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SUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST.

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I.ER SERMON

POUR

LE VENDREDI SAINT.

SUR LA PASSION DE N. S. JÉSUS-CHRIST.

1

Trois sortes d'ennemis auxquels le pécheur a mérité d'être livré par son crime Jésus laissé à lui-même, abandonné à la malice des Juifs, accablé de tout le poids de la justice de son Père pour nous délivrer de ces trois sortes d'ennemis. Honte et douleur, suites naturelles de chaque péché, et causes de son agonie: avec quelle violence il éprouve ces deux sentimens. Tout l'usage de sa puissance, même naturelle, suspendu, pour laisser à ses ennemis plus de liberté de le faire souffrir. Combien inconcevable la douleur, l'oppression et l'angoisse que son ame endure sous la main de Dieu qui le frappe.

Posuit Dominus in eo iniquitatem omnium nostrum. Dieu a mis en lui seul l'iniquité de nous tous, Isai. LIII. 6.

Il n'appartient qu'à Dieu de nous parler de ses grandeurs; il n'appartient qu'à Dieu de nous parler aussi de ses bassesses. Pour parler des grandeurs de Dieu, nous ne pouvons jamais avoir des conceptions assez hautes; pour parler de ses humiliations, nous n'oserions jamais en avoir des pensées assez basses : et dans l'une et dans l'autre de ces deux choses, il faut que Dieu nous prescrive jusqu'où nous devons

porter la hardiesse de nos expressions. C'est en suivant cette règle, que je considère aujourd'hui le divin Jésus comme chargé et convaincu de plus de crimes, que les plus grands criminels du monde. Le prophète Isaïe l'a dit dans mon texte; et c'est pourquoi parlant du Sauveur, « Nous l'avons vu, dit-il, comme » un lépreux » Et nos putavimus eum quasi leprosum (1); c'est-à-dire non-seulement comme un homme tout couvert de plaies, mais encore comme un homme tout couvert de crimes, dont la lèpre étoit la figure. O saint et divin lépreux! ô juste et innocent accablé de crimes! je vous regarderai dans tout ce discours courbé et humilié sous ce poids honteux, dont vous n'avez été déchargé, qu'en portant la peine qui leur étoit due.

C'est sur vous, ô croix salutaire, arbre autrefois infâme, et maintenant adorable, c'est sur vous qu'il a payé toute cette dette; c'est vous qui portez le prix de notre salut; c'est vous qui nous donnez le vrai fruit de vie. O croix, aujourd'hui l'objet de toute l'Eglise, que ne puis-je vous imprimer dans tous les cœurs! remplissez-moi de grandes idées des humiliations de Jésus; et afin que je puisse mieux prêcher ses ignominies, souffrez auparavant que je les adore, en me prosternant devant vous, et disant: 0 Crux!

La plus douce consolation d'un homme de bien affligé, c'est la pensée de son innocence; et parmi les maux qui l'accablent, au milieu des méchans qui le persécutent, sa conscience lui est un asile. C'est,

(1) IS. LIII. 4.

mes Frères, ce sentiment qui soutenoit la constance des saints martyrs; et dans ces tourmens inouis qu'une fureur ingénieuse inventoit contre eux, quand ils méditoient en eux-mêmes qu'ils souffroient comme chrétiens, c'est-à-dire comme saints et comme innocens, ce doux souvenir charmoit leurs douleurs, et répandoit dans leurs cœurs et sur leurs visages une sainte et divine joie.

Jésus, l'innocent Jésus n'a pas joui de cette douceur dans sa passion; et ce qui a été donné à tant de martyrs, a manqué au Roi des martyrs. Il est mort, il est mort, et on lui a, pour ainsi dire, peu à peu arraché sa vie avec des violences incroyables; et parmi tant de honte et tant de tourmens, il ne lui est pas permis de se plaindre, ni même de penser en sa conscience qu'on le traite avec injustice. Il est vrai qu'il est innocent à l'égard des hommes; mais que lui sert de le reconnoître, puisque son père, d'où il espéroit sa consolation, le regarde lui-même comme un criminel? c'est Dieu même qui a mis sur Jésus-Christ seul les iniquités de tous les hommes. Le voilà, cet innocent, cet Agneau sans tache, devenu tout à coup ce bouc d'abomination, chargé des crimes, des impiétés, des blasphêmes de tous les hommes. Ce n'est plus ce Jésus qui disoit autrefois si assurément : « Qui de vous me » reprendra de péché (1) » ? il n'ose plus parler de son innocence: il est tout honteux devant son Père: il se plaint d'être abandonné; mais au milieu de ces plaintes, il est contraint de confesser que cet abandonnement est très-équitable.

