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des connoissances scientifiques n'aurions-nous pas à faire de pareils aveux ! » Certes ces plaintes de M. Herschell sont remarquables. Espérons que leur aústère franchise, soutenue par l'assentiment général des savans anglais, obtiendra, dans la distribution des richesses que les universités possèdent, des modifications nécessitées par le progrès du temps, et qui, pour le bien des sciences, leur rendront à elles-mêmes le rang élevé qu'elles ont tant de moyens de bien remplir.

Comme preuve frappante et trop vraie du système politique qui abandonne complétement l'avancement des sciences à elles-mêmes, M. Babbage cite Dalton, et il ne pouvoit trouver un plus noble exemple. M. Dalton est incontestablement un des deux ou trois premiers chimistes de l'Europe. La théorie des proportions définies dont il a enrichi la science qu'il cultive, est une découverte dont l'abstraction rapproche la chimie d'une science mathématique plus qu'il n'étoit possible de l'espérer dans l'état de complication naissante où elle est encore. Tous les chimistes, tous les physiciens d'Europe et d'Amérique, expriment actuellement leurs résultats sous cette forme, qui en rend la comparaison et la vérification immédiates. Eh bien! Dalton vit à Manchester du produit de quelques leçons particulières de mathématiques qu'il donne comme feroit un maître vulgaire et au même prix. Aucune faveur du gouvernement, aucun emploi, aucune sinécure, n'a restitué aux sciences ces heures du génie irréparablement perdues dans un travail misérable. M. Ivory, le premier géomètre de l'Angleterre, après avoir long-temps et obscurement professé dans une école militaire, vit d'une modique retraite que ses longs et pénibles services lui ont enfin obtenue. D'autres, non moins célèbres, tels que Young, Brewster, Herschell, n'ont jamais attiré un regard. Pendant quelque temps, de 1817 à 1828, le gouvernement sembla mettre de l'intérêt à réunir près de famirauté un certain nombre d'hommes distingués, tirés d'Oxford, de Cambridge et de la Société royale, auxquels il confia la publication du Nautical Almanack; Young fut alors de ce nombre. Mais cette institution, que l'on avoit appelée le Bureau des longitudes, ne put se soutenir, parce qu'elle n'offroit aucun intérêt de parti, et qu'elle prêtoit peu d'exercice au patronage politique ; de sorte qu'après comme avant son existence, les hommes que nous venons de citer ont vécu et vivent encore du pénible sacrifice qu'ils font de leur temps aux grandes entreprises de librairie. Ces faits sont tristes assurément, et montrent qu'il n'y a plus de Colbert et de Louis XIV en Europe. Mais si des talens aussi remarquables sont oubliés à ce point, n'en doit-on pas sur-tout accuser ceux qui, approchant le pouvoir et prétendant au titre d'hommes éclairés ou même d'hommes de science, n'auroient pas élevé la voix pour le mérite inconnu? Peut-on supposer qu'une

telle réclamation, faite hors de toute tendance politique, n'eût pas été écoutée ? Et sans doute elle l'auroit été, si l'Angleterre avoit eu un Monge

ou un Laplace.

...Ceci me conduit à parler d'une singulière remarque faite par M. Babbage, sur les encouragemens accordés aux sciences dans les autres pays de Europe, et du caractère plus singulier encore par lequel il en mesure Pefficacité relative. Il commmence par donner une liste de neuf savans qui ont été, ou sont, présidens du sénat, ministres, chambellans ou ambassadeurs (encore le premier de ces titres est-il inexact), et il voit en cela une grande preuve d'estime pour leurs découvertes, ainsi qu'un puissant motif d'emulation littéraire pour leurs confrères. Un peu plus loin, il donne un tableau des membres de l'institut de France qui sont décorés de la légion d'honneur, depuis les simples chevaliers jusqu'aux grand'croix, et il fait remarquer que, dans le nombre, on compte deux ducs, un marquis, quatre comtes, deux vicomtes et quatorze barons, tandis que, dans la Société royale de Londres, parmi les membres qui contribuent réellement aux volumes des Transactions par des mémoires, il ne trouve qu'un pair, cinq baronets et trois chevaliers. Cette énumération comparative des dignités a été reproduite avec la même importance dans l'analyse du Quarterly Review. Or c'est assurément un effet moral bien remarquable de cette distinction des rangs si fortement prononcée et si continuellement sentie en Angleterre, que de voir un esprit aussi abstrait que M. Babbage, amené à admettre des titres honorifiques comme l'expression acceptable des rangs intellectuels. Sans doute ces distinctions ont pu être, ont été souvent accordées au mérite, qui a dû se montrer reconnoissant de l'intention. Mais la bonne volonté ne fait pas le droit. Le plus beau priviJége des savans, comme des gens de lettres, ce qui constitue essentiellement leur indépendance, c'est de devoir leur rang au jugement de leurs pairs distribués sur toute la surface du monde civilisé, tribunal souve rainement éclairé, juste et bienveillant: voilà celui dont les distinctions doivent leur être précieuses, et qu'ils doivent souhaiter comme l'estimation irrécusable de leurs travaux. Nous ne pensons donc pas, avec M. Babbage, que les sciences gagneroient beaucoup en Angleterre, si l'on y instituoit, comme il le propose, un ordre du mérite qui leur seroit spécialement consacré; car, ou la Société royale décerneroit cet ordre, et elle fait l'équivalent par ses médailles, ou l'ordre seroit distribué par les ministres, et alors il ne prouveroit mathématiquement rien. Il seroit donc au moins inutile dans tous les cas.

