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XVII.

M. Dollier et M. de Galinée prennent possession de ces pays au nom du Roi. Les Missionnaires demeurèrent cinq mois et onze jours dans le lieu où ils avaient construit leur cabane; et avant d'en partir, pour continuer leur voyage, ils firent une action qui mérite d'être rapportée. Ce fut d'aller tous ensemble au bord du lac Erié, et d'y planter une croix le dimanche de la Passion, 23 mars, en mémoire d'un si long séjour de Français dans ces terres. De plus, imitant le noble et généreux exemple de JacquesCartier, qui, avant de quitter les rives du fleuve Saint-Laurent, y avait arboré sur une croix les armes de France, pour prendre possession du pays au nom de François 1er, M. Dollier et M. de Galinée firent attacher au pied de la croix qu'ils avaient plantée les armes de Louis XIV, avec une inscription qui attestait cette prise de possession, et en dressèrent un procès-verbal conçu en ces termes; "Nous, soussignès, certifions avoir vu "afficher sur les terres de lac nommé Erié les armes du Roi de France, "avec cette inscription: L'an du salut 1669, Clément IX étant assis sur "la chaire de saint Pierre, Louis XIV régnant en France, M. de Cour"celles étant Gouverneur de la Nouvelle-France, et M. de Talon y étant "intendant pour le Roi sont arrivés en ce lieu deux Missionnaires du "Séminaire de Montréal, accompagnés de sept autres Français, qui, les "premiers de tous les peuples Européens, ont hiverné en ce lac, dont, comme d'une terre non occupée, ils ont pris possession, au nom de leur "Roi, par l'apposition de ses armes, qu'ils ont attachées au pied de cette "croix. En foi de quoi nous avons signé le présent certificat.

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FRANÇOIS DOLLIER, prêtre,

Du diocèse de Nantes, en Bretagne,
DE GALINÉE, diacre,

Du diocèse de Rennes, en Bretagne.

XVIII.

Accident qui oblige les missionnaires de reprendre le chemin de Villemarie. Le lendemain de l'Annonciation, 26 mars, ils partirent de là pour continuer leur marche. Elle devint extrêmement difficile, tant à cause du grand nombre de rivières qu'ils eurent à traverser, que de la disette de vivres qu'ils éprouvèrent bientôt; et, dans cette rude nécessité, M. Dollier et M. de Galinée furent réduits à se priver d'une partie de leurs portions en faveur de leurs hommes, afin de pouvoir les envoyer à la chasse. Le jour de Pâques étant venu, ils s'arrêtèrent pour célébrer la fête, et tous firent leur Communion pascale avec une singulière consolation. Partis de nouveau, ils arrivèrent à une longue pointe, marquée par M. de Galinée sur sa carte, après avoir fait vingt lieues ce jour-là. Etant tous très-fatigués, ils se contentèrent de porter leurs canots à terre, ainsi

qu'une partie de leurs hardes; et laissant le reste près de l'eau, sur le sable, ils se couchèrent et s'endormirent bientôt, sans prévoir ce qui allait leur arriver. Pendant la nuit, il s'éleva un vent du nord-est très-violent, qui agita le lac Erié avec tant de furie, que l'eau monta de six pieds et emporta les hardes d'un des canots des Missionnaires. Elle eût même emporté toutes les autres par l'impétuosité de ses vagues, si l'un de la troupe ne se fût éveillé et n'eût donné promptement l'alarme. Tous se lèvent aussitôt, courent sur les hardes pour les mettre en sûreté, mais sans rien recouvrer des premières qu'un baril de poudre qui flottait sur le lac. Le plomb même fut emporté, ou plutôt il fut enfoncé si avant dans le sable, qu'on ne put jamais l'en retirer. Ce qu'il y eut de plus fâcheux, c'est que toute la chapelle de M. Dollier fut entièrement perdue, et cet accident, qui les mettait tous hors d'état de recevoir le sacrement de l'Eucharistie et de le procurer à d'autres, leur fit prendre la résolution de retourner à Montréal pour se fournir d'une autre chapelle, comme aussi de marchandises, afin de les échanger pour des vivres, chez les sauvages, qui ne connaissaient pas d'autre monnaie.

