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SIMON PIERRE ET SIMON-LE-MAGICIEN.

IX. LES DERNIERS JOURS DE PIERRE ET DE PAUL.

Rome tout entière, dans les groupes populaires, comme dans les cercles desatriciens, ne parlait que du brillant triomphe d'Auguste. La tourbe des Augustani, les histrions impériaux et le menu fretin de la cour renforçaient les nouvelles courantes en racontant les prouesses de Néron dans la Grèce. Hercule, malgré ses douze travaux, n'arrivait pas à la cheville de Néron, avec lequel il ne pouvait aucunement soutenir la comparaison. Ce qu'il y avait de plus admirable, c'était que le valeureux César avait mené à bonne fin tant de prodiges en quelques mois à peine. Désormais, Néron était sorti de la condition humaine; il était dieu autant et plus que Jupiter Optimus Maximus. L'Olympe l'avait reconnu, Rome devrait s'en souvenir au besoin. A toutes ces fanfaronnades, les quelques honnêtes gens qui avaient encore à cœur le nom romain, éclataient de dépit et de honte. Les riches pensaient sérieusement au trésor public mis à sec, et à leurs propres bourses, auxquelles incomberait l'obligation de le remplir de nouveau. Les citoyens illustres tremblaient, à toute heure du jour ou de la nuit, de voir arriver et s'arrêter à leur porte le porteur d'un ordre impérial qui leur commanderait la maladie ou la mort: cet ordre était souvent accompagné des médecins de Néron, chargé de mener rondement le cure (*).

Les chrétiens, au contraire, fermes et préparés à tout événement, lâchaient de parer avec résignation à leurs malheurs privés et aux malheurs communs. Ils formaient un peuple nouveau, une élite céleste qui augmentait de jour en jour, au milieu d'une plèbe terrestre et fangeuse: élevés ainsi au-dessus d'elle, purs au milieu de la corruption universelle, ils n'éprouvaient ni les joies déshonnêtes, ni les douleurs inutiles des païens. Le trône des empereurs se serait peut-être soutenu, si le peuple décrépit de Quirinus se fût laissé renouveler et rajeunir, et s'il avait uni sa cause à celle du peuple vierge qui commençait à fleurir dans le murs de Rome. Le triomphe de Néron était comme non-avenu pour les chrétiens ; beaucoup d'entre eux l'avaient vu. Ils toléraient l'empereur lui-même, comme on tolère la peste, en espérant de la Providence des temps meilleurs. Personne ne se souvenait de lui, sinon pour en accepter le joug; en un mot, ils vivaient fidèles à la patrie mondaine, mais étrangers à ses ignomi

(*) Mori jussis non amplius quam horarum spatium dabat (Nero). Ac ne quid moræ interveniret; medicos admovebat, qui cunctantes continuo curarent: its enim vocabat, venas mortis gratia incidere. (Suétone, Néron, 37).

nies, et comme des pèlerius dont l'âme se dirigeait vers une meilleure patrie.

Toutes les conversations des chrétiens, dans leurs demeures privées, n'avaient d'autre sujet que les gloires et les douleurs des chers apôtres. prisonniers. Ils se plaisaient à raconter le succès de leurs prédications dans les profondeurs de la prison et à redire les paroles qu'ils avaient pu leur entendre prononcer. Et si quelque fidèle avait pu pénétrer dans la prison Tullienne, les frères et les soeurs s'empressaient de s'informer de ce que lui avait dit chacun des apôtres et ils recueillaient ces informations comme un précieux trésor. De cette manière, la voix apostolique, devenue muette en apparence, continuait à se faire entendre dans les familles des néophytes, et dans les assemblées des églises romaines. Ce fut ainsi que les chrétiens parvinrent à connaître les moindres particularités de la chute de Simon-le-Magicien (*). Paul avait uni ses prières à celles de Pierre, dans le même instant, et, ainsi unis en esprit, les deux apôtres s'étaient levés pour demander à Dieu l'humiliation de l'impie, l'un sur la Voie Sacrée, l'autre au fond de la prison Tullienne.

-Oh! que je serais heureuses de connaître la prière que Pierre récita en ce moment! dit Pudentienne en entendant ce récit de la bouche de son père.

