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ce qui ne concerne pas la Chine elle-même (1). Il avoue maintenant qu'on se tromperoit beaucoup, si l'on s'attendoit à trouver dans cette histoire un livre qui contint tous les secours, qui rendit superflus les ouvrages des historiens chinois et musulmans sur les Mongols, et il prévient qu'on ne doit pas se scandaliser de voir qu'une multitude de faits appartenant à l'histoire des Mongols, ou ayant avec elle une étroite liaison, sont chez son auteur, ou complètement omis, ou exposés d'une manière erronée (2). Je ne cite pas ces deux jugemens opposés pour en relever la contradiction. Il y a du mérite à l'auteur à être revenu sur une opinion hasardée, nonseulement parce qu'on est généralement enclin à s'exagérer l'importance des matériaux dont on a fait la découverte, mais encore parce que les premières assertions de M. Schmidt ayant été vivement combattues, il a dù se défendre de cette disposition trop commune à laquelle on cède en s'attachant à des paradoxes, uniquement parce qu'après les avoir avancés, on répugne à en reconnoître la futilité.

Suivant M. Schmidt, il est notoire que le nom de Mongol étoit inconnu avant le XIII° siècle. Le peuple qui prit alors ce nom, et qui, par une subite et puissante irruption dans le monde, conquit une place durable dans l'histoire, avoit auparavant été formé d'une multitude de branches plus ou moins considérables, et qui chacune avoit son nom et son chef particulier. Plusieurs de ces branches s'accrurent temporairement par la soumission des plus foibles, et constituèrent, sous différens noms, des nations dont les princes prirent des titres élevés et surent acquérir la puissance la plus illimitée. La Chine, exposée à leurs incursions, se vit souvent arracher par cux des portions de territoire, où ils établirent de petites dynasties. Leur domination étoit généralement de peu de durée; des troubles intestins, ou l'accroissement de quelque autre tribu, les affoiblissoient et les ramenoient bientôt à leur nullité primitive. Ils seroient demeurés tout-à-fait étrangers aux souvenirs de l'histoire, si les Chinois n'avoient pris soin de recueillir leurs traditions, aussi bien que leurs noms et ceux de leurs princes, quoique d'une manière qui les altère étrangement et les rend méconnoissables. Telle est l'idée que s'est formée l'auteur; et bien

(1) Die chinesischen Chroniken sind äusserst unzuverlässig in allem was nicht China selbst betrifft. Mines de l'Orient, tome VI, page 321.—(2) Diejenigen die ein Werk erwarten, welches in seiner Art allen Forderungen genügt und die Werke der chinesischen und muhammedischen Geschichtschreiber über die Mongolen überflüssig macht, werden sich getäuscht finden, ja Manche möchten daran Anstoss nehmen dass eine Menge, zur Geschichte der Mongolen gehörige und mit denselben eng verbundene Thatsachen theils gänzlich übergangen, theils fehlerhaft dargestellt sind. Gesch. u. s. w. Vorrede, pag. x.

II

qu'avec une lecture assidue des auteurs chinois, on puisse parvenir à reconnoître beaucoup des noms altérés dont il est ici question, et que le nom même des Mongols, pour une époque antérieure de plusieurs siècles à Tchingkis-khakan, en soit peut-être la preuve (1), on ne peut nier que tel n'ait été en effet l'état de la nation mongole avant le XIII° siècle. A cette époque, elle n'avoit pas encore d'écriture, et par conséquent les traditions qui se rapportoient aux temps anciens étoient transmises par une communication orale, ce qui faisoit qu'elles dégénéroient en fables et finissoient par se perdre. On s'attachoit avec plus de soin à conserver les généalogies; mais comme chaque fondateur d'une dynastie nouvelle vouloit rapporter son origine à la divinité, il étoit difficile que cette généalogie ne se trouvât mêlée de fables empruntées à des généalogies antérieures. Ce ne fut que plus de vingt ans après la mort de Tchingkis que les Mongols commencèrent à avoir une écriture en propre. Il se passa encore quelque temps avant que l'usage en fût devenu général et qu'elle servit à la composition des livres. Il ne manqua pas alors de chroniques nationales chez les Mongols; mais plus tard, elles coururent le risque d'une destruction totale. L'expulsion des Mongols en Chine, l'influence turque en Perse, avoient empêché qu'on ne conservât dans ces deux pays les monumens de l'histoire des Tartares sous leur forme originale. Le bouddhisme tomba en décadence chez les Mongols, ou ne les empêcha pas de revenir, selon M. Schmidt, à un état social qui ne différoit guère de celui où ils avoient été originairement, que parce qu'ils avoient conservé l'usage de l'écriture. Cet état dura l'espace d'environ deux cents ans, au milieu de guerres intestines perpétuelles, et sous des princes dont quelques-uns eurent la sagesse d'introduire de nouveau la religion bouddhique chez leurs sujets, et l'habileté de la répandre universellement parmi eux. Ce fut peu après cette époque, et lorsque la domination des Mandchous eut prévalu, que vécut Sanang-Setsen, prince de la race de Tchingkis, et chef de la tribu des Ordos. II commença à écrire son histoire après que la plus grande partie des tribus mongoles eurent reconnu la souveraineté des empereurs mandchous.

