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Fait à la Chambre des pairs par M. le vicomte SIMEON, au nom d'une commission spéciale (1) chargée de l'examen du projet de loi relatif à la propriété littéraire.

Messieurs,

Dans aucun siècle, l'intelligence n'a exercé sur le monde un empire aussi illimité et si peu contesté que de nos jours. A une renommée souvent incertaine, que les talens obtenoient autrefois, viennent se joindre aujourd'hui les distinctions sociales; et la charge périlleuse de gouverner les hommes est un noble prix auquel ils peuvent aspirer.

Ce n'est pas lorsque les mœurs publiques nous ont conduits à un progrès si remarquable, que la loi, dont la protection s'étend sur toute chose, pouvoit négliger les intérêts matériels des auteurs. Elle n'étoit pas, il est vrai, restée muette à leur égard; mais on réclamoit, depuis longtemps, une amélioration de ses dispositions. Cette amélioration est l'objet du projet de loi dont vous avez, messieurs, confié l'examen à une commission spéciale, et c'est pour me conformer à ses ordres que j'ose, avec témérité peut-être, me rendre son organe.

Avant le xv siècle, les ouvrages littéraires ne se perpétuoient qu'au moyen de copies faites à la main; ils étoient, par conséquent, peu répandus, et leur valeur vénale étoit toujours considérable. L'industrie des copistes, dans l'antiquité et dans le moyen âge, pouvoit à grand'peine leur procurer une chétive existence. Il est permis de croire que les auteurs dont la pauvreté a souvent été déplorée, et qui, dans tous les temps, se sont plaints de ces hommes qui cherchent à se faire honneur et profit des œuvres d'autrui, n'avoient aucun droit reconnu sur les copies de leurs ouvrages, ou qu'ils en retiroient un très-faible avantage.

(1) Cette commission étoit composée de MM. BERTIN DE VEAUX, le duc DE BROGLIE, COUSIN, le baron Charles DUPIN, Félix Faure, KERATRY, le vicomte SIMEON, le baron Thénard, le vicomte DE VILLIERS DU TERRAGE.

L'établissement des ordres religieux créa de nombreux ateliers de copistes, mais ils travailloient principalement pour les bibliothèques de leurs couvens. Personne n'ignore que c'est dans ces vastes et précieux dépôts que, dans les temps de barbarie, se conservèrent les ouvrages anciens, et qu'ils en sortirent aux jours de la renaissance pour l'instruction et le charme des générations nouvelles.

Lorsque l'imprimerie eut été inventée, tout changea de face. Cet art, dont on peut dire, comme de la renommée, qu'il est composé d'oreilles pour tout recueillir, de bouches pour tout répéter, donna une existence nouvelle aux œuvres de l'esprit. Les livres se multiplièrent à l'infini; ils n'avoient été, jusqu'à Guttemberg, qu'un objet de luxe, qu'une propriété rare et précieuse. Le prix moyen d'un volume in-folio, au xe siècle, n'étoit pas moindre de 4 ou 500 fr. de notre monnoie actuelle (1). Des achats de livres se faisoient par contrats notariés avec hypothèque et sous garantie corporelle; et, cependant, comme le goût de l'étude s'étoit partout réveillé, on comptoit, à l'époque de l'invention de l'imprimerie, plus de dix mille scribes dans les seules villes de Paris et d'Orléans. On conçoit avec quel avantage se présenta l'invention nouvelle; Louis XI la protégea, et, sous son règne, Ulric Gering, de Constance, et deux Allemands, ses associés, furent appelés en France par le prieur de Sorbonne, et y fondèrent, en 1469, la première imprimerie dans les bâtimens même de la Sorbonne. Gering mourut en 1510, laissant une fortune considérable, et déjà cinquante imprimeurs existoient à Paris.

