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dépourvu de fruits (Matth., XXI, 19). C'est une évidente allusion à la réprobation des Juifs, maudits et condamnés, parce qu'en face de Jésus ils sont demeurés comme un arbre stérile. Par ce sens allégorique, nul doute que le récit du premier Évangile ne fût de nature à plaire au grand nombre; mais par son sens naturel, il blessait trop ouvertement les notions les plus simples de la justice, et même les préceptes les mieux établis de la morale chrétienne. Cela est si vrai que, dans l'Évangile de Marc, un annotateur, pour signifier son blâme au sujet de l'acte attribué à Jésus, a écrit en marge cette glose empruntée au Discours sur la montagne : « Si vous avez quelque chose contre quelqu'un, pardonnez-lui, afin que votre Père qui est dans les cieux vous pardonne aussi vos péchés, etc. 1. Luc a été plus loin: il a complétement supprimé ce récit fâcheux; il a fait plus encore : il y a substitué une histoire tout opposée, celle du figuier stérile qu'un maître impatient veut faire abattre, mais que le vigneron, plus indulgent et mieux avisé, demande à pouvoir d'abord fumer et labourer, afin de lui rendre, s'il est possible, sa fécondité.

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Il y a, dans le premier Évangile, un autre passage (celui-là reporté à nos Annexes) dont la conclusion, trèsanalogue au fond à celle du morceau précédent, peut donner lieu à des objections d'une nature toute semblable. C'est la parabole des Serviteurs zélés et du Serviteur négligent (Matth., XXV, 14-30, Annexe XXXII). Au moment de se mettre en voyage, un maître remet à ses

1. Voy. Marc, XI, 25-26, Annexe E.

serviteurs, en raison de la capacité de chacun, des sommes d'argent différentes, afin qu'ils lui en rendent compte lorsqu'il sera de retour. Tous, excepté un, font valoir avec plus ou moins de succès les fonds qui leur ont été confiés, et en sont libéralement récompensés. Le dernier, appréhendant la sévérité de son maître, « parce que c'est un homme dur qui moissonne où il n'a pas semé, et qui recueille où il n'a pas répandu, » le dernier, qui d'ailleurs a le moins reçu, croit faire acte de sagesse en enfouissant ce qui lui a été confié, et le rendant intégralement au maître après son retour; mais le maître indigné ordonne qu'on lui enlève même l'unique talent dont il est dépositaire et qu'on le donne à celui qui en a déjà dix; « car, dit-il, on donnera à tous ceux qui ont déjà, et ils seront comblés de biens; mais pour celui qui n'a point on lui ôtera même ce qu'il semble avoir » (Matth., XXV, 29); puis il commande que ce serviteur inutile soit jeté dans les ténèbres extérieures. Nous avons apprécié, ailleurs, au point de vue de la logique et de la raison, l'ensemble et les détails de cette bizarre composition 1; Luc n'a pas cru devoir la reproduire, au moins à sa place naturelle, et si plus tard elle reparaît dans son livre, c'est que probablement elle y est interpolée 2; mais non-seulement Luc a omis notre parabole; particulièrement frappé, à ce qu'il semble, de la conclusion et de ce qui s'y trouve d'ouvertement contraire aux règles les plus

1. Voy. notre Annexe XXXII.

2. Voy. Luc, XIX, 11-27, Note; et Annexes à l'Évangile selon Matth., Prolégomènes, p. 148.

certaines de la justice distributive, il a pris sur lui de la refaire en sens inverse, et au lieu de ces mots qui se lisent dans le premier Évangile : « On donnera à ceux qui ont déjà... mais pour celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il semble avoir, » il a écrit cette sentence tout opposée « On redemandera beaucoup de celui à qui on aura beaucoup donné, et de celui à qui on aura beaucoup confié, on réclamera davantage » (Luc, XII, 48).

