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qu'ils avoient foufferts, que dans ce temps-là-même, où ils commençoient à refpirer. Après avoir effuyé tant de fatigues, avoir fupporté tant de difette, avoir croupi fi long temps dans la fange & dans la boue; ils étoient ravis de s'abandonner au repos & à l'abondance, & de faire reprendre un air de propreté à leurs corps fales & prefque méconnoiffables. Par cette même raifon le conful Cornelius n'eut pas plûtôt débarqué à Pifes, & reçû des mains de Manlius & d'Atilius les troupes qu'ils avoient commandées avant lui, qu'il fe hâta de gagner les bords du Pô, dans l'empreffement où il étoit d'en venir aux mains avec un ennemi recru & haraffé: quoique les foldats qu'il commandoit lui-même fuffent tout nouvellement levés, & encore étourdis de l'échec honteux qu'ils avoient reçus de la part des Gaulois. Mais quand il arriva à Plaifance, Annibal étoit déja décampé du pays des Tauriniens, après avoir pris de force Turin la capitale de la contrée, qui refusoit de le recevoir comme ami. En fortant de ce pays, il étoit bien perfuadé que les Gaulois qui habitent le long du Pô fe joindroient à

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Tui dès qu'ils le verroient fur leurs terres, quand ils auroient été incertains auparavant du parti qu'ils avoient à prendre. Et en effet ils étoient dans la difpofition de le faire d'eux-mêmes, fans qu'il fût obligé de les y contraindre, quand ils furent furpris par l'arrivée de Scipion. Déja les armées étoient en préfence, & les deux généraux à leur tête, fe connoiffant encore affez peu, mais déja prévenus d'une eftime réciproque l'un pour l'autre. Car le nom d'Annibal étoit célebre chez les Romains dès devant le fiége de Sagonte. Et Annibal jugeoit du mérite de Scipion, par le choix qu'on avoit fait de fa perfonne, pour commander les Romains contre lui. Ce qui avoit encore augmenté cette admiration mutuelle, c'est que Scipion avoit renoncé au commandement de l'armée d'Espagne, & quitté la Gaule pour venir à la rencontre d'Annibal en Italie & qu'Annibal avoit été affez hardi pour former le deffein de paffer les Alpes, & affez heureux pour l'exécuter. Cependant Scipion prévint Annibal en paffant le Pô devant lui; & s'étant campé près du Tefin, il parla ainfi à fes foldats, pour les animer

сс Harangue de Sc pion à

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à bien combattre. Je me difpenferois de parler, foldats, fi je rangeois « fes foldats. en bataille l'armée que j'avois avec « moi dans la Gaule. Car quelle né. «< ceffité y auroit-il d'exhorter, ou une « eavalerie qui a vaincu celle des enne- « mis avec tant de valeur auprès du « Rhône: ou des légions avec lefquelles j'ai pourfuivi pendant fi long « temps un ennemi, qui en fuyant de- « vant moi, & en refusant la bataille, « fe reconnoiffoit vaincu par avance ? « Mais comme cette armée que le fé~ « nat & le peuple romain ont destinée « pour l'Espagne, y fait présentement la guerre fous mes aufpices, & fous «. les ordres de mon frere; comme je fuis volontairement revenu dans l'I- « talie, afin de vous donner un conful « pour chef, lorsque vous combattriez « contre Annibal & les Carthaginois; « enfin comme nous ne nous con- « noiffons point encore affez, il est à «. propos que je vous entretienne au «. moins en peu de mots, pour con- « noître vos difpofitions, & vous in- « former des miennes. Et premierement, afin que vous fçachiez de quoi « il est aujourd'hui question, vous al·« lez combattre, foldats, contre dese

» gens que vous avez vaincus par terre » & par mer dans la premiere guerre, » à qui vous avez fait payer tribut pen» dant vingt ans, & fur qui vous avez » conquis la Sicile & la Sardaigne, » pour récompenfe de vos travaux. » Vous apporterez donc, vous & eux, » dans cette bataille, les difpofitions

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qui ne manquent point de fe trou"ver dans les vainqueurs & dans les "vaincus. Et s'ils en viennent aux » mains aujourd'hui, c'eft qu'ils ne ❞ peuvent plus éviter le combat. A » moins qu'on ne s'imagine que leur » confiance eft augmentée, depuis » qu'ils ont vû périr les deux tiers de » leur armée dans le paffage des Al»pes: puifqu'en effet il leur en refte

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beaucoup moins qu'ils n'en ont per» du. Vous me direz, peut-être, qu'ils » font en petit nombre à la vérité, » mais qu'ils font pleins de vigueur, » & que rien ne peut réfifter à leur va» leur & à leur force. Ce font des fi

gures, des spectres, ou plûtôt des » ombres d'hommes ; des gens affoi» blis, ufés, & prefque entierement » anéantis par le froid & la faim qu'ils » ont foufferte, par les rochers & les précipices, contre qui ils ont été

obligés

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obligés de lutter; par les pluyes, les « neiges, les glaces, & toutes les inju- « res du ciel & de la terre, qui fe font « réunies pour les accabler. Leurs nerfs «e font retirés, fans mouvement & fans « reffort, leurs armes émouffées & « rompuës, leurs chevaux eftropiés & a boiteux. Voilà la cavalerie, voilà ce l'infanterie que vous avez à combat- « tre. Vous aurez affaire à des reftes « d'ennemis, & non pas à des enne. << mis véritables. Et tout ce que je « crains, c'est qu'il ne paroiffe que cea font les Alpes qui ont vaincu Anni- « bal, avant que vous en vinffiez aux « mains avec lui. Mais les dieux en ont << ainfi ordonné. Comme ils ont été « les premiers outragés, il étoit jufte que fans le fecours des hommes, ils « commençaffent les premiers lace guerre contre un peuple & un chef «< parjures & violateurs des traités. Ils « ne nous ont laiffé, à nous qui n'a- « vons été offenfés qu'après eux, que « l'honneur de porter les derniers «<< coups, & les plus faciles. Vous ne « m'accuferez pas, fans doute, d'exa- « gerer. Vous ne devez pas croire que « je vous parle ainfi pour vous animer, «< & que mes penfées font bien diffé- « Tome I.

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