Louis XII confirma les immunités accordées aux libraires « pour « la considération, comme s'exprime son édit, du grand bien qui est advenu en notre royaume au moyen de l'art et science d'impression, l'invention de laquelle semble être plus divine qu'hu

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Les deux professions qui ont pour objet d'imprimer et de vendre les livres, distinctes aujourd'hui, étoient, dans ces premiers temps, confondues: elles obtinrent une constante protection; mais elles

(1) Qu'il nous soit permis de contester l'exactitude de cette assertion du noble rapporteur. Au xur® siècle, les moyens d'exécution des copistes étoient tellement rapides, qu'un manuscrit, saus ornemens, se vendoit, chez les libraires de l'université, à peu près le même prix qu'aujourd'hui les livres du même format imprimés chez Didot, Grapelet ou Treuttel. (P. P.)

furent, dès leur origine, soumises à une surveillance particulière, et ne s'exercèrent que sous l'inspection de l'autorité. L'approbation préalable des écrits, avant l'impression, étoit dévolue à l'université, qui prétendoit exercer exclusivement ce droit comine le tenant du pape.

De nombreuses ordonnances sur les obligations et les immunités des libraires continuèrent de montrer la sollicitude du gouvernement en leur faveur, pendant les xvre et xvIe siècles; mais, jusqu'au XVII, on ne s'étoit point inquiété des droits des auteurs. On ne peut mettre en doute qu'ils ne retirassent un prix quelconque de la cession qu'ils faisoient de leurs ouvrages; mais la loi ne leur accordoit aucune protection. Ce silence tenoit peut-être à ce qu'ils n'avoient point élevé de réclamations. Peut-être pensoit-on aussi que les lettres ne devoient pas être un objet de négoce, et que les auteurs auroient dérogé à leur dignité en trafiquant de leurs productions. Ils s'assimiloient ainsi aux gentilshommes, à qui les spé culations de commerce étoient interdites,

Les priviléges d'impression étoient en conséquence, sauf quelques rares exceptions, délivrés aux libraires, et, lorsqu'ils l'étoient aux auteurs, ceux-ci n'avoient d'autre ressource, pour en tirer parti, que d'en faire cession entière à des libraires, qui avoient seuls la permission d'imprimer et de vendre les livres. Les auteurs étoient donc à leur merci.

A mesure que les préjugés s'affoiblirent, et que l'on sentit qu'il n'y avoit point de honte, comme le dit Boileau, à tirer un tribut de son travail, les auteurs hasardèrent des plaintes encore timides; mais ce ne fut qu'en 1720 qu'un Mémoire sur les vexations qu'exercent les libraires et imprimeurs de Paris s'éleva, pour la première fois, avec force pour soutenir leurs droits. Depuis, Louis d'Héricourt, Diderot, Linguet, Voltaire, Beaumarchais, plaidèrent la cause des gens de lettres, et cherchèrent à prouver que leurs droits sur leurs ouvrages constituaient une véritable propriété.

Un arrêt de 1761, rappelé par M. le ministre de l'instruction publique, rendu en faveur des petites-filles de la Fontaine, un autre du 20 mars 1777, au profit de la famille de Fénelon, reconnurent le droit des héritiers naturels des auteurs. Les débats auxquels ces arrêts avoient donné lieu, et surtout les idées plus justes qui s'étoient répandues relativement à la propriété des œuvres de l'esprit, firent sentir la nécessité d'une législation qui leur fût plus favo

rable. L'arrêt du conseil, du 30 août 1777, sur les priviléges, parut. C'est le premier acte qui ait statué d'une manière générale sur les droits des auteurs.

Il autorisa l'auteur qui obtiendroit le privilége de son ouvrage en son nom à le vendre chez lui, et à jouir de son privilége lui et ses hoirs à perpétuité, pourvu qu'il ne le cédât à aucun libraire, auquel cas sa durée seroit réduite, par le seul fait de la cession, à la vie de l'auteur. Après l'expiration du privilége d'un ouvrage ou la mort de l'auteur, tous libraires et imprimeurs pouvoient obtenir la permission d'en faire une édition sans que cette permission pût empêcher aucun autre d'en obtenir une semblable.

Ces dispositions excitèrent les plus vives plaintes de la part des libraires, qui croyoient y voir la perte du monopole qu'ils exerçoient en vertu des priviléges perpétuels; elles en excitèrent aussi de la part des auteurs, qui jugèrent qu'il étoit contraire à leurs intérêts de ne pouvoir céder temporairement l'autorisation d'imprimer et de vendre leurs ouvrages.

