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SECOND POINT.

LE second chef de l'accusation que j'intente contre l'honneur du monde, c'est de vouloir donner du crédit au vice, en le déguisant aux yeux des hommes. Pour justifier cette accusation, je pose d'abord ce premier principe, que tous ceux qui sont dominés par l'honneur du monde sont toujours infailliblement vicieux; il m'est bien aise de vous en convaincre. Le vice, dit saint Thomas (1), vient d'un jugement dérégle: or je soutiens qu'il n'y a rien de plus déréglé que le jugement de ceux de qui nous parlons; puisque se proposant l'honneur pour leur but et leur fin dernière, il s'ensuit qu'ils le préfèrent à la vertu même : et jugez quel égarement. La vertu est un don de Dieu, et c'est de tous ses dons le plus précieux; l'honneur est un présent des hommes, encore n'est-ce pas le plus grand. Et vous préférez, ô superbe aveugle, ce médiocre présent des hommes. à ce que Dieu donne de plus précieux ! n'est-ce pas avoir le jugement plus que déréglé ? n'y a-t-il pas du trouble et du renversement? Premièrement, Ô honneur du monde, tu es convaincu sans réplique que tu ne peux engendrer que des vicieux.

Mais il faut remarquer en second lieu, que les vicieux qu'il engendre, ne sont pas de ces vicieux abandonnés à toute sorte d'infamies. Un Achab, une Jézabel dans l'Histoire sainte; un Néron, un Domitien, un Héliogabale dans la profane, c'est folie de leur vouloir donner de la gloire : honorer le vice qui n'est que vice, qui montre toute sa laideur sans avoir (1) 2. 2. Quæst. LIII, art. 6.

la moindre teinture d'honnêteté, cela ne se peut : les choses humaines ne sont pas encore si désespérées; les vices que l'honneur du monde couronne, sont des vices plus honnêtes; ou plutôt, pour parler plus correctement, car quelle honnêteté dans les vices? ce sont des vices plus spécieux, il y a quelque apparence de la vertu : l'honneur, qui étoit destiné pour la servir, sait de quelle sorte elle s'habille; et il lui dérobé quelques-uns de ses ornemens pour en parer le vice qu'il veut établir dans le monde. De quelle sorte cela se fait, quoiqu'il soit assez connu par expérience, je veux le rechercher jusqu'à l'origine, et développer tout au long ce mystère d'iniquité.

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Pour cela, remarquez, Messieurs, qu'il y a deux sortes de vertus : l'une est la véritable et la chrétienne, sévère, constante, inflexible, toujours attachée à ses règles, et incapable de s'en détourner pour quoi que ce soit. Ce n'est pas là la vertu du monde il l'honore en passant, il lui donne quelques louanges pour la forme; mais il ne la pousse pas dans les grands emplois : elle n'est pas propre aux affaires, il faut quelque chose de plus souple pour ménager la faveur des hommes: d'ailleurs elle est trop sérieuse et trop retirée; et si elle ne s'embarque dans le monde par quelque intrigue, veutelle qu'on l'aille chercher dans son cabinet? Ne parlez pas au monde de cette vertu.

Il s'en fait une autre à sa mode, plus accommodante et plus douce; une vertu ajustée, non point à la règle, elle seroit trop austère; mais à l'opinion, à l'humeur des hommes. C'est une vertu de com

merce: elle prendra bien garde de ne manquer pas toujours de parole; mais il y aura des occasions où elle ne sera point scrupuleuse, et saura bien faire sa cour aux dépens d'autrui. C'est la vertu des sages mondains; c'est-à-dire c'est la vertu de ceux qui n'en ont point, ou plutôt c'est le masque spécieux sous lequel ils cachent leurs vices. Saül donne sa fille Michol à David (1): il l'a promise à celui qui tueroit le géant Goliath (2), il faut satisfaire le public et dégager sa parole; mais il saura bien dans l'occasion trouver des prétextes pour la lui ôter (3). Il chasse les sorciers et les devins de toute l'étendue de son royaume (4); mais lui-même, qui les bannit en public, les consultera en secret dans la nécessité de ses affaires (5). Jehu ayant détruit la maison d'Achab, suivant le commandement du Seigneur, fait un sacrifice au Dieu vivant de l'idole de Baal, et de son temple, et de ses prêtres, et de ses prophètes; il n'en laisse, dit l'Ecriture (6), pas un seul en vie. Voilà une belle action : « mais il marcha néanmoins, » dit l'Ecriture, dans toutes les voies de Jeroboam; >> il conserva les veaux d'or » que ce prince impie avoit élevés: Verumtamen à peccatis Jeroboam qui peccare fecit Israel, non recessit, nec dereliquit vitulos aureos (7). Pourquoi ne les détruisoit-il pas aussi bien que Baal et son temple? C'est que cela nuisoit à ses affaires, et il se souvenoit de cette malheureuse politique de Jéroboam : « Si je laisse aller » les peuples en Jérusalem pour sacrifier à Dieu dans