-Rien de plus facile. Je la tiens de Pierre lui-même; et cette prière est celle que tu aurais faite, si tu avais vu le sorcier s'élever dans les airs. "Hélas! Seigneur Jésus, dit-il, fais voir à cet homme la vanité de ses artifices, afin que le peuple, déjà habitué à la foi, ne trouve pas une cause de scandale dans ces prestiges. Permets, ô Seigneur, qu'il soit précipité, mais qu'il survive, et qu'il puisse reconnaître son impuissance (†).

-Et par une si courte prière, s'écria Pudentienne stupéfaite, Pierre l'a fait tomber à terre!

peu

de

-Quoi! dit sa sœur Praxède, cette prière te semble donc si chose? Est-ce que le seul nom de Jésus-Christ, prononcé par la bouche de Pierre, ne suffisait pas ? Ce qui me surprend, c'est que Pierre lui ait permis de s'élever dans les airs.

Pudence répondit:

-C'est là, au contraire, ce qu'il y a eu de mieux et de plus beau: laisser son ennemi, ou pour mieux se dire l'ennemi de Dieu, s'élever haut,

(*) Nous nous sommes plu à recueillir soigneusement cette tradition quelle qu'elle soit, car nous trouvons que plusieurs Pères et écrivains anciens font remarquer avec intention que Pierre et Paul prièrent ensemble. Voyez entre autres Sulpice-Sévère, Histoire Sacrée, , 28; saint Cyrille de Jérus., Catéchisme, vi, 15; saint Maxime de Turin, Homélie LXXII, édit. Migne. Saint Isidore de Séville s'exprime plus clairement encore dans sa chronique : Adjurante eos (dæmones) Petro, per Deum, Paulo vero orante, (Simon) dimissus crepuit. Nous croyons avoir concilié les diverses traditions.

(†) L'auteur de la Ruine de Jérusalem, п, 2; rapporte cette invocation. Dans les Const. apost. VI, 9, on lit une prière plus prolixe, et qui sent la main de l'interpolateur.

bien haut, et puis, par une seule petite parole, le faire tomber avec fracas, sur le pavé!

-Bien plus, ajouta Claudia, Simon devrait remercier Pierre de lui avoir sauvé la vie; car de la hauteur d'où il est tombé, il devait se rompre le cou plutôt deux fois qu'une et se broyer sur le pavé comme un crapaud.

-Que dites-vous ? demanda Pudentienne: il vivrait encore?

-Non, certes, répondit Pudence, mais il survécut quelques jours. Ses disciples le transportèrent à Aritia, pour y panser ses mains et ses pieds fracassés et sa cuisse démise.

-Après une telle leçon, il se sera sans doute repenti?

-Repenti? Il s'est si bien repenti, qu'il eut l'orgueil de tenter une seconde ascension. Il s'est jeté du haut d'un balcon de sa petite villa, nommée Brunda, et s'est fracassé tout le corps, mieux encore que la pre

mière fois.

-Et il en est mort?

-Oh! pour cette fois, il mourut, mais pas sur le coup, et sa mort ne fut point causée par sa chute.

-Voyez ! voyez ! quelle obstination! Que de bontés de la part de Dieu qui lui donna le temps de faire pénitence!

-Cela ne lui servit de rien. Quand il se vit si mal arrangé et si laid, haïssant l'existence et désespérant de jamais redevenir célèbre, il fit appeler ses disciples et leur dit: "Voyez dans quel état se trouve mon corps! eh bien! je l'ai ainsi réduit de ma propre volonté afin de vous confirmer dans mes doctrines. Tel que vous me voyez, je mourrai sous peu, et le troisième jour je ressusciterai plein de vie."

-Et ils le crurent? demandèrent en même temps les deux jeunes filles.

-S'ils le crurent! ils lui creusèrent une fosse et l'enterrèrent vivant !... -Est-ce possible? les cruels!

-Eh! c'était sa volonté et il le leur ordonna.

- Comme Dieu aveugle les superbes! Celui qui prétendait voler au ciel se fait honteusement cacher sous terre peu de temps après! Châtiments de Dieu *).