C'est à la suite de ces réclamations qu'intervint l'arrêt du conseil du 30 juillet 1778, qui déclara, d'une part, que les priviléges ne pourroient être moindres de dix ans, et, de l'autre, qu'un auteur qui auroit obtenu le privilége de son ouvrage pourroit en faire faire plusieurs éditions par divers imprimeurs, sans que les traités qu'il feroit pour les imprimer ou les vendre pussent être réputés cession de son privilége.

Les libraires, accoutumés à considérer les priviléges comme des propriétés perpétuelles et transmissibles, ne furent point satisfaits, et les arrêts furent déférés au parlement, qui ordonna qu'il lui en seroit rendu compte par les gens du roi. Ce compte lui fut présenté par l'avocat général Séguier dans les audiences des 10, 17 et 31 août 1779.

Il exposa que, bien que ce fût la première fois qu'il eût été parlé de la propriété des auteurs et des droits de leur postérité, cette propriété paroissoit évidente; que jusqu'à la fin du règne de Louis XV on avoit accordé des continuations de priviléges à tous ceux qui étoient propriétaires du manuscrit original; qu'il en étoit résulté des droits auxquels les nouveaux arrêts portoient atteinte, et que c'étoit au parlement à reconnoître le parti qu'on devoit adopter entre une liberté indéfinie et une propriété exclusive.

L'avocat général ne prit d'ailleurs aucune conclusion. Le parle

ment ne se prononça point, et les règlemens de 1777 et de 1778 se maintinrent, en vigueur jusqu'à la révolution de 1789.

Les priviléges de toute nature ayant été alors abolis, la défaveur attachée à ce nom s'étendit aux concessions faites par lettres du prince aux auteurs, imprimeurs et libraires. Une nouvelle législation devint indispensable.

La première loi sur cette matière est celle du 19 janvier 1791, concernant les théâtres; elle porte, article 2, que les ouvrages des auteurs morts depuis cinq ans et plus sont une propriété publique, que les ouvrages des auteurs vivans ne pourront étre représentés sans leur consentement, et que leurs héritiers et cessionnaires seront propriétaires de leurs ouvrages durant cinq années après la mort de l'au

teur.

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Cette loi fut rendue sur le rapport de Chapelier. Il commença par établir que la propriété des auteurs est la plus sacrée, quoique d'un genre différent des autres propriétés, et il conclut que, «< comme il est juste que les hommes qui cultivent le domaine de la pensée tirent quelque fruit de leur travail, il faut que pendant leur vie, et quelques années après leur mort, personne ne puisse sans leur consentement disposer du produit de leur génie. Mais aussi, ajoutoit-il, après le délai fixé la propriété du public commence, et tout le monde doit pouvoir imprimer, publier les ouvrages qui ont contribué à éclairer l'esprit humain. Voilà ce qui s'opère en Angleterre, pour les auteurs et le public, par des actes que l'on nomme tutélaires; ce qui se faisoit autrefois en France par des priviléges que le roi accordoit, et ce qui sera dorénavant fixé par une loi, moyen beaucoup plus sage, et le seul qu'il convienne d'employer.»>

Cette loi ne profita qu'aux auteurs dramatiques. Ce ne fut qu'en 1793 qu'on s'occupa des autres auteurs qui étoient restés sans garantic depuis l'abolition des priviléges de publication.

Le décret du 9 juillet pourvut à cette nécessité; il fut rendu sur la demande du comité d'instruction publique, qui rappela les principes exposés dans le rapport de Chapelier, mais qui, tout en proclamant comme lui la propriété des auteurs, n'établit cependant qu'un droit temporaire en faveur de leurs héritiers.

Cette loi, qui est encore aujourd'hui celle de la matière, s'applique à toutes les productions des lettres et des beaux-arts.

Elle déclare « que les auteurs d'écrits en tout genre, les compositeurs de musique, les peintres et dessinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, jouiront, durant leur vie entière, du droit

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