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OBSERVATIONS

SUR DEUX ÉDITIONS DU TEXTE DE VILLEHARDOUIN,

NOUVELLEMENT PUBLIÉES PAR M. BUCHON.

Peut-être tous les lecteurs du Bulletin n'ont-ils pas oublié qu'en 1828 la Société de l'Histoire de France chargea l'un de ses membres (précisément l'auteur de ces Observations) de publier une nouvelle édition de la Chronique de Joffroi de Villehardouin. Cette Société, comme on le sait, est en général composée d'hommes graves et profonds, qui, frappés des bienfaits économiques de toute association, s'entendent pour payer d'avance un peu plus cher que tout le monde les volumes qu'ils jugent à propos de mettre au jour. Je m'acquittai de cette tâche honorable : j'avois reconnu, dans la Bibliothèque du Roi, deux leçons de notre vieil historien, que personne, auparavant, n'avoit consultées ; je les croyois (comme je les crois encore) « l'une plus ancienne, et toutes deux plus belles plus correctement écrites et par conséquent d'une autorité plus grave que celle des manuscrits précédemment examinés >> (préface, page xxxш). J'arrêtai donc les bases de mon travail sur ces deux manuscrits que j'eus soin de confronter non-seulement avec les anciennes éditions, mais encore avec les nombreux fragmens de Villehardouin, insérés dans les continuations inédites de Guillaume de Tyr; et, comme entre ces fragmens transcrits au XIII siècle et les deux nouvelles leçons j'avois remarqué la plus parfaite identité d'orthographe et de formes grammaticales, j'en avois conclu qu'il pouvoit m'être permis de reproduire enfin la dictée primitive, originale de Villehardouin.

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Du reste, il ne s'agissoit pas de relever des erreurs fort graves dans les éditions précédentes: dom Brial avoit déjà réuni au texte donné par du Cange les variantes de trois leçons manuscrites, et M. Buchon, dans ses Chroniques Nationales Françoises, ne s'étoit

pas contenté de réimprimer le texte de dom Brial, il avoit encore joint aux variantes du bénédictin-académicien le sommaire des notes manuscrites que du Cange destinoit à une édition nouvelle. Mais la sincérité du récit n'est pas tout ce que l'on étoit en droit de rechercher dans le plus ancien de nos chroniqueurs. On avoit souvent comparé Villehardouin et Joinville; d'après les éditions précédentes, on accordoit même unanimement au dernier l'avantage du style; bien plus, on les avoit appelés tous les deux en témoignage de je ne sais quel développement progressif de langage dont l'un sembloit avoir été le point de départ et l'autre le terme. C'étoit donc sous le point de vue philologique que la découverte de plusieurs leçons anciennes pouvoit être digne de l'attention des esprits sérieux. Car, s'il étoit permis de juger le style de Villehardouin, c'étoit d'après des manuscrits exécutés trente ans après sa mort, et non d'après ceux qui l'avoient été un siècle ou même deux siècles plus tard. Or les manuscrits les plus anciens renversent complétement l'opinion que l'on avoit adoptée ; ils attestent que, loin d'être inférieur au livre de Joinville, celui de Villehardouin est, en général, plus clair, plus nerveux, mieux ordonné, et qu'enfin l'on ne doit plus assigner à la langue françoise un progrès sensible, dans la période de cent années qui sépare le sage chroniqueur de l'empereur Baudouin, du naïf et bon historien de saint Louis.

Un autre intérêt se rattachoit encore à nos deux nouvelles leçons dom Brial avoit, pour la première fois, publié la Continuaion de Henry de Valenciennes : mais, comme le seul volume qui lui en avoit fourni le texte lui paroissoit, avec toute raison (M. Buchon pense le contraire), remonter au xve siècle, il avoit cru pouvoir attribuer ce travail à un écrivain du xve siècle. Son opinion doit tomber en présence de nos manuscrits, puisqu'ils nous offrent la même continuation. Il reste donc également prouvé que le continuateur Henry de Valenciennes avoit pu, comme il le dit, se trouver le témoin oculaire des événemens dont il a transmis la mémoire à la postérité.