XIX.

Les missionnaires se rendent à Sainte-Marie-du-Sault pour regagner de la Villemarie. Comme le chemin des Outaouas leur parut presque aussi court que celui par où ils étaient venus, ils prirent le parti d'aller à Sainte-Marie. du-Saut, où ces sauvages s'assemblaient, espérant de descendre de là avec eux à Villemarie; et après avoir fait environ cent lieues de naviga. tion, ils arrivèrent à l'endroit par où la mer douce des Hurons se décharge dans le lac Erié. A six lieues de là, ils rencontrèrent un endroit fort vénéré de tous les sauvages de ces pays, à cause d'une idole de pierre, que ceux-ci croyaient se rendre favorable en lui offrant des présents et des sacrifices, pour obtenir une heureuse navigation sur le lac Erié. Cette pierre, que les Iroquois leur avaient fort recommandé d'honorer en passant, n'avait cependant d'autre rapport avec la figure humaine que celui que l'imagination grossière de ces barbares lui donnait, quoique pourtant on y eût peint avec du vermillon une espèce de visage grotesque. Après la perte de notre chapelle et la disette de vivres que nous avions éprouvée, ajoute M. de Galinée, il n'y avait personne dans notre troupe qui ne fût plein de haine contre ce faux dieu. Je consacrai une de "mes haches pour casser cette divinité de pierre; puis ayant accosté nos "canots ensemble, nous portâmes le plus gros morceau au milieu de la "rivière et jetâmes aussi tout le reste à l'eau, afin qu'on n'en entendit jamais plus parler."

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A quatre lieues de là, les voyageurs entrèrent dans un petit lac appelé par Samson, dans sa Géographie: le Lac des eaux salées, où cependant ils ne trouvèrent aucune marque de sel; et arrivèrent enfin à la mer

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douce des Hurons, qui a de six à sept cents lieues de tour, et que les Algonquins appellent Michigané. Ils y firent environ deux cents lieues et quoiqu'ils se vissent fréquemment à la veille d'y manquer de vivres, la Providence vint encore ici à leur secours. "Nous n'avons jamais été plus "d'un jour sans nourriture, dit à ce sujet M. de Galinée. Il est vrai qu'il nous est arrivé plusieurs fois de nous voir dépourvus de tout, et de passer le soir et le matin sans avoir absolument rien à mettre à la chau"dière. Mais nous étions tellement accoutumés à nous voir secourus "dans ces occasions, par la bonté divine, que nous en attendions avec, tranquillité les effets, dans la pensée que Celui qui nourrit dans ces "bois tant de barbares n'abandonnerait pas ses serviteurs." Ils côtoy èrent ainsi ce lac, ou la mer douce, sans aucun péril, entrèrent ensuite dans le lac des Hurons, et arrivèrent enfin, le 25 mai, jour de la Pentecôte, à Sainte-Marie-du-Saut, où ils se firent annoncer par quelques décharges de fusil.

XX.

Réception des missionnaires à Sainte-Marie; ils descendent à Montréal.

Les PP. Jésuites venaient d'y établir leur principale résidence pour les missions des Outaouas et des peuples voisins; et depuis un an ils y entretenaient deux hommes qui leur avaient bâti avec des pieux de cèdre, de douze pieds de hauteur, un joli Fort carré, renfermant une chapelle avec une maison; et tout auprès du Fort ils avaient préparé un vaste champ d'où l'on espérait se procurer du pain avant deux années. Les voyageurs y furent reçus avec toute la charité possible par les Pères Dablon et Marquette qui y résidaient, et assistèrent ce jour-là même à une partie des Vêpres. Enfin, les deux jours suivants, ils firent leurs dévotions avec d'autant plus de joie, que depuis près d'un mois et demi ils étaient tous privés de ce bonheur. S'ils assistèrent aux Vêpres, à leur arrivée, le jour de la Pentecôte, c'est qu'il y avait alors des Français au Saut SainteMarie, souvent au nombre de vingt ou vingt-cinq, qui s'assemblaient pour la Grand' Messe et les Vêpres, les dimanches et les jours de fêtes. (*)