7° Le dernier exemple de confrontation de textes qui nous reste à signaler se distingue de ceux qui précèdent soit par le caractère, soit par l'origine des documents. rapprochés. Ici, en effet, les fragments mis en regard ne sont plus, comme dans les cas précédents, contradictoires, mais seulement différents. Ils ne sont pas non plus empruntés exclusivement au premier Évangile. Ici, à la suite d'un texte de cette provenance, nous en trouvons un autre extrait de la première Épître de Paul aux Corinthiens. Après avoir, dans le récit de la Cène, raconté, d'après Matthieu, la bénédiction du vin, Luc raconte, d'après Paul, la bénédiction du pain et celle du vin. Or, c'est dans ce dernier document seulement que figure la parole célèbre : « Ce calice est la nouvelle alliance en mon sang. Faites ceci en mémoire de moi, toutes les fois que vous le boirez. » Rien de pareil ne se trouve dans le fragment cité du texte de Matthieu1 (Luc, XXII, 17-20; Matth., XXVI, 27; I. Corinth., XI, 23-25).

Après ces exemples il serait, il nous semble, difficile de

1. Voy. notre Commentaire sur Matth., XXVI, 26-29.

nier la présence, dans la Section dogmatique, d'un certain nombre de documents empreints d'une pensée toute critique. Cette pensée se montre d'ailleurs souvent ingénieuse et habile, on peut même dire généreuse et élevée. Elle fait honneur au génie de Luc, pourvu que l'on prenne ce génie pour ce qu'il est en réalité, et non pour ce qu'une tradition aveugle en a prétendu faire. Écrivain expert, critique judicieux, esprit sage et modéré, tel Luc s'est offert à nous jusqu'ici; mais nous n'avons pas encore découvert en lui l'inspiré. Le trouverons-nous dans cette portion de son œuvre qui nous reste maintenant à examiner?

Il s'agit des éléments de la Section dogmatique, auxquels cette dernière dénomination convient plus particulièrement, et dans lesquels se trouvent spécialement consignés la doctrine et l'enseignement du troisième Évangile.

D'origine diverse, pris à Matthieu ou à Marc, ou bien appartenant exclusivement à Luc, ces éléments, sous le rapport de leur provenance, de leur distribution, de leur combinaison, soulèvent des questions d'un très-grand intérêt pour l'histoire de notre Évangile. Mais avant d'entrer dans cet examen, nous devons aborder une question plus haute. Nous devons rechercher le but même que Luc s'est proposé dans son travail dogmatique; nous devons essayer de caractériser les doctrines dont il a voulu se faire, dans son Évangile, le propagateur et l'interprète.

L'enseignement de Jésus, dans le premier Évangile, est de sa nature un enseignement pratique. Prenant pour base

et pour point de départ la Loi, il est, par là même, conduit à intervenir dans le règlement des relations diverses

que la Loi embrasse, relations de l'homme avec l'homme, de l'homme avec Dieu. Fidèle, d'ailleurs, à la tradition prophétique, ce que Jésus recherche par-dessus tout dans la Loi, c'est le développement des vertus pratiques, c'est le culte de la sainteté morale. C'est là ce qu'il poursuit, soit lorsque, dans le Discours sur la montagne, il passe en revue et interprète les principaux commandements (Matth., V, 17;—VI, 15, etc.), soit qu'il ramène la Loi tout entière au double précepte de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain (XXII, 37-40); soit enfin, lorsque, répondant à celui qui lui demande comment on peut acquérir la vie éternelle, il recommande, pour y parvenir, l'observation des préceptes moraux du Décalogue (XIX, 17).

Ce caractère éminemment pratique et législatif de l'enseignement de Jésus a presque entièrement disparu du troisième Évangile. S'adressant, comme nous l'avons déjà dit, au monde des Gentils, Luc a dû chercher à dissimuler, tout au moins à atténuer, autant qu'il a dépendu de lui, ce qui tendait à mettre en évidence l'origine juive du christianisme et les rapports naturels et primordiaux de la doctrine nouvelle avec l'ancienne Loi. C'est ainsi que, rétablissant, au moins en partie, le Discours sur la montagne, entièrement supprimé par Marc, Luc en a cependant laissé à l'écart, non-seulement la protestation solennelle au sujet du maintien de la Loi, mais encore toute la série des préceptes qui sont comme le commentaire de cette Loi, et enseignent à la pratiquer, avec UNE JUSTICE ABONDANTE; préceptes de

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