Quant à mon édition, je n'ai pas voulu qu'elle reproduisît exclusivement le manuscrit qui paroissoit le plus ancien : la meilleure leçon contient toujours un assez grand nombre de fautes, et je demande ici la permission de citer ce que j'avois cru nécessaire de dire dans ma préface. « Que, pour une première édition, on suive rigou

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« reusement un seul manuscrit, rien de plus judicieux; mais, quand on fait tant que de réimprimer un ouvrage, il est convenable de s'entourer du secours des leçons diverses, et de sarcler chacune d'elles de toutes les fautes d'ignorance et d'inattention " que l'habileté des meilleurs scribes ne fait jamais compléte«ment disparoître. » Ainsi je me suis écarté du système de dom Brial et de M. Buchon lui-même; au lieu de rejeter dans les variantes toutes les leçons du texte de du Cange, j'ai fondu dans le mien toutes les phrases qui, dans les divers inanuscrits, me sembloient les plus authentiques; et je me suis contenté de renvoyer aux Notes les variantes essentielles, celles qui pouvoient offrir matière à l'hésitation, à l'incertitude, en un mot à la discussion.

Et je ferois encore aujourd'hui ce que j'ai fait en 1838. Cependant je dus craindre que mon système de publication n'eût rencontré des adversaires redoutables, quand j'appris que M. Buchon se proposoit de donner une nouvelle édition de Villehardouin : j'imaginai même qu'il avoit trouvé, dans son expérience, d'excellentes raisons de condamner mon travail : et pourtant, ce n'étoit pas tout dans le même volume, M. Buchon, au lieu d'un nouveau texte, en publioit deux. C'étoit donc pour le moins trois éditions de Villehardouin que nous devions à son infatigable ardeur. Certes, si la relation de Constantinople reste ignorée, l'on n'aura pas droit d'accuser son indolence; et, pour mon compte, je n'offrirois ici que le tribut de mes actions de grâces au recommandable éditeur de tant de précieux monumens historiques avant lui complétement ignorés ou moins bien publiés, si je ne me trouvois obligé de défendre mon travail, je ne dirai pas contre le sien, mais contre la notice dont ce dernier travail est accompagné. Je n'ai pas ouvert la polémique, je ne puis m'empêcher de la terminer, en réduisant à leur valeur des allégations dont la forme est, il est vrai, parfaitement polie', mais dont le fonds m'a semblé très-éloigné d'être rigoureusement exact. Personne ne se méprendra sur la convenance de mes réclamations si M. Buchon, immédiatement après mon édition, a jugé nécessaire de la refaire, c'est évidemment parce qu'il n'en a pas reconnu l'importance. Pour être conséquent avec lui-même, il s'est vu contraint de déclarer que les bases de cette édition étoient fragiles, et que l'échafaudage de mes preuves ne soutenoit pas l'examen. Vainement, après cela, son texte, dans ce

qu'il a de mauvais et dans ce qu'il a de bon, donne-t-il nettement gain de cause à mon système, M. Buchon n'ignore pas combien rarement il arrive au lecteur de juger un gros livre autrement que par la préface; plus rarement encore, la préface étant lue, en compare-t-on les assertions aux parties du volume qui pourroient les justifier. Ainsi M. Buchon, si l'on s'en tient aux allégations de ses préliminaires, doit, avec toute raison, passer pour le seul éditeur convenable de Villehardouin : et c'est là ce que la Société de l'Histoire de France semble avoir quelque intérêt à contester.

Il est bien entendu que je ne prétends pas ici juger le travail de M. Buchon dans toutes ses parties; il me suffira de démontrer que j'avois de bons motifs de dire ce que j'ai dit en 1838. Une fois ma justification exposée, je devrai me taire et souhaiter à M. Buchon bonne aventure: le monde est assez grand pour nos deux éditions.