Par ces observations M. Schmidt se propose de déterminer le point de yue sous lequel doivent être considérées les histoires mongoles écrites par des auteurs de nations différentes, et qu'on ne peut que dans une petite partie regarder comme vraiment nationales. Ce qu'on en possède, à l'exception de l'histoire de Sanang-Setsen, est un précieux reste des collec

(1) Recherches sur les langues tartares, tom. I, pag. 240-Journal asiatique, tom. II, pag. 211.

tions rédigées sous les ordres des monarques les plus célèbres, au temps où florissoit la puissance mongole; mais ces matériaux ont été élaborés par la main des étrangers, de sorte qu'il ne nous en a été conservé que ce qui nous a été transmis par cet intermédiaire. Or, bien qu'on soit redevable à ces étrangers d'importans accroissemens en ce qui rentroit dans le cercle de leurs moyens, nous sommes obligés de les recevoir, à défaut de documens authentiques et originaux, avec toutes les erreurs et les additions qui ont pu s'y glisser par l'effet de connoissances imparfaites, d'une orthographe et d'une explication fautives des noms, et aussi par l'effet des haines nationales ou des préjugés religieux. Malgré ces imperfections, M. Schmidt convient que les traditions historiques recueillies par les écrivains chinois et musulmans, conservent une valeur réelle. Les unes et les autres se rectifient et se complètent réciproquement; et ce n'est pas un médiocre avantage: en effet, les événemens dont l'Asic orientale a été le théâtre sont racontés avec plus de méthode et d'exactitude par les peuples qui étoient plus à portée de les connoître, et, d'un autre côté, les Persans et les Arabes ont été mieux informés de ce qui concernoit les dynasties de l'occident, avec lesquelles ils s'étoient trouvés en contact. Il n'y a que la dynastie du Tchakhataï et des enfans de Djoutchi qu'il nous reste peu d'espoir de connoître, parce qu'autant que nous pouvons le savoir, elles n'ont pas eu d'historien particulier, et que les traditions qui les regardent en sont devenues plus décharnées et sujettes à plus de lacunes.

M. Schmidt ne se dissimule pas les désavantages que son auteur Samang-Setsen peut présenter, quand on le considère comme historien. On conçoit qu'il n'ait presque rien dit des actions des Mongols occidentaux ni des dynasties qu'ils ont fondées; cela peut provenir en partie de ce. que ces circonstances étoient déjà de son temps tombées dans l'oubli chez sa nation, et de ce qu'il ne savoit que peu de chose ou rien du tout sur ces branches alliées, séparées des autres sous tous les rapports: mais on ne peut excuser aussi facilement les fàcheux anachronismes et les autres graves inexactitudes qu'il a commis dans le récit de la vie et les actions de Tchingkis, non plus que la légèreté avec laquelle il traite l'histoire de la dynastie des Mongols de la Chine. Si l'on a quelquefois à se plaindre de la prolixité de certains écrivains orientaux, et des détails qu'ils prodiguent sur des sujets insignifians, on doit relever la briéveté exclusive qui rend souvent celui-ci obscur, ou qui le fait sauter par-dessus des objets nécessaires et dignes d'être connus. Ajoutez à cela qu'en bouddhiste zélé, il s'arrête avec complaisance sur ce qui est relatif à la religion: c'est ce qu'il a principalement en vue, et c'est à quoi il ramène tout; tellement que le reste des circonstances historiques se trouve rejeté dans l'ombre, ou traité à

peu-près comme des accessoires. On verra, quand nous en viendrons à l'analyse de l'ouvrage de Sanang-Setsen, que cette disposition d'esprit a contribué, plus encore que ne le fait entendre ici le traducteur, à jeter de l'obscurité et de la confusion sur une des parties les plus curieuses de son histoire, celle qui se rapporte aux temps antérieurs à Tchingkis, et que. telle est en particulier la cause qui lui a fait substituer, en beaucoup d'endroits, des légendes bouddhiques aux anciennes traditions tartares, et dénaturer, pour ainsi dire, toutes leurs antiquités. Cela n'empêche pas que les récits de l'auteur mongol, quelque peu satisfaisans qu'ils paroissent à cet égard, soit par l'effet des erreurs et des omissions qu'on y remarque, ou par les vues partiales qu'on peut lui reprocher, ne contiennent, sous d'autres rapports, beaucoup de choses neuves et d'une véritable utilité. Telle est, par exemple, toute la partie qui concerne les temps modernes, depuis la fin de la dynastie Youan et l'expulsion des Mongols de la Chine, jusqu'à l'établissement de la dynastie des Mandchous, partie qui, sans l'ouvrage de Sanang-Setsen, formeroit comme une grande lacune qu'on essaicroit vainement de combler à l'aide des secours étrangers. Ce n'est pas que, comme le suppose M. Schmidt, les annales chinoises soient, pour le temps de la dynastie des Ming, complètement dépourvues de détails sur les pays voisins de la Chine; une seule collection chinoise pourroit aisé, ment fournir, şur les Mongols de cette contrée et pour l'époque dont il s'agit, des matériaux historiques qui rempliroient un volume aussi gros que toute la chronique de Sanang-Setsen: mais ces, documens ne seroient, il faut l'avouer, ni aussi authentiques, ni aussi bien liés, que le sont les renseignemens qui remplissent les 6o, 7, 8° et 9 sections de l'ouvrage mongol. Il leur manqueroit toujours le caractère d'originalité qui distingue uné chronique nationale, et qui donne une véritable valeur à celle de. Sanang-Setsen.