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(*) M. de Galinée fait ici une remarque qui montre la pureté du zèle qui animait les PP. Jésuites dans cette Mission. Quoiqu'il y eût au Saut Sainte-Marie quelques sauvages baptisés, il n'y en avait pourtant pas un seul, dit-il, qui fût assez bon catholique pour être admis à assister à l'office divin. "En sorte, ajoute-t-il, qu'au lieu appelé la Pointe du "Saint-Esprit, au fond du lac Supérieur, où se sont retirés les restes des Hurons depuis "l'incendie de leurs villages, le Père qui passa l'hiver avec eux (probablement le P. Marquette,) me dit que, quoiqu'il y en eût un grand nombre autrefois baptisés, lorsque les Missionnaires étaient aux Hurons, il n'avait pourtant jamais osé dire devant eux la "sainte Messe, sachant qu'ils regardaient cette action comme une jonglerie de sorcier." C'est ce qui explique pourquoi le P. Le Mercier, dans la Relation de cette même année 1670, parle de la piété de ces sauvages en des termes fort réservés: "Les Hurons, dit-il, "qui sont à la Pointe du Saint-Esprit au nombre de quatre à cinq cents, conservent un 'veu de christianisme."

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Se voyant à plus de trois cents lieues de Villemarie, M. Dollier et M. de Galinée désiraient de s'y rendre au plus tôt, afin de pouvoir de là aller hiverner chez les Outaouas, et de se rendre, au printemps suivant, vers le Mississipi pour en évangéliser les peuples. Ils cherchèrent donc un guide qu'ils trouvèrent fort à propos, et prirent congé des PP. Dablon et Marquette, le 28 mai. Leur voyage fut très-heureux; il est même à remarquer que, n'ayant fait que dix-sept ou dix-huit portages en descendant (quoiqu'on en fît alors en montant quarante ou même quarante-cinq), ils n'essuyèrent aucun accident au milieu de ces bouillons impétueux. C'est qu'ils avaient un fort bon guide et des hommes très-habiles dans cette sorte de navigation. Ils arrivèrent ainsi à Villemarie le 18 de juin, après vingt-deux jours d'une marche la plus fatigante qu'ils eussent jamais faite de leur vie. Aussi, sur la fin du voyage, M. de Galinée fut-il atteint d'une fièvre tierce, qui, par l'abattement où elle le mit, ne modéra pas peu la joie qu'il avait de se retrouver enfin au milieu de ses frères.

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XXI.

M. de Galinée trace la carte et écrit la relation de ce voyage.

Dès qu'il fut rétabli, il traça la carte et composa la Relation détaillée de ce voyage, qu'il termina par les observations suivantes (1): "Tout le "monde a souhaité que je dressasse la carte de notre voyage: ce que j'ai "fait avec assez d'exactitude. Je n'y ai marqué que ce que j'ai vu: ainsi vous ne trouverez qu'un seul côté de chaque lac, puisque leur largeur "est si grande qu'en côtoyant un bord on ne peut voir l'autre. Je l'ai "faite en carte marine, c'est-à-dire, que les méridiens ne s'y rétrécissent point auprès des pôles, parce que j'ai plus d'usage de ces sortes de cartes "que des cartes géographiques; et au reste, celles-là sont communément "plus exactes que les autres." C'est la première carte qui ait fait connaître ces vastes contrées. L'année suivante, les PP. Jésuites en donnèrent une des pays où étaient placées leurs Missions outaouoises, qui fut reproduite encore en 1672. Dès que sa carte fut achevée, et avant d'y avoir mis la dernière précision, M. de Galinée l'envoya, avec la Relation de son voyage, à une personne qu'il ne fait pas connaître par son nom. "Je vous envoie cette carte telle qu'elle est, lui dit-il, me proposant d'en corriger les défauts quand j'en aurai le loisir, et je vous prie d'avoir la "bonté de l'agréer parce que je l'ai faite présentement pour vous." Il en remit un exemplaire à M. de Fénelon, qui fit un voyage à Paris cette même année, et c'était apparemment de cette première rédaction que M. Talon parlait à Colbert dans sa dépêche du 29 août 1670: "M. l'abbé " de Fénelon, tiré du Séminaire de Saint-Sulpice, a fait une Mission chez