Premier point. J'avois essayé de prouver que le manuscrit du Roi, aujourd'hui désigné sous le n° 9644, étoit celui que Fr. Contarini avoit découvert dans les Pays-Bas; le même sur lequel on avoit commencé la première édition de Venise, puis exécuté l'édition de Lyon, 1601, Guillaume Roville: M. Buchon n'admet pas ces inductions. Frappé de la physionomie vénitienne du n° 9644, il ne peut supposer qu'on l'ait acquis en Belgique; il aime mieux alléguer que la République de Venise dút acheter un autre manuscrit que celui de Contarini, et qu'elle dút faire commencer, d'après deux leçons, l'édition que cependant elle ne put terminer. M. Buchon auroit évité l'ennui de me contredire, s'il avoit bien voulu méditer sur la difficulté de trouver aucune preuve à l'appui de son allégation : s'il avoit même bien lu ce que j'avois exposé, il auroit appris que le manuscrit vénitien, apporté plus tard en France par Contarini, conservoit, sur l'une de ses gardes, les titres évidens de la propriété d'un Flamand sous la date de 1508. Ainsi, bien que Vénitien, le manuscrit avoit été nécessairement retrouvé par un Vénitien en Flandre, depuis le commencement du XVIe siècle.

Mais voyez où cette première dissidence va conduire M. Buchon: Suivant lui, deux leçons de Villehardouin étoient à Venise où l'on n'en trouve plus aujourd'hui (1); l'une aux mains de Conta

(1) Je ne compte pas, en effet, une copie très-moderne dont j'ai donné la désignation dans ma Préface.

rini, l'autre dans les archives de la république. Contarini vient en France: emportera-t-il les deux manuscrits? S'il n'en prend qu'un seul, lequel prendra-t-il ? Le sien, sans doute? - Nullement. «< Celui qu'il choisit (dit M. Buchon), fut le manuscrit de Venise. Peut« étre avoit-il été autorisé par la République, à remettre ce manuscrit, qui appartenoit à l'Etat, entre les mains d'un libraire qui se chargeât de le publier.... Ce manuscrit a passé depuis, je ne asais comment, dans la bibliothèque du cardinal Mazarin, et de là « dans celle du roi. »

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Certainement voilà bien des inexactitudes. Où M. Buchon a-t-il vu que ce manuscrit de Venise appartenoit à l'État? Pourquoi ces peut-être, afin d'expliquer une allégation gratuite? mieux eût valu la sacrifier. Et, pour ce qui touche à la fin de la phrase, je comprends que M. Buchon ne sache comment le volume avoit passé dans la bibliothèque Mazarine: car, peut-être, ne fut-il jamais question de lui dans la célèbre collection du cardinal : c'est là, du moins, ce qu'il n'est permis de lui affirmer le plus nettement du monde.

Second point. M. Buchon maltraite beaucoup le manuscrit 7974, dont il n'auroit tiré aucun fruit ni pour son ancienne édition, ni pour celles-ci. J'avois exprimé beaucoup plus d'estime pour le même volume; et, comme, en dépit des dernières paroles de M. Buchon, nous voyons le témoignage du n° 7974 invoqué très-fréquemment et très-utilement par dom Brial et par M. Buchon lui-même dans sa première édition, je m'en tiens à ma première opinion.

Troisième point. M. Buchon, qui, dans le premier texte de son dernier volume, a suivi rigoureusement le manuscrit n° 207, pense que cette copie a été exécutée sur la fin du xiv siècle; je soutiens, avec l'appui de dom Brial, qu'elle doit étre renvoyée au xve: M. Buchon la suppose faite à Valenciennes, parce que l'orthographe, la forme des lettres, d'autres motifs encore rendent cette supposition vraisemblable. Alors le volume devra donc furieusement sentir ce dialecte flamand que l'on a bien gratuitement nommé le patois rouchi; et je ne sache pas que notre bon Champenois Villehardouin puisse être accusé d'avoir écrit en rouchi, sur la foi d'un manuscrit flamand du xve siècle. Quoi qu'il en soit, malgré l'orthographe, M. Buchon préfère ce volume à tous les autres, parce

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