L'immense développement que les sciences ont reçu en France depuis quarante ans, nous paroît avoir été produit par deux causes toutes diffé

rentes de celle qu'indique ici M. Babbage; causes puissantes, dont l'une existe encore, et l'autre a depuis long-temps cessé d'agir.

La cause qui existe, c'est la publicité de notre haut enseignement, et l'indépendance complète où il se trouve des rétributions pécuniaires payées par les auditeurs. Sa publicité l'offre à toutes les intelligences qui sont en état d'y participer. Les émolumens que lui assigne la munificence du pays, laissent aux professeurs la liberté de consulter seulement les besoins des sciences dans la direction et la hauteur qu'ils donnent à leurs leçons. Les cours du College de France, du Jardin des plantes, de la Bibliothèque royale, se trouvent ainsi tout-à-fait indépendans du grand nombre des au diteurs; et pour la plupart d'entre eux, ce grand nombre, s'il y étoit attiré, prouveroit que le but de l'institution n'est pas atteint. Il n'en est pas ainsi en Angleterre, même dans les institutions les plus récentes et fondées par les motifs les plus libéraux. Voyez, par exemple, l'université de Londres: les bâtimens qui lui sont consacrés sont magnifiques; l'ensemble des études y est conçu dans les vues les plus élevées; les cours sont confiés à des profes seurs habiles; les auditeurs sont nombreux. Mais les émolumens des pro fesseurs sont fondés, au moins en grande partie, sur les rétributions des élèves; il faut donc leur plaire, et se mettre au niveau du grand nombre pour les attirer. Cela est bien pour les cours élémentaires; mais quant aux cours élevés, cela les rend impossibles. Il faudroit que le professeur eût une force d'ame surnaturelle, pour aller à-la-fois contre sa popularité et contre son intérêt. Aussi l'expérience montre-t-elle que les hommes meine les plus distingués, abaissent naturellement leur force dans les cours trop nombreux, jusqu'à ce que la foule puisse les entendre. Ce manque général de cours élevés, accessibles au très-petit nombre, et consacrés exclusivement aux sommités abstraites de la science, forme en Angleterre un vide, une sorte de précipice qui arrête la marche des esprits par lesquels les sciences pourroient être cultivées le plus noblement.

La seconde cause qui, selon nous, a vivement excité en France le mouvement des sciences, c'est l'état politique et moral des esprits lors de leur renaissance en 1794.

Une révolution insensée, autant qu'atroce, avoit détruit en France les universités, les académies et tous les établissemens d'instruction : dès que la terreur dont elle avoit rempli la France s'arrêta, quelques hommes dévoués aux sciences, et qui n'avoient pas cessé de les chérir, Monge Berthollet, Fourcroy, Guyton, entreprirent de relever leurs temples, et ils le firent avec une grandeur de vues que l'on peut, si l'on veut, trouver gigantesque, mais qui par le fait étoit admirablement conçue pour produire une grande excitation dans les esprits, Une école normale est formée)