(*) L'auteur de la Ruine de Jérusalem, c. 1, dit : Fracto debilitatoque crure Aritiam concessit ; Arnobe, Contre les Gentils, II, 12, ajoute: Perlatum Brundam, cruciatibus et pudore defessum ex altissimi culminis se rursum præcipitasse fastigio. L'auteur des Philosophumena, VI, 1, 20, conclut qu'étant désormais "au moment d'être taxé d'imposture, parce qu'il persistait trop (ou mieux, parce qu'il vieillissait, car les mots dià tò éyxpovišew peuvent être pris dans l'un ou dans l'autre sens), il dit, que s'il était enterré vivant, il ressusciterait le troisième jour. Après avoir ordonné qu'une fosse fût creusée par ses disciples, il voulut qu'ils l'enterrassent. Ceux-ci exécutèrent ses ordres; et cet homme est encore sous terre, parce qu'il n'était pas le Christ." Nous avons mis en ordre les diverses traditions, comme il faut le faire pour une légende. Du reste, ce qu'était et où se trouvait Brunda, on ne le sait pas avec certitude. Le chevalier Fabiani a tenté dernièrement de traduire Brunda par Brontium (Bpovreîor)

Tels étaient les discours des fidèles, tant qu'une lueur d'espoir de délivrer les bienheureux apôtres brillait encore à leurs yeux. Ils se réjouissaient de tout leur cœur lorsqu'ils se redisaient entre eux les conquêtes des nouveaux frères que Pierre et Paul faisaient chaque jour. Leur plus grande joie fut assurément causée par la conversion des soldats qui avaient été chargés d arrêter Pierre et de garder les deux apôtres dans leur prison, car outre le salut de leurs âmes, ils voyaient dans ces soldats des moyens de communication avec les prisonniers, et des messagers les plus sûrs entre les apôtres et les chrétiens. Aussi, la douleur de les perdre fut

égale au bonheur de les avoir conquis. On découvrit que ces soldats avaient embrassé la superstition nouvelle (comme les païens appelaient alors le christianisme), et ils échangèrent la charge de gardiens des apôtres contre l'honneur de devenir leurs compagnons de chaînes et leurs frères dans le martyre. *

Dès ce moment, toute communication avec les bienheureux prisonniers devint presque impossible, et plus encore depuis que Néron était rentré dans son palais, l'âme troublée et agitée par une aveugle terreur des consplations. On craignait que le bruit de la conversion des geôliers d'exaspérât le monstre sanguinaire et ne le portât à prononcer une sentence de mort contre tous les prisonniers. D'autre part, tout espoir commençait à disparaître. Jésus-Christ avait prophétisé à son apôtre Pierre le genre de mort violente qu'il devait souffrir. La dernière épitre de Pierre, datée de sa prison, ressemblait à un testament, dans lequel on lisait ouvertement l'annoncé d'une mort prochaine. On ne saurait exprimer par des paroles les gémissements et les larmes abondantes des fidèles, lorsqu'ils en entendirent la lecture dans les églises de Rome. Les frères tremblaient à chaque instant, et ce n'était pas sans motif. Comment le souvenir de 'Pierre et de Paul ne se présenterait-il pas à l'esprit de Néron, lui qui avait entendu, en public, la lecture de l'acte d'accusation? Et s'il avait pu les oublier, le grand nombre de conversions, opérées par leur ministère durant son séjour en Grèce, ne les lui remettrait-elle pas en mémoire ? Les prodiges dont Rome était remplie ne parviendraient-ils pas à ses oreilles? Les Juifs pleins de rage contre les déserteurs de la synagogue sorte de machine employée sur les theatres pour imiter le bruit du tonnerre. Malgre toat notre désir d'accepter cette conjecture, nous ne le pouvons. En effet, à défaut d'autre raison, il est dit à propos de Brunda, que Simon se précipita ex fastigio altissimi culminis. Or, le Brontium se plaçait par terre et sous la scène. Il ne nous paraît guère croyable qu'un homme, qui avait les mains et les pieds presque entièrement brisés, ait voulu sur-le-champ se faire transporter, par le brontium, dans la hauteur des machines scéniques, pour tenter un nouvel essor. Quant à la demeure de Simon à Aritia, Lucidi, dans son M moire historique sur Aritia. 11, 1, p. 317, parle savamment d'un temple qu'on y éleva à saint Pierre, en souvenir du triomphe qu'il obtint sur Simon le Magicien; il cite aussi un sarcophage, dans lequel, d'après la tradition du pays, les cendres de Simon auraient été déposées. Mais il pense que les sculptures de ce sarcophage ne sont pas de l'époque néronienne.

