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INSTRUCTION

SUR LA PAIX AVEC LE PROCHAIN'.

Je ne puis trop vous exhorter de contribuer, autant que vous le pourrez, à établir la paix dans votre maison, et à l'y conserver. J'ai cru même devoir vous marquer sur cela quelques pensées ; et quoique je l'aie fait sans beaucoup d'ordre, vous verrez néanmoins aisément qu'elles se rapportent à trois points, qui sont l'importance de cette paix dont je vous parle, les obstacles les plus ordinaires qui lạ troublent dans une communauté; et les moyens enfin les plus propres à l'y maintenir.

§ I. Importance de la paix avec le prochain.

I. Jésus-Christ, en quittant ses disciples et les laissant sur la terre, ne leur recommanda rien plus expressément ni plus fortement que la paix. Dans un seul entretien qu'il eut avec eux, il leur répéta jusqu'à trois fois Que la paix soit avec vous (JOAN., 20). Il ne se contenta pas même de la leur souhaiter, ni de la leur recommander, mais il la leur donna en effet : Je vous donne ma paix (JoAN., 14). Pourquoi l'appela-t-il sa paix? Pour la leur faire estimer davantage, et pour la distinguer de la fausse paix du monde : car la paix du monde n'est communément qu'une paix apparente, et n'a pour principe que l'intérêt propre, que le déguisement et l'artifice; au lieu que la paix de Jésus-Christ est toute sainte, toute divine, et n'est fondée que sur une charité sincère et une parfaite union des cœurs. Voilà quels ont été les sentiments de notre adorable maître; et puisque nous faisons une profession particulière de l'écouter et de le suivre, avec quel respect devons-nous recevoir ses enseignements sur un point qu'il a eu si fort à cœur, et avec quelle fidélité devons-nous accomplir ses ordres?

II. Cette paix où nous devons vivre les uns avec les autres est un des plus grands biens que nous puissions desirer. C'est le plus précieux trésor de la vie, et sans elle tous les autres biens ne nous peuvent rendre heureux en ce monde. Ainsi raisonneroit un philosophe et un païen. Mais nous qui sommes chrétiens, et qui avons de plus embrassé l'état religieux, nous devons surtout envisager cette paix comme un des plus grands biens par rapport à notre perfection et à notre salut. Car, sans cette paix, il n'est pas possible que nous travaillions solidement à nous avancer dans les voies de Dieu. Et le moyen qu'ayant sans cesse l'esprit agité et le cœur ému contre le prochain, nous puissions avoir toute la vigilance nécessaire sur nous-mêmes, et toute l'attention que demandent nos exercices spirituels, pour nous en bien acquitter? A quoi pense-t-on alors? de quoi s'occupe-t-on? * Cette instruction regarde surtout les communautés religieuses.

D'une parole qu'on a entendue et qu'on ne peut digérer; de la réponse qu'on y a faite, ou qu'on devoit y faire, et qu'on y fera à la première occasion qui se pourra présenter; de la manière d'agir de celle-ci, d'un soupçon qu'on a conçu de celle-là, de telle injustice qu'on prétend avoir reçue, de telle affaire dont on veut venir à bout, malgré toutes les oppositions qu'on y rencontre'; de mille choses de cette nature, qui jettent dans une dissipation perpétuelle, et qui ôtent presque à une ame toute vue de Dieu. En de pareilles dispositions, quel recueillement, quelle dévotion, quel goût peut-on trouver à la prière et à toutes les observances religieuses? Et Dieu, d'ailleurs, qui est le Dieu de la paix, comment répandroit-il son esprit au milieu de ce trouble, et comment y feroit-il sentir son onction?

III. Il y a plus; car dès que la paix ne règne plus dans une communauté, et que les esprits y sont divisés, combien de péchés s'y commettent tous les jours? combien de plaintes et de murmures, combien de médisances y fait-on? combien d'aigreurs et d'animosités nourrit-on au fond de son cœur? quels desseins quelquefois y forme-t-on, et même à quelles vengeances secrètes se porte-t-on? Péchés d'autant plus fréquents, que les sujets en deviennent plus ordinaires par le commerce journalier et continuel qu'on a ensemble; péchés d'autant plus dangereux, qu'ils n'ont point l'apparence de certains péchés grossiers, dont la honte en est comme le préservatif et le remède; péchés où l'on se laisse aller avec d'autant plus de facilité, qu'on y est poussé par la passion, et que d'ailleurs on en voit moins la malice et la grièveté. Car chacun, au contraire, se croit très justement et très solidement autorisé en tout ce qu'il dit et en tout ce qu'il fait; et si dans les discordes et les dissensions on veut entendre les deux partis, on trouvera, à les croire, qu'ils ont de part et d'autre les meil leures raisons du monde, et que leur conduite est droite et irréprochable. Mais quoi qu'ils en puissent penser, péchés néanmoins reels, péchés souvent griefs et très griefs: tellement qu'au lieu de se sanctifier dans la religion, on s'y rend par-là devant Dieu très criminel, et l'on se charge d'une multitude infinie de dettes dont il nous demandera un compte exact et rigoureux.