(1) Joan. VIII. 46.

Vous me délaissez, ô mon Dieu : eh! mes péchés l'ont bien mérité : Longè à salute mea verba delictorum meorum (1) : C'est en vain que je vous prie de me regarder; les crimes dont je suis chargé ne permettent pas que vous m'épargniez : Longè à salute mea. Frappez, frappez sur ce criminel; punissez mes péchés, c'est-à-dire les péchés des hommes, qui sont véritablement devenus les miens. Ne croyez pas, mes Frères, que ce soit ici une vaine idée : non, le mystère de notre salut n'est pas une fiction; le délaissement de Jésus-Christ n'est pas une invention agréable: cet abandonnement est effectif; et si vous voulez être convaincus qu'il est traité véritablement comme un criminel, prêtez seulement l'oreille au récit de sa passion douloureuse.

:

Le pécheur a mérité par son crime d'être livré aux mains de trois sortes d'ennemis : le premier ennemi, c'est lui-même; son premier bourreau, c'est sa conscience. « Il est nécessaire, dit saint Augus» tin, que le pécheur soit tourmenté, en se servant » à lui-même de bourreau » Torqueatur necesse est, sibi seipso tormento (2). Ce n'est pas assez de lui-même il faut en second lieu, chrétiens, que les autres créatures soient employées pour venger l'injure de leur Créateur. Mais le comble de sa misère, c'est que Dieu arme contre lui sa main vengeresse, et brise une ame criminelle sous le poids intolérable de sa vengeance. O Jésus! ô Jésus! Jésus que je n'oserois plus nommer innocent, puisque je vous vois chargé de plus de crimes, que les plus grands malfaiteurs; on vous va traiter selon vos mérites. Au (1) Ps. XXI. I.- - (2) In Psal. XXXVI, Serm.11, n. 10, tom. IV, col. 270.

jardin des Olives, votre Père vous abandonne à vous/ même : vous y êtes tout seul, mais c'est assez pour votre supplice; je vous y vois suer sang et eau. De ce triste jardin, où vous vous êtes si bien tourmenté vous-même, vous tomberez dans les mains des Juifs, qui soulèveront contre vous toute la nature. Enfin vous serez attaché en croix, où Dieu, vous montrant sa face irritée, viendra lui-même contre vous avec toutes les terreurs de sa justice, et fera passer sur vous tous ses flots. Baissez, baissez la tête : vous avez voulu être caution, vous avez pris sur vous nos iniquités; vous en porterez tout le poids; vous payerez tout du long la dette, sans remise, sans miséricorde.

Il le veut bien, il n'est que trop juste: mais, hélas! de son chef il ne devoit rien mais, hélas! c'est pour vous, c'est pour moi qu'il paye. Joignons-nous ensemble, mes Frères, et faisons quelque chose à la décharge de ce pleige (*) innocent et charitable. Eh! nous n'avons rien à donner, nous sommes entièrement insolvables; c'est lui seul qui doit tout porter sur ses épaules. Et du moins donnons-lui des larmes, et donnons-lui du moins des soupirs, et laissons-nous du moins attendrir par une charité si bienfaisante. Vous en allez entendre l'histoire; et plût à Dieu, mes Frères, qu'elle soit interrompue par nos larmes, qu'elle soit entrecoupée par nos sanglots.

PREMIER POINT.

MES Frères, la première peine d'un homme pécheur, c'est d'être livré à lui-même; et certainement (*) Vieux terme de pratique, qui signifie celui qui sert de caution.

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