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& leur frayeur redoubler. Lorfque les Carthaginois commencerent à s'avancer fur les premieres hauteurs, ils apperçurent ces montagnards perchés fur la cime de leurs rochers. Ce fut un bonheur pour Annibal. Car s'ils euffent pris le parti de lui dreffer des embuches, en fe tenant cachés dans les vallées les plus obfcures, ils auroient pû caufer beaucoup de dommage à son armée, & peut-être la ruiner entiere. ment. Il fit faire alte à fes foldats ; & apprenant qu'il n'y avoit point de pasfage par cet endroit, il campa au milieu de mille précipices, dans la vallée la plus étendue qu'il put trouver, après avoir commandé aux Gaulois qui lui fervoient de guides, de s'aboucher avec ces montagnards, dont le langage & les mœurs n'étoient pas fort differentes. des leurs. Par ce moyen il apprit que le défilé n'étoit gardé que pendant le jour par les habitants, qui fe retiroient chacun dans leurs cabanes, dès que la nuit étoit venue. Dès le matin il s'avança vers les fommets, faifant mine de les vouloir franchir de jour, & à la vûe des barbares. Mais quelque temps après il s'arrêta tout d'un coup, feignant d'être occupé de tout autre def

fein, que de celui qu'il avoit dans l'elprit. Et ayant ainfi paffé le jour entier, il campa dans le même lieu, & s'y retrancha. Dès qu'il vit que les habitants avoient abandonné cette éminence, il fit allumer une grande quantité de feux, comme s'il eut voulu refter là avec toute fon armée. Mais y ayant laiffé fes bagages avec la cavalerie & la plus grande partie de l'infanterie ; il fe mit lui-même à la tête des plus braves, paffa avec eux le défilé, & s'empara des mêmes fommets que les montagnards avoient abandonnés. A la pointe du jour, il fe mit en marche, & le refte de l'armée commença à le fuivre. Ces barbares, au fignal qu'on avoit coutume de leur donner, fortoient déja de leurs forts pour aller prendre leur pofte fur leurs rochers, lorsqu'ils apperçurent une partie des Carthaginois au deffus de leurs têtes, tandis que les autres étoient en marche. Ces deux objets les firent refter quelque temps interdits & incertains de ce qu'ils devoient faire. Mais quand ils virent les Carthaginois engagés dans ces paffages étroits, le trouble qu'ils fe caufoient eux-mêmes par de vains empreffements, fur tout la

difficulté qu'ils avoient de conduire leurs chevaux à travers ces efpeces de précipices; perfuadés que pour peu d'efforts qu'ils fiffent de leur côté, ils les déferoient entierement, ils fondirent tout d'un coup fur eux de dessus leurs roches, & de differents côtés, accoutumés qu'ils étoient à courir lé gerement à travers les lieux les plus rudes & les plus efcarpés. Ce fut alors que les Carthaginois eurent à lutter tout à la fois, & contre les affauts des ennemis, & contre la difficulté des lieux; fans compter qu'ils fe nuifoient encore davantage les uns aux autres, par les efforts que chacun faifoit pour fortir le premier du péril. Rien ne les incommodoit davantage dans leur -marche, que les chevaux effrayés de tant de cris divers des hommes & des animaux, que les échos de ces bois & de ces vallons renvoyoient encore plus affreux. Et s'ils venoient par hazard à tomber & à fe bleffer, les efforts qu'ils faifoient fouvent en vain pour se relever, renverfoient avec beaucoup de fracas & les valets qui les conduifoient, & les fardeaux dont ils étoient chargés. Dans ce défordre, plufieurs bêtes de fomme avec ce qu'elles por

toient, & quelques foldats mêmes tout armés, tomberent dans les précipices qui étoient à droit & à gauche. Quelqu'horrible que fut un tel fpectacle, Annibal ordonna à fes gens de s'arrêter, pour ne point augmenter leur trouble & leur embarras. Et craignant de paffer inutilement avec le refte de l'armée, fi les bagages qui étoient bien loin derriere demeuroient à la merci des ennemis, il fondit fur eux d'un lieu élevé. Il les mit en fuite du premier choc; & jetta en même-temps quelque confternation parmi les fiens, qui fe raffurerent auffi-tôt qu'ils virent que la fuite des barbares avoit laiffé les chemins libres. Ils pafferent tous le défilé, fans être troublés par les ennemis qui demeurerent depuis ce temps là dans un grand filence. De là il alla s'emparer du principal fort de tout le pays, & de quelques villages d'alentour qui en dépendoient. Et avec le bétail qui s'y trouva en abondance, il nourrit fon armée trois jours entiers, pendant lefquels il fit beaucoup de chemin, profitant de la retraite des montagnards que leur premiere défaite avoit confternés, & de la facilité des paffages moins rudes & moins. Dy

efcarpés qu'auparavant.

Il arriva enfuite dans un canton affez peuplé pour un pays de montagnes. Ce fut là qu'on employa pour leperdre, non la force ouverte, mais un moyen dont il fçavoit fi bien ufer luimême, la fourberie & les embuches.. Les anciens de la nation & les feigneurs des petits châteaux du canton Te vinrent trouver avec un air de foumiffion & de bonne volonté. Ils lui dirent que le malheur de leurs compatriotes avoit été pour eux une leçon. utile, qui leur apprenoit à préfererl'amitié des Carthaginois à leur haine.. Qu'ils étoient prêts à lui obéir en tout. Qu'ils lui fourniroient des vivres & des guides. Et pour lui prouver qu'ils agif

foient de bonne foi, ils lui offrirent des ôtages. Annibal fans trop compter fur leurs promeffes, ne voulut cependant pas les rebuter, de peur qu'ils ne fe déclaraffent ouvertement contre lui.. Il leur fit une réponse obligeante : & ayant accepté leurs ôtages, & les vivres qu'ils avoient eux-mêmes fait conduire dans le chemin, il fe mit en: marche, & fuivit leurs guides, non d'une maniere négligente, comme on feroit parmi des amis & des alliés,

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