IV. Il ne faut point s'étonner après cela que peu à peu toute la discipline régulière vienne à se renverser; car, suivant la parole de Jésus-Christ: Tout royaume où il y a de la division sera désolé, et l'on verra tomber maison sur maison (Luc., 11). Les personnes qui gouvernent, ou qui devroient gouverner et tenir toutes choses dans l'ordre, ne sont plus obéies. On les fait entrer elles-mêmes dons les différends qui naissent. Pour peu qu'elles semblent pencher d'un côté, l'autre se tourne contre elles. D'où il arrive qu'elles n'osent presque parler ni agir, et que, pour ne pas allumer le feu davantage, elles sont obligées de dissimuler, et de tolérer les abus qui demanderoient toute leur fermeté. Ainsi le relâchement s'introduit, les fautes demeurent impunies;

chaque jour ce sont de nouvelles brèches qu'on fait à la règle : plus d'unanimité, plus de concert. Une maison est alors comme un vaisseau abandonné aux vents, et prêt à donner dans tous les écueils où il sera emporté.

V. Avec la paix ce seroit un paradis, et voilà ce que Dieu en vouloit faire pour nous, lorsqu'il nous y a assemblés. Il vouloit, en nous retirant du tumulte et des embarras du monde, nous faire éprouver la vérité de ce qu'avoit dit le Prophète : Qu'il est doux et qu'il est agréable à des frères ou à des sœurs en Jésus-Christ, de se voir renfermés dans un même lieu, d'y être parfaitement unis par le lien d'une charité mutuelle (Psalm. 132). Mais sans la paix, cette Jérusalem, ce séjour de la tranquillité et du repos, n'est plus qu'un lieu de confusion. De là naissent les chagrins, les dégoûts de la vie religieuse. On n'y trouve pas ce qu'on y avoit cherché. On s'étoit proposé d'y passer ses jours dans un saint calme et dans la pratique de la vertu : on s'étoit promis d'y être content, et l'on avoit sujet de l'espérer; mais comment le seroit-on parmi des personnes avec qui l'on ne peut compatir, et au milieu d'une guerre domestique, où l'on n'a presque point de relâche par les divers incidents qui se succèdent sans cesse, et qui excitent les querelles et les combats? Ce qu'il y a encore de bien déplorable et de bien pernicieux pour la religion, c'est qu'on intéresse les gens du monde dans des dissensions, qu'il faudroit au moins cacher aux yeux du public et dérober à sa connoissance. Mais soit par indiscrétion, soit pour se donner une vaine consolation, soit pour se procurer de l'appui et de la protection, on s'explique de sa peine avec des amis, on en fait part à des parents, on émeute toute une famille. Le scandale se répand au-dehors, et une communauté tombe dans le décri. Le monde, naturellement enclin à juger mal, se persuade, quoique très injustement et très faussement, qu'il en est de même de toutes les autres maisons religieuses; et voilà par où l'état religieux a beaucoup perdu de son lustre et de son crédit dans une infinité d'esprits, prévenus et trompés par certains exemples dont ils ont tiré des conséquences trop générales.

VI. L'Apôtre conjuroit les premiers chrétiens qu'il n'y eût point entre eux de schismes ni de partialités. Il en prévoyoit les suites funestes pour le christianisme, et c'est pour cela qu'il s'appliquoit avec tant de soin à en garantir l'Église de Dieu. Il représentoit aux fidèles qu'ils avoient reçu le même baptême, qu'ils avoient été instruits dans la même foi, qu'ils servoient le même Dieu d'où il concluoit qu'ils ne devoient donc avoir, pour ainsi dire, qu'un même cœur et qu'une même ame. Mais outre ces raisons communes et universelles, il y en a encore de particulières qui doivent nous lier plus étroitement daus la profession religieuse. Nous avons fait à Dieu les mêmes voeux, nous nous sommes soumis à la même règle, nous gardons depuis le matin jusques au soir les mêmes observances, nous dépendons des mêmes supé

rieurs, nous demeurons dans la même maison, nous portons le même habit, nous sommes membres de la même société et du même ordre. L'unité en tout cela est parfaite : n'y auroit-il que nos cœurs entre lesquels elle ne se trouvera pas, lorsqu'elle y est néanmoins si nécessaire?

§ II. Les obstacles les plus ordinaires qui troublent la paix avec le prochain.