(1) M. Dollier composa aussi, de son côté, une Relation de ce voyage, comme il nous l'ap prend lui-même dans son Histoire du Montréal, mais nous n'avons pu en retrouver aucune copie.

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"les Iroquois avec lesquels il a hiverné, et en tout ce qu'il a pu, il a tra"vaillé à me donner les connaissances (des lieux) que je ne pouvais avoir 66 que par lui. Un autre Missionnaire de Saint-Sulpice a percé plus avant que lui afin de me donner la connaissance d'une rivière que je cherchais "pour faire la communication du lac Ontario au lac des Hurons. Il a "fait une carte de son voyage; elle est entre les mains de M. de Fénelon, "et peut faire un assez juste sujet de votre curiosité. "

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XXII.

Avantages de la prise de possession des lacs Erié et Ontario.

M. de Galinée rectifia bientôt cette carte; et, de concert avec M. Dollier, en envoya un exemplaire à M. Talon avec le procès-verbal de la prise de possession, au nom du Roi, de tous les pays qu'ils avaient parcourus. M. Talon fit parvenir ces pièces à la Cour, et la carte fut déposée aux archives; on la conserve encore aujourd'hui, en original, au dépôt des colonies. (1) L'idée heureuse qu'avaient eue M. Dollier et M. de Galinée d'aborder, avec la Croix, les armes de France sur ces terres, en signe de prise de possession, au nom du Roi, et d'en dresser un procèsverbal, fut fort goûtée par M. Talon. Il écrivait: "Je ne dois pas "oublier de vous faire connaître que M. l'abbé de Queylus fournit aux "Missions des sujets qui s'en acquittent dignement et utilement pour le "Roi par les découvertes qu'ils font, et déjà MM. Dollier et de Galinée, prêtres de Saint-Sulpice, ont parcouru le lac Ontario et visité des nations "inconnues..Je ferai planter, partout où les sujets du Roi se porteront, "les armes de Sa Majesté avec celles de sa religion, estimant que si ces précautions ne sont pas présentement utiles, elles peuvent le devenir "dans une autre saison. On assure que la pratique des Iroquois est "d'arracher les armes et les placards des écrits qu'on attache aux arbres "des lieux dont on prend possession, et les portent aux Anglais. Ainsi "cette nation peut connaître par là qu'on prétend en demeurer les maîtres." Comme l'assurait M. Talon, ces pièces eurent dans la suite leur utilité pour la France. Car nous voyons que, dans les discussions survenues plus tard avec l'Angleterre, le gouvernement français envoya à Londres, le 13 mai 1687, le certificat de MM. Dollier et de Galinée sur cette prise de possession, et la carte de leur voyage pour appuyer les droits que la France prétendait avoir sur les lacs Erié et Ontario et sur les pays environnants.

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XXIII.

M. Talon fait prendre possession du pays des Outaouas.

Ce voyage de MM. Dollier et de Galinée, quoique sans résultat pour la conversion des sauvages, qu'ils avaient eu dessein d'aller évangéliser, eut (1) C'est de là, dit M. Faillon, que nous l'avons tirée pour la placer dans notre ouvrage, comme un monument du temps qui peut servir à l'histoire de la géographie du Canada.

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