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au lecteur une idée de notre poëte, nous citerons son premier sonnet adressé à l'écho :

ECHO.

Nymphe, l'ame des bois et la fille de l'aer,
Qui navrée autrefois de la flèche cruelle
D'amour, ainsi que moy, d'une triste querelle
Respon quand je te vien mes travaux deceler.

Ore que je te veux sur la France appeller,

Belle.

Respon, Nymphe, et di moi, malheureuse, n'est-elle ? Telle (1).
Las! qu'estoit-elle avant qu'elle eust esté rebelle?
Et son los où est-il, dont l'ont n'oit plus parler?

O terrible destin! ô dieux pleins de vengeance,
Qui plus dessous les cieux endure de souffrance?
Ne verra elle plus sa gloire et son renom?

Hé! quel fut le moteur d'un si pitenx orage?
O fureur des François, vrayment fureur et rage,
Qui la perte de vous recherchez pour guerdon.

Par l'air.

France.
Non.

Rage.

Le poëte est frappé de la misère du temps et des malheurs causés par la guerre civile; c'est avec les couleurs les plus vives qu'il dépeint l'état du royaume :

Piller, prendre, voler, à chacun faire tort,

Et dessus le plus foible user de violance,

Le rançonner de plus qu'il n'est en sa puissance,
Et pour simple refus le livrer à la mort :

Pour entre les plus grands avoir plus de support,
Avecque l'ennemy mesme prendre alliance:
Puis reprendre party, et pour avoir vengeance
De celuy que l'on hait se ranger au plus fort:

Contrefaire le grand, et n'estre qu'un belistre,
N'avoir religion, toutesfois sous ce tiltre
Dix mille cruautez commettre sur autruy :

Changer à tous propos de foy, et de parolle,
C'est ce que l'on apprend en la commune eschole
De ceux que l'on estime en la France aujourd'huy.
Sonnet IV.

(1) Reponses de l'Echo.

L'auteur des Regrets était attaché à la maison de Lorraine, et particulièrement au chevalier d'Aumale; c'est dire assez qu'il était catholique. Cependant il a compris que les Mayenne, les Guise et tous ces chefs tumultueux et remuants, qui tenaient dans leurs mains les destinées de la France, ne prenaient pour guide que le caprice du moment ou l'intérêt personnel : le poëte leur dit hautement sa pensée, il leur reproche avec colère les maux qu'ils ont attirés sur la patrie. On sent à chaque vers l'horreur que lui inspire la SaintBarthélemy, quoiqu'il ne nomme pas une seule fois cette fatale journée dans ses vers; papiste, il est plein de tolérance, il prêche le pardon et l'oubli, il exhorte les partis à se réunir contre l'ennemi commun, l'étranger :

Le barbare estranger, entre tandis chez toy,
Qui te pille, desrobe, et traine avecque soy,
O France, tes tresors, que joyeux il emporte.

Et plus loin, sonnet XXII :

Sonnet XIV.

Le barbare estranger, quila (la France) tient sous ses mains,

A desja corrompu et chassé de mémoire

Le langage françois : son honneur et sa gloire,

Et ce que nous parlons ce sont mots incertains.

Oubliant un instant les villes saccagées, les batailles sanglantes, le poëte se prend tout à coup à déplorer la corruption du langage françois, l'honneur et la gloire de son pays.

Que le lecteur nous permette de lui citer encore un fragment des Regrets; c'est un sonnet sur l'ambition : ce morceau, plein de verve et de chaleur, nous a paru un des plus remarquables du recueil :

Maudite ambition, la nourrice féconde
Du vice desbordé, engence de malheurs,
Qui aveugle le sens et trouble de fureurs
L'humain entendement, la misere du monde.

Qui maschine, conspire, et tousjour-tousjour sonde
Quelque nouveau moyen d'accroistre tes honneurs,
Du sang mesme innocent achetant les grandeurs
Envieuse opprimant celuy qui te seconde.

Cruelle, insatiable, et ribaude p.....,
Vraye contagion, peste du genre humain,
Propre pour abuser la jeunesse mieux née :

Par toy, France n'a plus son honneur ancien,
Ains comme pauvre fille ayant perdu le sien,
Tu l'as, sale, impudique, au vice abandonnée.

Sonnet XX.

Simon Poncet et Régnier étaient presque contemporains (1); poëtes satyriques, ils diffèrent essentiellement l'un de l'autre : libre dans ses mœurs et dans ses vers, Régnier est resté un type d'insouciance paresseuse; ses satyres éblouissent par les saillies, les traits fins et caustiques; religieux et austère, Poncet a pris les hommes au sérieux; le côté comique et ridicule de la vie lui a échappé. Poncet rappelle involontairement Gilbert: chez tous les deux, l'audace et l'indignation sont pareilles; chez tous les deux, c'est une pensée de haute moralité et une critique impitoyable; ils sont tous deux jeunes et désespérés. L'auteur du Jugement dernier, parlant à un siècle frivole et sans croyance, use parfois d'une moquerie railleuse et incisive. Poncet est toujours sombre et inflexible comme les factions au milieu desquelles il a vécu.

Le poëte de Melun termine les Regrets par cette strophe:

Et toy, France, reçoy ce bref essay nouveau,
Ce sera, s'il te plaist que tes cendres j'honore,
Un épitaphe court en un large tombeau.

