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DES GRAND S.

ON donne en général le nom de Grands à ceux qui occupent les premières places de l'Etat, foit dans le gouvernement, soit auprès du Prince.

On peut confidérer les Grands, ou par rapport aux mœurs de la fociété, ou par rapport à la conftitution politique. Nous prenons ici les Grands en qualité d'hommes publics.

Dans la démocratie pure il n'y a de Grands que les Magiftrats, ou plutôt il n'y a de Grand que le Peuple. Les Magiftrats ne font grands que par le Peuple & pour le Peuple; c'est fon pouvoir, fa dignité, fa majesté, qu'il leur confie. De-là vient que dans les Républiques bien conftituées, on faifoit un crime autrefois de chercher à acquérir une autorité perfonnelle. Les Généraux d'armée n'étoient grands qu'à la tête des armées; leur autorité étoit celle de la difcipline; ils

la dépofoient en même tems que le foldat quittoit les armes ; & la paix les rendoit égaux.

Il eft de l'effence de la démocratie que les grandeurs foient électives, & que perfonne n'en foit exclu par état. Dès qu'une feule claffe de citoyens eft condamnée à fervir fans efpoir de commander, le gouvernement eft aristocratique. La moins mauvaife ariftocratie eft celle où l'autorité des Grands fe fait le moins fentir. La plus vicieufe eft celle où les Grands font defpotes, & les Peuples efclaves. Si les Nobles font des tyrans, le mal eft fans remède. Un Sénat ne meurt point.

Si l'aristocratie eft militaire, l'autorité des Grands tend à fe réunir dans un feul: le gouvernement touche à la monarchie, ou au defpotifme. Si l'aristocratie n'a que le bouclier des loix, il faut, pour fubfifter, qu'elle. foit le plus jufte & le plus modéré de tous les gouvernemens. Le peuple, pour supporter l'autorité exclufive des Grands, doit être heureux comme à Venife, ou abattu comme en Pologne.

De quelle fageffe, de quelle modeftie la Nobleffe Vénitienne n'a-t-elle pas befoin, pour ménager l'obéiffance du peuple! De quels moyens n'ufe-t-elle pas pour le confoler de l'inégalité! Les courtifannes & le carnaval de Venise font d'inftitution politique. Par l'un de ces moyens, les richeffes des Grands refluent, fans fafte & fans éclat, vers le peuple par l'autre, le peuple se trouve, fix mois de l'année, au pair des Grands, & oublie avec eux, fous le mafque, fa dépendance & leur domination.

La liberté romaine avoit chéri l'autorité des Rois; elle ne put fouffrir l'autorité des Grands. L'efprit républicain fut indigné d'une diftinction humiliante. Le Peuple voulut bien s'exclure des premières places, mais il ne voulut pas en être exclu; & la preuve qu'il méritoit d'y prétendre, c'eft qu'il eut la fageffe & la vertu de s'en abftenir.

En un mot, la République n'eft une, que dans le cas du droit univerfel aux premières dignités. Toute prééminence héréditaire y

détruit l'égalité, rompt la chaîne politique, & divife les citoyens.

Le danger de la liberté n'eft donc pas que le Peuple prétende élire entre les citoyens, fans exception, fes Magiftrats & fes Juges, mais qu'il les méconnoiffe après les avoir élus. C'est ainsi que les Romains ont paffé de la liberté à la licence, de la licence à la fervitude.

Dans le gouvernement républicain, les Grands, revêtus de l'autorité, l'exercent dans toute fa force. Dans le gouvernement monarchique, ils l'exercent quelquefois, & ne la poffèdent jamais : c'est par eux qu'elle paffe; ce n'est point en eux qu'elle réfide: ils en font comme les canaux; mais le Prince en ouvre & ferme la fource, la divife en ruiffeaux, en mesure le volume, en observe & dirige le cours.

Les Grands, comblés d'honneurs, & dénués de force, repréfentent le Monarque auprès du Peuple, & le Peuple auprès du Monarque. Si le principe du gouvernement eft corrompu dans les Grands, il faudra

bien de la vertu, & dans le Prince, & dans le Peuple, pour maintenir dans un jufte équilibre l'autorité protectrice de l'un, & la liberté légitime de l'autre; mais fi cet ordre eft compofé de fidèles fujets & de bons patriotes, il fera le point d'appui des forces de l'Etat, le lien de l'obéiffance & de l'autorité.

Il eft de l'effence du gouvernement monarchique, comme du républicain, que l'Etat ne foit qu'un, que les parties dont il eft compofé forment un tout folide & com pacte. Cette machine vafte, toute fimple qu'elle eft, ne fauroit fubfifter que par une exacte combinaifon de fes pièces; & fi les mouvemens font interrompus ou oppofés, le principe même de l'activité devient celui de la deftruction.

Or, la pofition des Grands, dans un Etat monarchique, fert merveilleufement à établir & à conferver cette harmonie & cet enfemble d'où résulte la continuité régulière du mouvement général.

Il n'en eft pas ainfi dans un gouvernement

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