Malgré toutes les remontrances de saint Paul et ses plus fortes exhortations, la paix, du temps même de ce grand apôtre, ne laissa pas d'être troublée parmi les chrétiens. Ainsi, nous ne devons point être surpris qu'elle le soit encore aujourd'hui dans les communautés religieuses. Elles ne sont pas plus saintes que l'étoit cette Église naissante, que le Saint-Esprit venoit de former, et qu'il avoit comblée de ses dons les plus excellents. Mais c'est justement ce qui nous doit engager à prendre plus sur nous-mêmes, et à faire plus d'efforts pour nous préserver d'un malheur où il est si aisé de tomber, et dont toute la ferveur de la primitive Église n'a pas defendu des ames si pures d'ailleurs, et comme toutes célestes. Voilà, dis-je, pourquoi nous devons redoubler nos soins, et apporter une extrême vigilance à prévenir et à écarter les moindres obstacles qui pourroient altérer la paix et la détruire. Or, entre ces obstacles, les plus communs sont : 1° la diversité des tempéraments et des humeurs; 2° la diversité des intérêts et des prétentions; 3o la diversité des opinions et des sentiments; 4° la diversité des directions et des conduites; 5° enfin, les liaisons et les amitiés particulières. Il y en a d'autres, mais qui la plupart sont compris dans ceux-ci et en dépendent. Je vais m'expliquer davantage sur chacun de ces cinq articles.

I. Les tempéraments ne sont pas les mêmes, et rien n'est plus différent que les humeurs. Il y a des humeurs douces et paisibles, et il y en a de violentes et d'impétueuses; il y a des humeurs agréables et enjouées, et il y en a de chagrines et de bizarres ; il y a des humeurs faciles et condescendantes, et il y en a d'opiniâtres et d'inflexibles. Dans une même communauté, les unes aiment à contredire, et les autres ne peuvent souffrir la plus légère contradiction; les unes prennent plaisir à railler et à médire, et les autres sont délicates jusques à l'excès, et sensibles à la plus petite parole qui les touche. De tout cela, et de bien d'autres caractères tout opposés, naît une contrariété naturelle qui demande une attention infinie pour en arrêter les fâcheux effets. Si l'on ne vivoit pas ensemble, ou qu'on ne se vît que très rarement, cette contrariété seroit moins à craindre; mais quand des personnes ont tous les jours à se parler, à converser, à traiter les unes avec les autres; quand tous les jours elles se rencontrent dans les mêmes offices, les mêmes fonctions, et à côté l'une de l'autre, n'estce pas un miracle de la grace, si elles se tiennent toujours dans un

parfait accord, et s'il ne leur échappe rien qui les puisse déconcerter? Et certes, s'il y a quelque chose en quoi paroissent plus sensiblement la sagesse et la force de l'esprit de Dieu, c'est de savoir assortir et concilier des cœurs à qui la nature avoit donné des inclinations et des qualités qui sembloient les plus incompatibles.

II. La diversité des intérêts et des prétentions ne cause pas moins de troubles que la diversité des humeurs et des tempéraments. Tous les sujets qui composent une communauté ne devroient proprement avoir qu'un seul intérêt : c'est celui de la communauté même. Si cela étoit, on y verroit une pleine correspondance et un concours général à s'aider mutuellement et à se prêter la main, parcequ'on n'auroit en vue que le bien commun. Mais ce bien commun n'est pas toujours ce qu'on se propose; et il y a un bien particulier et personnel qui nous occupe beaucoup plus, et sur quoi l'on n'a souvent que trop de vivacité. Car quoiqu'on ait renoncé au monde, on ne laisse pas dans la profession religieuse de se faire mille intérêts propres, qui, pour être d'un autre genre, n'en attachent pas moins le cœur ; et si l'on n'y prend garde, on nourrit dans le cloître les mêmes passions qu'on auroit eues dans le siècle, et il n'y a de différence que dans les objets. On se met en tête d'avoir une telle charge, on veut obtenir une telle permission, on prétend que telle préférence nous est due, et l'on s'obstine à l'emporter. Il faut pour cela des patrons, il faut des suffrages. De là les intrigues pour réussir; de là les jalousies et les dépits si l'on ne réussit pas; de là les vains triomphes qui piquent les autres et qui les aigrissent, si l'on a l'avantage sur elles. C'est assez pour partager toute la maison. Les uns approuvent, les autres condamnent: les esprits s'échauffent, et de cette sorte l'on n'a que trop vu de fois des bagatelles et des affaires de néant devenir des affaires sérieuses et bouleverser des communautés entières.

III. Un autre obstacle à la paix, encore plus dangereux et plus pernicieux, c'est la diversité des sentiments et des opinions en matière de doctrine. Il n'est rien de plus étrange, ni rien de plus déplorable que de voir des filles religieuses, et souvent de jeunes filles sans expérience et sans connoissances, vouloir entrer dans des questions que non seulement elles n'entendent pas, mais qu'elles n'entendront jamais et qu'elles ne peuvent entendre, parcequ'elles n'ont pas là-dessus les principes nécessaires. Cependant un esprit de présomption, un esprit de curiosité, un esprit de vanité et de singularité les préoccupe tellement, qu'elles veulent connoître de tout, parler de tout, juger de tout. S'élève-t-il des disputes dans l'Église sur des matières très subtiles et très abstraites, il faut qu'elles en soient instruites: et à peine en ont-elles la teinture la plus foible et la plus superficielle, qu'elles se croient aussi éclairées que les plus habiles théologiens. Du moins s'expliquent-elles d'un ton plus assuré et plus décisif que les docteurs mêmes: et parceque tout ce qui est extraordinaire et nou

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