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donc vous-mêmes équitablement, et ne vous laissez pas aveugler par votre intérêt : contenez-vous dans les limites qui vous sont données, et ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse. Car en effet, chrétiens, qu'y a-t-il de plus violent et de plus inique, que de crier à l'injustice, et d'appeler toutes les lois à notre secours, si peu qu'on nous touche, pendant que nous ne craignons pas d'attenter hautement sur le droit d'autrui; comme si ces lois que nous implorons ne servoient qu'à nous protéger, et non pas à nous instruire de nos obligations envers les autres; et que la justice n'eût été donnée que comme un rempart pour nous couvrir, et non comme une borne posée pour nous arrêter, et comme une barrière pour nous renfermer dans nos devoirs réciproques.

Fuyons un si grand excès; gardons-nous bien d'introduire dans ce commerce des choses humaines cet abus tant réprouvé par les saintes Lettres, qui est la perte infaillible du droit et de la justice; deux mesures, deux balances, deux poids inégaux; une grande mesure pour exiger ce qui nous est dû, une petite mesure pour rendre ce que nous devons : car, comme dit le prophète, « c'est une chose abo» minable devant le Seigneur (1) ». Servons-nous de cette mesure commune qui enferme le prochain avec nous dans la même règle de justice; je veux dire, « faisons, chrétiens, comme nous voulons qu'on >> nous fasse : c'est la loi et les prophètes (2) ». Gardons l'égalité envers tous; et que le pauvre soit assuré par son bon droit, autant que le riche par son

(1) Prov. xx. 23. – (2) Matth. vii. 17.

crédit, et le grand par sa puissance: gardons-la en toutes choses, et embrassons par un soin égal tout ce que la justice ordonne.

Je ne puis ici m'empêcher de reprendre en passant cet abus commun d'acquitter fidèlement certaines sortes de dettes, et d'oublier tout-à-fait les autres. Au lieu de savoir connoître ce que doit fournir notre source, et ensuite de dispenser sagement ses eaux par tous les canaux qu'il faut remplir, on les fait couler sans ordre toutes d'un côté, et on laisse le reste à sec. Par exemple, les dettes du jeu sont privilégiées; et comme si ses lois étoient les plus saintes et les plus inviolables de toutes, on se pique d'honneur d'y être fidèle; non point pour ne tromper pas, car au contraire, on ne rougit pas de prendre tous les jours des avantages frauduleux, mais du moins pour payer exactement; pendant qu'on ne craint pas de faire misérablement languir des marchands et des ouvriers, qui seuls soutiennent depuis si long-temps cet éclat, que je puis bien appeler doublement trompeur et doublement emprunté, puisque vous ne le tirez ni de votre vertu, ni même de votre bourse; dont la famille éplorée, que votre vanité réduit à la faim, crie vengeance devant Dieu contre votre luxe : ou bien si l'on est soigneux de conserver du crédit en certaines choses, de

peur de faire tarir les ruisseaux qui entretiennent notre vanité, on néglige les vieilles dettes, on ruine impitoyablement les anciens amis; amis malheureux et infortunés, devenus ennemis par leurs bons offices, qu'on ne regarde plus désormais que comme des importuns qu'on veut réduire, en les fatigant,

à des accommodemens déraisonnables, ou à qui l'on croit faire assez de justice, quand on leur laisse après sa mort les débris d'une maison ruinée, et les restes d'un naufrage que les flots emportent. O droit! ô bonne foi! ô sainte équité! je vous appelle à témoin contre l'injustice des hommes; mais je vous appelle en vain; vous n'êtes presque plus parmi nous que des noms pompeux, et l'intérêt est devenu notre seule règle de justice.

