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marquât qu'aucun mortel y eût jamais paffé. Mais il ne lui fut pas poffible d'exécuter une pareille entreprise. Car comme il étoit tombé une médiocre quantité de neige fraîche par deffus la vieille qui avoit eu le temps de s'endurcir, ils paffoient aisément par deffus celle qui étoit nouvelle, molle & peu profonde. Mais quand elle fe fut fondue fous les piés de tant de milliers d'hommes & de chevaux, il leur fallut marcher avec une peine inconcevable fur une glace nue & gliffante par elle-même, mais encore plus par la fonte qui venoit de fe faire, & par la pente du terrein, où il n'étoit pas poffible de poser fûrement le pié. Ils tomboient donc à chaque inftant. Et s'ils fe fervoient pour fe retenir de leurs mains ou de leurs genoux, ce foutienlà même venant à leur manquer, ils étoient renverfés une feconde fois, & ne trouvoient ni arbriffeaux ni racines à quoi ils puffent s'accrocher. Les bêtes de fomme demeuroient étenduës fur la glace, & fe rouloient dans la neige fondue. Il arrivoit même quelquefois qu'en faifant de grands efforts pour fe relever, & appuyant le pié fortement fur la glace, après l'avoir rom

puë,elles y demeuroient comme enchaî nées, fans pouvoir remuer de la place. Enfin Annibal ayant inutilement fatigué les hommes & les animaux, fut obligé de camper en cet endroit, après avoir écarté avec des peines infinies une quantité prodigieufe de neige. Il vit bien que le rocher qu'il avoit abandonné étoit le feul chemin qui le pût con duire au bas des Alpes. Mais il falloit néceffairement le rompre & l'ouvrir, ce qui ne pouvoit s'exécuter qu'avec des travaux incroyables. Pour cet effet il fit abbattre par fes foldats une grande quantité d'arbres qu'on entaffa les uns fur les autres autour du rocher. On y mit le feu: & le vent qui fouffloit l'ayant allumé avec beaucoup de violence, les pierres échauffées par un fi grand embrâfement, furent encore amollies par le vinaigre qu'on y verfa en abondance. On y fit ensuite, avec des coins de fer des ouvertures qu'on eut foin de conduire obliquement pour trouver une pente plus douce, par on pût faire defcendre non-feulement les chevaux, mais encore les éléphants. Ce travail les occupa pendant quatre jours. Les bêtes de charge mouroient de faim, ne trouvant point à paître fur

Il arrive en

Italic.

des fommets fteriles, où la neige cou
vroit même le peu d'herbages qui pou
voit y croître. Annibal trouva au def-
fous des côteaux moins rudes, des fo-
rêts moins inacceffibles, des vallons ar-
rofés par des ruiffeaux, des lieux enfin
plus dignes de fervir d'habitation aux
hommes. Il y demeura trois jours, tant
ly
pour faire repofer fes foldats, épuifés
par tant de fatigues, que pour y faire
paître fa cavalerie, qui n'étoit pas en
meilleur état. De là il entra dans des
plaines où le climat lui fembla plus
doux, auffi bien que le génie des ha-
bitants.

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Ce fut ainfi qu'il arriva en Italie après avoir employé quinze jours à traverfer les Alpes, & cinq mois à faire tout le chemin depuis Carthagene. Les auteurs ne font pas d'accord entre eux fur le nombre de foldats qu'Annibal avoit avec lui, quand il arriva en Italie. Ceux qui lui en donnent le plus le font monter à cent mille hommes d'infanterie, & vingt mille de cavalerie. Ceux qui lui en donnent le moins se bornent à vingt mille fantasfins & fix mille cavaliers. Je m'en rapporterois, plus qu'à tout autre, à L. Cincius Alimentus, qui fe dit avoir

été prifonnier d'Annibal, s'il s'expliquoit plus clairement fur ce nombre. Mais fans diftinguer les troupes qu'Annibal avoit par lui-même de celles qui fe joignirent à lui far fa route, il écrit qu'avec les Gaulois & les Liguriens, ce général amena en Italie 80000 hommes d'infanterie, & 10000 de cavalerie. Puis il ajoute qu'il a oui dire à Annibal lui-même, que depuis qu'il eût paffé le Rhône jufqu'à ce qu'il arrivât en Italie, où il fe rendit en paffant, au fortir de Gaule, par le pays des Tauriniens, il avoit perdu 36000 foldats, & un grand nombre de chevaux & d'autres bêtes de fomme. Il est bien plus vrai- femblable, comme quelques Auteurs l'affurent, qu'Annibal ne fe vit à la tête d'une fi grande armée, que par le concours des nations qui prirent fon parti après qu'il fut defcendu des Alpes, à mesure qu'il s'avançoit en Italie. Cette opinion étant conftante entre tous les écrivains, je fuis étonné qu'on ne convienne pas. du lieu par où il paffa les Alpes ; & qu'on croye communément que ce fut par le fommet appellé Pennin ; & que ce furent les Carthaginois, en latin Pani, qui lui donnerent ce nom. Ca

lius au contraire dit que ce fut par celui de Cremone. Mais ces deux fommets l'auroient conduit non chez les Tauriniens, mais chez les Gaulois Libiques ou Libyens, à travers les monts Salaffiens. D'ailleurs il n'eft pas vraifemblable que ces paffages ayent été -ouverts en ce temps-là du côté de la Gaule; puifque les routes qui condui. foient fur le Pennin étoient alors occupées par des peuples demi-germains. Et fi l'étimologie dont on vient de parler faifoit impreffion fur quelqu'un, il eft aifé de le détromper, en lui apprenant que ce n'eft pas du paffage des Carthaginois que le Pennin a pris fon nom, mais d'un temple ou d'un dieu ainfi nommé, & adoré fur ces hauteurs par les Veragres qui les habitent.

Quand Annibal,en fortant de Gaule, paffa chez les Tauriniens, cette nation étoit en guerre contre les Infubriens, ce qui lui fut très-favorable dans un temps où il étoit à la veille de fe voir aux prises avec les Romains. Il auroit pû fecourir l'un de ces deux peuples contre l'autre. Mais il ne put faire prendre les armes à fes foldats, qui ne fentirent jamais davantage les maux

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