y

à laquelle on `enverra des élèves de toutes les parties de la France; les professeurs seront d'abord Lagrange et Laplace, que jamais on n'auroit entendus exposer leurs idées en public sans cette révolution, puis Berthollet, Hauy et Monge lui-même, dont le zèle suffisoit pour embraser tous les esprits. Dans ces étranges comices des sciences, la lice philosophique étoit ouverte à certains jours marqués, et des élèves tels que Fourrier proposoient leurs doutes à des hommes dont le génie n'avoit jusqu'alors parlé qu'à l'Europe. En même temps, Monge, l'infatigable Monge, créoit une école polytechnique nombreuse, libre, qui, animée par sa présence et son impulsion, recevoit avec un indicible enthousiasme les leçons qui lui étoient données sur toutes les parties des sciences physiques, mathématiques et militaires, par lui-même, et par tous les hommes les plus forts que possédat alors la France. Enfin ces institutions créatrices étoient complétées par un système général d'écoles publiques libres, distribuées dans tous les départemens, où des professeurs, dépendans de leurs seuls devoirs, répandoient autour d'eux toutes les connoissances utiles à la généralité de la population. Ces places, peu rétribuées, ne manquoient cependant point de la considération personnelle qui s'attache toujours à une position indé pendante; elles étoient donc honorables; et ce sentiment, joint à la complète liberté dont elles jouissoient, donnoit aux professeurs l'ambition de se distinguer par des travaux utiles d'enseignement ou de recherches, dans la carrière qu'ils avoient embrassée. Aussi a-t-on vu, en peu d'années, sortir de ces écoles tous les meilleurs livres élémentaires que nous possédons aujourd'hui, et auxquels on doit la rénovation de l'enseignement scientifique. Voilà, selon nous, les causes véritables qui ont ranimé les sciences en France après les orages de 1793, et qui ont contribué à les élever au point où elles se trouvent encore, beaucoup plus que ne l'ont pu faire les décorations, les duchés, les ambassades et les marquisats.

Au reste, depuis long-temps les écoles centrales de département n'exis tent plus en France; le pouvoir les a brisées comme des instruinens trop actifs de développement intellectuel. Par des motifs à-peu-près pareils, l'école polytechnique a aussi reçu depuis lors une direction moins élevée et moins générale. Ces deux coups portés au système progressif, ont déjà considérablement affoibli en France l'étude des hautes mathématiques, qui n'y subsiste plus guère que dans quelques chaires du collège de France; de sorte qu'à moins de prompts remèdes, d'ici à peu de temps, les savans anglais pourront bien ne plus dire qu'ils ont abandonné une lice sans espoir. Ces écoles centrales, vrai besoin de la France, ne pourroientelles donc pas renaître aujourd'hui, et, en rendant à la classe moyenne de la société le système d'instruction usuelle qui lui est le plus universelle

ment convenable, rouvrir aussi aux jeunes professeurs la carrière de Jiberté qui ranimeroit leur émulation? Car la liberté et l'isolement favo risent le développement du talent véritable. C'est ainsi qu'en Angleterre ; par exemple, malgré l'abandon où les savans sont laissés par le gouverne! ment, et peut-être à cause de cet abandon même, le hasard qui les dis perse sur toute la surface du royaume, donne à leurs recherches scientis fiques un caractère d'originalité solitaire et indépendante qui se rencontre rarement au même degré dans les productions des compagnies savantes; et qui n'est pas un de leurs mérites les moins saillans. On ne voit pas aussi fréquemment ailleurs surgir tout-à-coup de l'obscurité un docteur Jenner avec la découverte de la vaccine, un docteur Wels avec son traité de la rosée, Dalton avec la théorie des proportions définies, et Watt avec la théorie et la construction complète de la machine à vapeur toute prête à être mise en action.

Après les emplois rétribués établis par le gouvernement, les si nces peuvent encore recevoir des sociétés littéraires une excitation puissante. En Angleterre, la Société royale de Londres se trouve au premier rang de ces institutions, et elle a pendant long-temps paru suffire; mais l'extension donnée aujourd'hui à toutes les branches des sciences; et l'intérêt spécial que chacune de ces branches fait naître dans ceux qui la cultivent, ont, depuis quelques années, déterminé la formation d'un grand nombre d'associations libres, chacune consacrée à un seul objet, et qui, de même que la Société royale, se soutiennent par les seules subventions de leurs membres. M. Babbage discute successivement les con> 'ditions de ces diverses sociétés et leur degré d'utilité relative; mais je 'dirai avec regret qu'il traite la Société royale avec une extrême amertume, Ses accusations contre les influences qui la dirigent et y distribuent les emplois ou les récompenses, sont de la dernière gravité. Je me garderai de les répéter ici, considérant comme déjà trop qu'elles soient publiées dans son ouvrage. Sans doute les dissensions intestines des corps littéraires sont déplorables, et ceux qui ont l'obligation d'y prendre part, ou seulement d'en être témoins, peuvent bien quelquefois s'en trouver révoltés; mais quel bien fait-on aux sciences en les publiant? aucun sans doute. On peut tout au plus satisfaire l'amour-propre de la médiocrité ignorante, qui se complaît à voir les hommes qu'elle ne peut égaler, ramenés à son niveau par leurs passions: or c'est là un triste genre de succès, et il est peu fait pour un caractère aussi élevé que M. Babbage. Nous nous bornerons donc içi à déplorer cette erreur de son honnêteté, et nous souhaiterons pour les sciences qu'il fasse bientôt de son talent un autre usage que de donner des armes à leurs ennemis, .

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