• Actes des saints Processus et Martinien, rapportés par Surius, 2 juillet, et Baronius, an. 58. no 23.

ne profiteraient-ils pas de l'occasion qui leur était offerte? Et les disciples. de Simon, si nombreux et si acharnés contre les chrétiens, ne saisiraientle moment opportun pour se venger? (1)

ils pas

Praxède et Pudentienne, outre l'affliction commune, éprouvaient encore un profond chagrin en pensant à leur douce soeur Thècle, qu'elles avaient invitée à venir à Rome, au nom de Pierre. Elles tremblaient à la pensée qu'elle pourrait arriver ou trop tard pour trouver encore en vie son cher maître Paul, ou assez tôt pour le voir, de ses propres yeux, expirer sur le billot de mort, et le perdre pour toujours. Les trois évêques, Lin, Clet et Clément, vicaires de saint Pierre à Rome (2) et dépositaires des intimes secrets apostoliques, ne parlaient plus que du moyen de solenniser dignement le dernier triomphe de leurs bienheureux Pères. Ils prêtaient toutefois l'oreille aux moindres renseignements, pour ne point être frappés à l'improviste et faire en sorte que le peuple chrétien, averti de tout ce qui concernait les apôtres, pût au besoin les secourir de ses prières à leurs derniers moments. Souvaient ils tenaient conseil à ce sujet avec l'évangéliste Luc, Tite et Timothée, disciples fervents de Paul, qui, de leurs sièges épiscopaux de Crète et d'Ephèse, étaient accourus à Rome, à la première nouvelle de l'extrémité à laquelle l'Eglise se trouvait réduite. (3)

Enfin le bruit courut que César avait ordonné de vider les prisons capitolines, et l'on savait trop bien les moyens employés en pareil cas. Pudence, prenant à cœur cette triste affaire, fit tant et si bien que, par son or et son crédit, il parvint à connaître, de source certaine, la date et la teneur de la sentence de mort que Néron avait prononcée contre Pierre et

(1) Aimant à suivre les traditions qui ne sont refutées par aucun document historique, nous ne saurions nous résoudre à accepter l'opinion de ceux qui antidatent le martyre de saint Pierre et le placent avant le retour de Néron de l'Achaïe. Jusqu'à présent, nous n'en avons trouvé aucune démonstration péremptoire. Nous avons donc adopté la croyance commune: nous placons le martyre de saint Pierre et de saint Paul sous Néron, et sous Véron du moins présent à Rome, s'il ne fut pas présent au martyre, comme quelqu'un a imaginé de le dire. Voir les notes qui suivent.

(2) Voyez Bianchini, Ciacconio, Pagi, etc., dans leurs notes sur Anast. Bibl. Vitæ Rom. Pont., Edit. Migne, t. i, p. 1034-1414. Il parait suffisamment établi, par les monuments contemporains ou postérieurs, que Lin, Clet et Clement exerçaient dans Rome à peu près l'emploi que tient aujourd'hui le cardinal-vicaire: c'est pour cela que nous les appelons les Vicaires de saint Pierre.

(3) Saint Tite avait déjà été nommé au gouvernement de l'église de Crète (Tite i, 5) après avoir été envoyé précédemment pour consolider et régler les églises de la Dalmatie (11, Timoth. IV. 10) Mais il est probable qu'ayant appris le danger que couraient les apôtres 1 revint à Rome à cette époque, comme on l'affirme dans la Passion de saint Paul (Bibliothèque des saints Péres de la Bigne, t. 1,) attribuée à saint Lin, passion apocryphe, comme tout le monde le sait, mais qui sa valeur historique. Quant à la présence de saint Timothée au supplice de son maître, elle est encore vraisemblable, puis que saint Paul, déjà captif, l'avait pressé de venir à Rome, en ui disant: Festina ante hiemen venire. II Tim. Iv. 21); et Timothée était l'ami de la maison de Pudence: Salutant te (Timotheum) Eubulus, et Pudens, et. Claudia (Ibidem). L'Halloix dit que les deux saints étaient présents. Vita S. Dionys. Areop.

C. IX.

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