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foldats. Il étoit informé de tout ce qui fe paffoit dans leur camp, comme de ce qui arrivoit dans le fien. Il fçavoit que les deux géneraux dont le caractere étoit tout-à-fait oppofé, ne s'accordoient en rien, & que les deux tiers des legions confiftoient en de nouvel les recruës. Ainfi, persuadé qu'il n'auroit jamais une fi belle occafion de tromper les ennemis, il partit dès la nuit fuivante avec une partie des fiens,. chargés feulement de leurs armes, & laiffa dans fon camp tous les biens, tant de l'armée en géneral, que des officiers & des foldats en particulier. Mais il cacha derriere les montagnes voisines, une troupe de fantaffins à la gauche, & une de cavaliers à la droite, les uns & les autres bien armés, & difpofés à feconder comme il faut fes intentions. Les bagages paffoient par la vallée qui étoit au milieu. Son deffein étoit de fondre fur les Romains, & de les opprimer, lorfqu'il les verroit Occupés à piller fon camp, qui leur paroîtroit abandonné par la fuite des Carthaginois. Il y laiffa un grand nombre de feux, pour faire croire aux confuls que fon intention étoit, en leur oppofant une apparence de camp, de My

les retenir dans leur pofte, & d'échapper à leur pourfuite, comme il en avoit ufé l'année précedente à l'égard de Fabius.

Dès que le jour parut, les Romains furent étonnés de ne point voir, du côté des ennemis, les fentinelles & les corps de garde ordinaires. Ils le furent bien davantage, lorfqu'en examinant: leur camp de plus près, ils s'apperçurent qu'il y regnoit par tout un profond filence. Alors ne doutant plus. qu'il n'eût été abandonné, ils coururent en foule à la tente des confuls, pour leur apprendre que les ennemis. avoient pris la fuite avec tant de préci pitation, qu'ils avoient laiffé leurs ten-. tes toutes dreffées, & que pour cacher leur retraite, ils avoient laiffé un grand nombre de feux allumés. Ils demanderent enfuite avec de grandes clameurs, qu'on leur donnât le fignal, pour aller les pourfuivre & piller leur camp. Le conful Varron crioit auffi haut, & avec autant de témerité que · le dernier des foldats. Paul Emile ne fe laffoit point de répeter qu'il falloit fe tenir fur fes gardes, & fe défier des rufes d'Annibal. Enfin, ne pouvant autrement éviter, la fédition que fon

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collegue lui-même étoit fur le point d'exciter dans l'armée, il envoya Marius Statilius, l'un des marêchaux de camp, à la découverte, avec un efcadron de Lucaniens. Cet officier s'étant avancé jufqu'aux, portes du camp ennemi, ordonna à fes gens de refter là. Pour lui, il entra dedans avec deux cavaliers. Et en ayant examiné la difpofition avec beaucoup de foin & d'exactitude, il alla annoncer aux con, fuls, qu'infailliblement les ennemis étoient en embuscade en quelqu'endroit peu éloigné. Qu'ils avoient laif fé des feux dans la partie de leur camp la plus voifine de celui des Romains. Que leurs tentes étoient tout ouvertes. Que ce qu'ils avoient de plus précieux, étoit exposé à la vûë. Qu'il avoit même vû de l'argent répandu çà & là, comme pour inviter l'ennemi à le ramaffer. Ces raifons que Marius apportoit pour appaiser la cupidité des foldats, ne fit que l'allumer davantage. Ils fe mirent tous à crier, que fi on ne leur donnoit pas le fignal, ils fe mettroient en marche, fans attendre qu'on le leur donnât. Mais ils ne manquerent pas de conducteur. Car Varron leur ordonna auffi tôt de

partir. Paul Emile, de lui-même, étoit déja fort oppofé à cette précipitation; mais lorsqu'il eût remarqué que les dieux la condamnoient encore par les augures finiftres qu'ils avoient envoyés, il en fit porter la nouvelle à fon collegue, lorsqu'il avoit déja fait fortir les étendarts des portes du camp. Varron eut bien de la peine à fe conte nir. Mais la défaite encore toute récente du conful Flaminius, & la bataille navale perdue dans la premiere guerre par le conful Claude, qu'on lui remit devant les yeux, lui donnerent quelque fcrupule. On peut dire que ce furent les dieux eux-mêmes, qui, ce jour-là, differerent plutôt, qu'ils n'empêcherent la perte des Romains. Car comme les foldats refufoient d'obéir au conful qui leur ordonnoit de rentrer dans le camp, il arriva par hazard que deux efclaves, qui fous le confulat d'Attilius & de Servilius, avoient été pris au fourrage par les Carthaginois, revinrent dans ce moment trouver leurs maîtres, après s'être échappés des mains des ennemis. On les mena fur le champ aux confuls, à qui d'Annibal ils apprirent que toute l'armée d'Andécouvertes, nibal étoit en embuscade derriere les

Embuches

montagnes voifines. Ils arriverent fort à propos pour faire refpecter l'ordre des géneraux, dont l'un avoit depuis long-temps perdu toute l'autorité qu'il auroit dû avoir fur les foldats, par la ridicule indulgence dont il ufoit en

vers eux.

Annibal voyant que les Romains n'avoient pas pouffé jufqu'au bou une imprudence qui alloit les lui livrer, rentra dans fon camp, fans avoir tiré aucun fruit de fon ftratagême, qui avoit été trop tôt découvert. Il n'y pouvoit pas refter long-temps, pour deux raifons. Premierement, il manquoit de vivres. En fecond lieu, il fe formoit tous les jours de nouvelles entreprises, non feulement parmi les foldats ramaflés de differentes nations mais parmi les officiers mêmes, & en plein confeil. Ce n'étoient d'abord que de fimples murmures: mais ils dégenererent bien-tôt en des plaintes & des. reproches, qui approchoient de la fédition & de la révolte. Ils demandoient hautement qu'on leur payât la folde qui leur étoit dûë, & qu'on les délivrât de la faim qui les preffoit. Les foldats mercenaires, fur tout les Efpagnols, étoient fur le point de défer

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