est-elle possible?... Je vais plus loin, et je me demande s'il n'est pas nécessaire que la religion se mêle à toutes les pensées de l'homme; s'il n'est pas de sa nature de pénétrer les sciences, les arts, la vie tout entière; si l'idée même de la religion n'implique pas qu'au lieu de rester isolée dans quelque recoin de notre être, réservée aux heures de la contemplation ou de l'abattement, elle doit devenir comme le levain qui fait lever toute la pâte, comme le principe de toute l'existence pour l'individu, de toute la civilisation pour la société. S'il en est ainsi, l'énergie en vertu de laquelle le christianisme s'est jadis incarné dans la société serait inséparable du sentiment religieux, et on pourrait admettre qu'il saura s'accommoder à un ordre de choses plus vaste, à une science plus sévère, à une morale plus généreuse, et qu'il finira par créer une Église où il y aura place pour les Jowett et les Colenso. >>

1. Die Evangelien-Forschung, nach ihrem Verlaufe und gegenwärtigen Stande, dans la Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie, 1. und 2. Heft, Jena. 1861.

de ce recueil, et que tout récemment l'auteur a refondu et développé dans une publication pleine d'intérêt'. Notons seulement que, dans ce grand travail de l'exégèse allemande, on reconnaît tout d'abord deux périodes bien distinctes.

La première, qui commence avec Lessing, et qui continue, à son point de vue spécial, l'œuvre du xvIIIe siècle; est particulièrement critique. Elle s'attache surtout à combattre cette doctrine de l'inspiration, que nous avons déjà mentionnée, et d'après laquelle tous les écrits qui composent le Nouveau Testament, et toutes les parties, sans exception, de ces écrits, seraient le résultat d'une révélation directe et littérale du SaintEsprit. Cette première période aboutit à la publication du livre de Strauss sur la vie de Jésus, dans lequel l'auteur, réunissant et opposant les uns aux autres, avec une merveilleuse puissance logique, les passages contradictoires renfermés dans les Évangiles, montre qu'ils sont foncièrement inconciliables, que par conséquent il est impossible d'y reconnaître ce que l'école orthodoxe prétend y voir : le résultat unitaire d'une inspiration divine 2.

Cependant l'argumentation de Strauss n'avait évidemment qu'une valeur négative. Toute-puissante contre le système de l'inspiration qu'elle combattait, elle n'allait pas au delà. Elle ne préjugeait rien contre ce qui pourrait être tenté d'ailleurs

1. Der Kanon und die Kritik des neuen Testaments, etc., von A. Hilgenfeld. Halle, 1863.

2. Das Leben Jesu, kritisch bearbeitet, von Dr D. F. Strauss. Tübingen, 1835 L'ouvrage a été traduit en français par M. Littré.

pour résoudre, par des voies différentes, les difficultés que soulève l'étude des Évangiles. Aussi, une fois passé le moment de stupeur causé par la publication du livre de Strauss, une nouvelle école apparut, qui entreprit d'élever sur des bases plus solides un édifice nouveau à la place de celui que ce rude démolisseur avait renversé. Cette école, dont le chef fut l'illustre Ferdinand-Christian Baur, et qui, du principal foyer de son activité, reçut le nom d'école de Tubingue, s'attacha surtout à substituer dans l'étude du Nouveau Testament, à l'ancienne théorie de l'inspiration, la doctrine d'un développement progressif et d'une influence historique. Baur s'efforça surtout de montrer, dans les divergences et les oscillations de la pensée chrétienne, telles qu'elles s'offrent à nous, soit dans les Évangiles, soit dans les écrits apostoliques, le résultat, trop peu considéré jusqu'alors, de la lutte entre les judéo-chrétiens et les gentils - chrétiens, entre les anciens apôtres et l'apôtre Paul. Il signalait ainsi sous une autre forme le contraste, sur lequel nous avons tant insisté, du christianisme pragmatique, d'origine essentiellement israélite, et du christianisme mys tique, d'origine essentiellement extra-israélite 1.

On trouvera dans les écrits de M. Hilgenfeld, que nous avons

1. Nous sommes obligé d'employer cette circonlocution, puisqu'il n'existe pas dans notre langue d'épithète correspondant au mot de Gentil.

Les deux principaux ouvrages dans lesquels Baur a exposé sa doctrine sont : Paul, l'apôtre de Jésus-Christ (Paulus, der Apostel Jesu Christi, etc.). Stuttgardt, 1845, et le Christianisme et l'Église chrétienne des trois premiers siècles (Das Christenthum und die christliche Kirche der drei ersten Jahrhunderte). Tübingen, 1853.

« PoprzedniaDalej »