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mais avec beaucoup de circonfpection & de défiance. Il avoit mis à l'avantgarde les éléphants & la cavalerie. Il marchoit enfuite lui-même avec l'élite de fon infanterie, obfervant toutes chofes avec beaucoup d'attention & d'inquiétude. Lorfqu'ils furent arrivés dans un chemin beaucoup plus étroit, commandé d'un côté par une haute montagne, les barbares fortant tout d'un coup d'une embufcade, vinrent. les attaquer par devant & par derriere, les accablant de traits de près & de loin, & roulant fur eux de deffus les hauteurs des rochers énormes. L'arriere-garde étoit preffée plus vivement que le refte, & par un plus grand nombre d'ennemis. Annibal fit avan cer contre eux fon infanterie en bataille. Et l'on vit bien alors que s'il n'eût pas pris ce parti, il auroit reçû dans ce paffage un échec très-confide rable: puifque malgré fa prévoyance, il fe vit à la veille d'être entierement défait. Car dans le temps qu'il hefitoit à faire entrer fon armée dans ces chemins étroits, parce qu'il n'avoit point: laiffé de renfort à l'infanterie par derriere, comme il en fervoit lui même • à la cavalerie; les barbares profiterent

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de ce moment d'incertitude pour prendre les Carthaginois en flanc: & ayant féparé la queuë d'avec la tête de l'armée, s'emparerent du chemin qui étoit entre l'une & l'autre ; en forte qu'Annibal paffa une nuit fans fa cavalerie & fes bagages.

Le lendemain les montagnards revinrent à la charge, mais avec beaucoup moins de chaleur que la veille. Ainfi les Carthaginois fe raffemblerent en un corps, & pafferent ce détroit, où ils perdirent plus de bêtes de charge que de foldats. Depuis ce temps-là les barbares parurent en plus petit nombre, venant fondre par pelottons, plutôt comme des voleurs, que comme de veritables ennemis, tantôt fur l'arriere-garde, tantôt fur les premiers rangs, felon que le terrein leur étoit favorable,, ou que les Carthaginois eux-mêmes leur donnoient occafion de les furprendre, en s'éloignant trop de la tête de l'armée, ou en demeurant trop loin derriere. Les éléphants qu'on avoit mis à l'avant-garde, traverfoient ces routes âpres & efcarpées avec beaucoup de lenteur. Mais d'un autre côté, par tout où ils paroiffoient, il mettoient l'armée à couvert

de l'infulte des barbares, qui n'ofoient approcher de ces animaux, dont la figure & la grandeur étoit nouvelle pour eux. En neuf jours de marche les Carthaginois arriverent au fommet des Alpes, après avoir traversé des routes la plupart inacceffibles, & s'être fouvent égarés, ou par la faute de leurs guides, ou par les fauffes conjectures de ceux d'entr'eux, qui fe défiant de la bonne foi de ces étrangers, choififfoient eux-mêmes le chemin qu'ils s'imaginoient les devoir conduire en Italie. Annibal paffa deux jours fur ce fommet, où il laiffa repofer fes foldats, fatigués d'une fi longue marche, & des combats qu'ils avoient eus à foutenir. Pendant ce temps là un grand nombre de bêtes de fomme qui étoient tombées parmi ces rochers, revinrent au camp, après avoir suivi l'armée à la pifte. Ils n'avoient pas encore commencé à refpirer après tant de maux foufferts, qu'ils fe virent encore accablés par une chûte effroyable de neiges, qui ne manque jamais d'arriver vers le coucher des pleiades. Les foldats partirent cependant de là dès le matin du troifiéme jour. Et comme ils marchoient lentement par des chemins.

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couverts de neige, ayant le découra gement & le défefpoir peints fur leurs vifages, Annibal fe mit à leur tête, & leur ordonna de s'arrêter fur un promontoire fort élevé, d'où on pouvoit porter fa vûë de tous côtés au loin & au large : & de là il leur montra l'Italie, & les plaines que le Pô arrofe de fes eaux jufqu'au pié des Alpes. C'est » en ce moment, ajouta t'il, que vous » vous ouvrez non-feulement l'Italie, >> mais Rome même. Vous ne trouve> rez plus aucun obstacle à surmonter » dans votre route. Un ou deux com "bats au plus vous rendront maîtres » & poffeffeurs de l'Italie, de fa for» tereffe & de fa capitale. Depuis ce: temps-là, ils continuerent leur chemin fans que les ennemis entrepris fent rien contre eux, finon qu'ils leur enleverent quelque leger butin, quand ils en trouverent l'occafion.. Mais ils éprouverent beaucoup plus de difficultés qu'ils n'avoient fait en montant, parce que fi du côté de l'Italie la defcente des montagnes eft plus courte, elle est auffi beaucoup plus roide & plus efcarpée. Prefque par tout le terrein eft gliffant, fans aucune: pente, & plus femblable à un préci

pice qu'à un chemin : en forte que pour peu qu'ils vinffent à trébucher, ils ne pouvoient fe retenir, & tomboient les uns fur les autres, hommes & che

vaux.

Quelque temps après ils rencontrerent une route beaucoup plus étroite, tracée légerement dans un roc fi efcarpé & fi rude, que les foldats fans armes & fans bagages, avoient encore bien de la peine à le defcendre, en tâ tonnant & en s'accrochant des piés & des mains aux ronces & aux broffailles qui croiffoient à l'entour. Ce paffage prefqu'infurmontable de lui-même, Î'étoit devenu encore davantage par un éboulement de terre arrivé tout récemment dans l'efpace d'environ mille pas. Les cavaliers s'étant arrêtés comme des gens qui ne trouvent plus de chemin, apprirent à Annibal étonné. de ce qui pouvoit les retenir, qu'ils avoient devant eux un rocher abfolu ment infurmontable. Lorfqu'il fe fut avancé pour examiner la chofe par luimême, il ne douta point d'abord qu'il ne lui fallût faire un long circuit, & ouvrir à fon armée une route toute nouvelle, par des lieux impraticables, où l'on ne voyoit point de traces qui

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