M. Schmidt expose les effets que l'intraduction du bouddhisme a cus chez les Mongols, dont cette religion a considérablement adouci les mœurs, et presque entièrement changé le caractère. Au nombre de ces effets, il compte avec raison l'introduction de la littérature de l'Hindoustan et du Tibet, naturalisées au milieu des steppes sauvages de la Mongolie. Quant à la littérature du Tibet, elle n'avoit que peu de chose à perdre à cette transmigration; et les vallées de l'Himalaya, non plus que les plaines de l'Asie, centrale, n'avoient rien à s'envier sous le point de vue littéraire. Les Tibetains seulement avoient, plutôt que les Tartares, commencé à traduire du sanscrit des livres de religion. Les Mongols, à leur tour, se sont appliqués, avec une étonnante assiduité, à faire passer dans leur langue les ouvrages bouddhiques de l'Inde et du Tibet; les princes, les grands et les prêtres

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ant pris des noms indiens et tibetains. Les Mongols se sont donné la dernière place dans les trois divisions du Djambou-dwipa, dont les principaux peuples sont, suivant eux, Hendkek, Tabet, Mongol. Les familles de leurs princes ont rattaché leurs généalogies à la race des anciens rois de l'Inde et du Tibet; et il est arrivé de là infailliblement que leur histoire à pris la couleur de leur religion; et comme ils comptoient pour rien toutes ces affaires humaines qui ne servoient plus à rehausser leur éclat, ils n'ont jugé digne d'être conservé que ce qui avoit de l'importance pour la religion. Hs ne relèvent la vie que de ceux de leurs princes qui ont favorisé lagrandissement de cette religion, et qui, pour ce motif, sont regardés comme élant d'une naissance signalée où comme des émanations des intelli-, gences bouddhiques. C'est dans cet esprit que notre auteur a écrit la vie, des princes mongols. Aussi peut-on avancer que son ouvrage est infiniment plus intéressant comme recueil de traditions bouddhiques que comme une véritable histoire des peuples tartares; et c'est ce que le traducteur semble avouer, quand il dit que le désavantage qu'a son original de ne pas contenir, un simple récit de faits historiques, est bien racheté par l'avantage de renfermer une multitude de choses sur le Tibet et les annales de ce pays, lesquelles ont été ignarées jusqu'ici, parce que la littérature tibetaine est encore sous le sceau. Nous allons voir, en effet, que l'histoire des Mongols onientaux est, à proprement parler, un composé de légendes bouddhiques et de traditions tibetaines, auxquelles on a rattaché, comme on a pu, les généalogies de la famille de Tchingkis, et les chroniques de quelques-uns des états qu'elle a fondés dans la partie orientale de l'Asie.

Le premier des dix chapitres dont se compose l'ouvrage de Sanang-Setsen s'étend depuis le commencement du monde jusqu'à la mort de Shakiamouni, époque de l'établissement du bouddhisme, qui est, comme on sait, l'ère en usage chez tous les peuples où cette religion est dominante, et que les Mongols font remonter à l'an 2134 avant J. C. Ce n'est pas ici le hieu de discuter cette date, qui s'éloigne beaucoup de celle qu'assignent au même événement les bouddhistes des contrées méridionales, et qui est même de plus de mille ans antérieure au calcul chinois le plus exagéré Sanang-Setsen commence, à la manière indienne, par une invocation qu'il adresse d'abord à Mandjougosha, le même que Mandjousri, ici sur+{ Hommé l'Harmonieux. Le traducteur, dans ses notes (1), cite l'autorité de: M. Wilson (2), qui appelle ce personnage un des saints des Djaïnas. Mais M. Hodgson a déterminé plus récemment la place qu'il devoit occuper dans la hiérarchie théologique, où il joue le rôle de demiourgos du monde

(1) Pag. 300. — (2) Sanscrit Dictionary, p. 638, voc. Mandjousri.

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