Intérêt, Dieu du monde et de la Cour, le plus ancien, le plus décrié, et le plus inévitable de tous les trompeurs, tu trompes dès l'origine du monde : on a fait des livres entiers de tes tromperies, tant elles sont découvertes. Qui ne devient pas éloquent à parler de tes artifices? qui ne fait pas gloire de s'en défier? mais tout en parlant contre toi, qui ne tombe pas dans tes piéges? «< Parcourez, dit le prophète » Jérémie, toutes les rues de Jérusalem, considérez >> attentivement, et cherchez dans toutes ses places, >> si vous trouverez un homme droit et de bonne foi. » S'il y en a quelqu'un qui jure par moi, en disant : » Vive le Seigneur il se servira faussement de ce » serment même » : Circuite vias Jerusalem, et aspicite, et considerate, et quærite in plateis ejus, an inveniatis virum facientem judicium, et quærentem fidem.... Quod si etiam, Vivit Dominus, dixerint: et hoc falsò jurabunt (1). On ne voit plus, on n'écoute plus, on ne garde plus aucune mesure, quand il s'agit du moindre intérêt la bonne foi n'est qu'une vertu de commerce, qu'on garde par bienséance dans les petites affaires, pour établir son

(1) Jerem. V. 1, 2.

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crédit; mais qui ne gêne point la conscience, quand il s'agit d'un coup de partie. Cependant on jure, on affirme, on prend à témoin le ciel et la terre; on mêle partout le saint nom de Dieu, sans aucune distinction du vrai et du faux : « Comme si le parjure, » disoit Salvien, n'étoit plus un genre de crime, >> mais une façon de parler » : Perjurium ipsum sermonis genus putat esse, non criminis (1). Au reste, on ne songe plus à restituer le bien qu'on a usurpé contre les lois; on s'imagine qu'on se le rend propre par l'habitude d'en user, et on cherche de tous côtés non point un fond pour le rendre, mais quelque détour de conscience pour le retenir : on trouve le moyen d'engager tant de monde dans son parti, et on sait lier ensemble tant d'intérêts différens, que la justice repoussée par un si grand concours et par cet enchaînement d'intérêts contraires, si je puis parler de la sorte, « est contrainte de se retirer, » comme dit le prophète Isaïe : la vérité tombe par » terre, et ne peut plus percer de si grands obstacles, » ni trouver aucune place parmi les hommes » : Et conversum est retrorsum judicium, et justitia longè stetit; quia corruit in platea veritas et æquitas non potuit ingredi (2).

Dans cette corruption presque universelle que l'intérêt a faite dans le monde, si ceux que Dieu a mis dans les grandes places n'appliquent toute leur puissance à soutenir la justice, la terre sera désolée, et les fraudes seront infinies. O sainte réformation de l'état de la justice, ouvrage digne du grand génie du Monarque qui nous honore de son audience, (1) Salv. lib. iv, de Guber. Dei, n. 14, p. 87. — (2) IS. LIX. 14.

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puisse-tu être aussi heureusement accomplie, que tu as été sagement entreprise! Il n'y a rien, Messieurs, de plus nécessaire au monde, que de protéger hautement, chacun autant qu'on le peut, l'intérêt de la justice car il faut ici confesser que la vertu est obligée de marcher dans des voies bien difficiles, et que c'est une espèce de martyre, que de se tenir régulièrement dans les termes du droit et de l'équité. Celui qui est résolu de se renfermer dans ces bornes, se met si fort à l'étroit, qu'à peine se peut-il aider: et il ne faut pas s'étonner s'il demeure court ordinairement dans ses entreprises, lui qui se retranche tout d'un coup plus de la moitié des moyens, en s'ôtant ceux qui sont mauvais, et c'est-à-dire assez souvent les plus efficaces.

Car qui ne sait, chrétiens, que les hommes pleins d'intérêts et de passions, veulent qu'on entre dans leurs sentimens ? Que fera ici cet homme si droit, qui ne parle que de son devoir? que fera-t-il, chrétiens, avec sa froide et impuissante régularité? Il n'est ni assez souple, ni assez flexible pour ménager la faveur des hommes : il y a tant de choses qu'il ne peut pas faire, qu'à la fin il est regardé comme un homme qui n'est bon à rien, et qui est entièrement inutile. En effet, écoutez, Messieurs, comme en parlent les hommes du monde dans le livre de la Sapience Circumveniamus justum, quoniam inutilis est nobis (1) : « Trompons, disent-ils, l'homme » juste » : remarquez cette raison; « parce qu'il » nous est inutile » : il n'entre point dans nos néil s'éloigne de nos détours, il ne nous est (1) Sap. 11. 12.

goces,

d'aucun

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