Dans le Colloque chrestien, second poëme de Simon Poncet, quatre personnages, Eusèbe, Théophile, Dorothée et Astée, discutent entre eux sur l'Eucharistie, le culte des images, les prières qu'on adresse aux saints, la confession et d'autres points de controverse entre les protestants et les catholiques. Il est inutile de dire qu'Eusèbe le papiste convertit les opposans à son parti. Un tel sujet étoit peu propre à la forme poétique; aussi, quoique cet ouvrage soit écrit avec une certaine facilité, il ne peut cependant être comparé aux Regrets l'auteur l'a dédié à très-illustre et très-vertueuse princesse M. Marie de Lorraine, abesse de Chelles. Cette dame, que Henri IV appeloit ma chaste cousine, était sœur du chevalier d'Aumale; elle fut célèbre par sa charité et sa dévotion.

Le silence incompréhensible des biographes nous met dans l'impossibilité de donner d'amples détails sur la vie de Poncet: nous avons vu, par le titre de son livre, que, né à Melun, il était trésorier

(1) La première édition des Satyres de Regnier est de 1608.

et secrétaire du chevalier d'Aumale, chez qui il demeurait, à Paris. Dans le deuxième sonnet de la Roque à Poncet, nous trouvons un passage qui jette quelque lumière sur la famille du poëte: voici ce

passage:

Quand je te voy, Poncet, regretter nostre France,
Escrire ses malheurs et chanter son trespas,
Vrayment (dis-je) tu suis de ton oncle les pas,
Qui prophete preschoit sa fin et decadance.

Il est évident que cet oncle n'est autre que Maurice Poncet, docteur en théologie de l'université de Paris, né à Melun (1), et mort, à Paris, le 23 novembre 1586 (2). Maurice Poncet fut successivement curé de Saint-Aspais, à Melun, et de Saint-Pierre-des-Arcis, à Paris : c'était un de ces prédicateurs fougueux qui, pendant les troubles de la Ligue, excitaient les Parisiens par leurs déclamations. En 1583, il censura avec tant de violence la confrérie des Flagellants, instituée par Henri III, que le roi l'exila à Melun; plus tard, il revint à Paris, remonta dans sa chaire, et mourut en faisant au peuple les plus sinistres prédictions. C'est sans doute dans les sermons du curé de Saint-Pierre-des-Arcis que notre poëte puisa l'idée de ses regrets. On peut consulter, sur Maurice Poncet, l'histoire de . Melun (3) de Sébastien Rouillard, qui, dans son gros livre, ne dit pas un mot du poëte. Rouillard parle aussi (4) d'un Jehan Poncet, né à Melun, et qui fut nommé par François Ier, abbé du couvent de Saint-Père de cette ville. Ce Jehan était probablement de la même famille que Maurice et Simon.

Le portrait de Simon Poncet a été gravé, par Thomas de Leu, vers l'année 1590 : cette date est précieuse, car elle nous donne celle de la naissance de notre poëte. Autour du portrait, on lit ces mots : Anno ætatis suæ vigesimo nono. Poncet est donc né en 1561; il est représenté tenant à la main une marguerite. Nous cherchions à comprendre cette singularité, lorsque le poëte nous en a donné lui-même l'explication:

(1) Et non à Meaux, comme le dit Crevier, Histoire de l'université, t. VI, p. 386.

(2) Et non pas le 27 novembre, comme le disent les éditeurs de la Croix du Maine, t. II, p. 3.

(3) Pag. 627 et 628.
(4) Loc. cit., p. 276.

Je ne la tenois point en la main seulement,
Ains au plus pres du cœur trop vivement portraicte,
Et certes mon amour n'en fust oncque distraicte :
Car mon amour ne peut aymer le changement.

Je trouvay ceste fleur si douce au sentiment,
Si fraîche pour cueillir, si belle, si parfaicte,
Qu'il me sembla vray ment que nature l'eust faicte
Exprès, pour icy bas nous servir d'ornement.

Aussi l'ay-je chérie, ignorant que si belle
Elle eust si tost perdu sa douceur naturelle,
Et que le temps luy deust apporter tant d'aigreur.

La nature manqua en sa forme divine:
Car le temps trop facheux luy gela la racine,

Et me gela les doigts, la poictrine et le cœur.

Ces vers, pleins, charmans de fraîcheur et de naïveté, fortement empreints de tristesse comme tout ce qu'a fait notre poëte, semblent révéler une déception dans sa vie : ce sont les seuls vers d'amour échappés de sa plume; on ne les trouve pas dans ses œuvres, ils ont été insérés dans un Recueil de poésies de la Roque, qui engageait son ami à oublier l'ingrate Marguerite. Enfin, pour terminer ce que nous avions à dire des productions de Simon Poncet, nous indiquerons une épigramme latine qu'il composa en 1590 sur les Amours de Phyllis de la Roque, et qu'on trouvera en tête des œuvres de ce poëte.

Il n'est plus question de Simon Poncet après l'année 1590; nous pensons qu'il est mort vers cette époque : son silence semble autoriser notre conjecture. Un vers noble, un esprit tout à la fois mélancolique et passionné, une imagination riche et puissante; Poncet étoit doué de ces qualités qui font les grands poëtes : la patrie de Jacques Amyot doit être fière de le compter au nombre de ses enfans.

J.-Marie GuicHARD.

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