(1) I. Reg. xv111. 27. (2) Ibid. XVII. 25. (3) Ibid. xxv. 44. —

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(4) Ibid. xxvII. 3. — (5) Ibid. 8. (6) IV. Reg. x. 17, 25, 26, 27.

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» son temple, ils retourneront aux rois de Juda, qui » sont leurs légitimes Seigneurs (1) ». Je bâtirai ici un autel; je leur donnerai des dieux qu'ils adorent, sans sortir de mon royaume, et mettre ma couronne en péril.

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Telle est, Messieurs, la vertu du monde; vertu trompeuse et falsifiée, qui n'a que la mine et l'apparence. Pourquoi l'a-t-on inventée, puisqu'on veut être vicieux sans restriction? « C'est à cause, dit saint Chrysostôme (2), que le mal ne peut subsister tout >> seul : il est ou trop malin, ou trop foible; il faut qu'il soit soutenu par quelque bien; il faut qu'il >> ait quelque ornement, ou quelque ombre de la » vertu ». Qu'un homme fasse profession de tromper, il ne trompera personne; que ce voleur tue ses compagnons pour les voler, on le fuira comme une bête farouche de tels vicieux n'ont pas de crédit; mais il leur est bien aisé de s'en acquérir: pour cela il n'est pas nécessaire qu'ils se couvrent du masque de la vertu, ni du fard de l'hypocrisie; le vice peut paroître vice, et pourvu qu'il y ait un peu de mélange, c'est assez pour lui attirer l'honneur du monde. Je veux bien que vous me démentiez, si je ne dis pas la vérité.

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Cet homme s'est enrichi par des concussions épouvantables, et il vit dans une avarice sordide; tout le monde le méprise :,mais il tient bonne table à ses mines, à la ville et à la campagne; cela paroît libéralité, c'est un fort honnête homme, il fait belle dépense du bien d'autrui. Et vous, vous vous ven

(1) III. Reg. x11. 26, et suiv. (2) Hom. 11. in Act. Apost. n. 5,

tom. ix, p. 22.

gez par un assassinat; c'est une action indigne et honteuse mais ç'a été par un beau duel; quoique les lois vous condamnent, quoique l'Eglise vous excommunie, il y a quelque montre de courage; le monde vous applaudit et vous couronne, malgré les lois et l'Eglise. Enfin y a-t-il aucun vice que l'honneur du monde ne mette en crédit, si peu qu'il ait de soin de se contrefaire? L'impudicité même ; c'està-dire l'infamie et la honte même, que l'on appelle brutalité quand elle court ouvertement à la débauche, si peu qu'elle s'étudie à se ménager, à se couvrir des belles couleurs de fidélité, de discrétion, de douceur, de persévérance, ne va-t-elle pas la tête levée ? ne semble-t-elle pas digne des héros? ne perd-elle pas son nom d'impudicité pour s'appeler gentillesse et galanterie ? Et quoi, cette légère teinture a imposé si facilement aux yeux des hommes ? ne falloit-il que ce peu de mélange pour faire changer de nom aux choses, et mériter de l'honneur à ce qui est en effet si digne d'opprobre? Non, il n'en faut pas davantage : je m'en étonnois au commencement; mais ma surprise est bientôt cessée, après que j'ai eu médité que ceux qui ne se connoissent point en pierreries, sont trompés par le moindre éclat, et que le monde se connoît si peu en vertu, que la moindre apparence éblouit sa vue de sorte qu'il n'est rien de si aisé à l'honneur du monde, que de donner du crédit au vice.

Cependant le pécheur triomphe à son aise, et jouit de la réputation publique. Que si troublé en sa conscience, par les reproches qu'elle lui fait, il se dénie à lui-même l'honneur que tout le monde

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