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mon salut, c'est une contradiction; car vouloir le salut, et ne vouloir rien faire de tout ce qu'on sait indispensablement requis pour parvenir au salut, ne sont-ce pas dans une même volonté deux sentiments incompatibles, et qui se détruisent l'un l'autre? Hé! nous tromperons-nous toujours nous-mêmes, chercherons-nous toujours à rejeter sur Dieu ce que nous ne devons imputer qu'à nous-mêmes, et qu'à la plus lâche et la plus profonde négligence?

POSSIBILITÉ DU SALUT DANS TOUTES LES CONDITIONS DU MONDE.

Quand un homme du monde dit qu'il ne peut se sauver dans son état, c'est une mauvaise marque: car un des premiers principes pour s'y sauver est de croire qu'on le peut. Mais c'est encore pis, quand persuadé, quoique faussement, que dans sa condition il ne peut faire son salut, il y demeure néanmoins: car un autre principe non moins incontestable, c'est que dès qu'on ne croit pas pouvoir se sauver dans un état, il le faut quitter. J'ai, dites-vous, des engagements indispensables qui m'y retiennent; et moi je réponds que si ce sont des engagements indispensables, ils peuvent dès-lors s'accorder avec le salut, puisqu'étant indispensables pour vous, ils sont pour vous de la volonté de Dieu, et que Dieu, qui nous veut tous sauver, n'a point prétendu vous engager dans une condition où votre salut vous devînt impossible. Développons cette pensée; elle est solide.

C'est un langage mille fois rebattu dans le monde, de dire qu'on ne s'y peut sauver : et pourquoi ? parcequ'on est, dit-on, dans un état qui détourne absolument du salut. Mais comment en détournet-il? Est-ce par lui-même? cela ne peut être, puisque c'est un état établi de Dieu; puisque c'est un état de la vocation de Dieu; puisque c'est un état où Dieu veut qu'on se sanctifie; puisque c'est un état où Dieu, par une suite immanquable, donne à chacun des graces de salut et de sanctification, et non seulement des graces communes, mais des graces propres et particulières que nous appelons pour cela graces de l'état enfin, puisque c'est un état où un nombre infini d'autres avant nous ont vécu très régulièrement, très chrétiennement, très saintement, et où ils ont consommé, par une heureuse fin, leur prédestination éternelle. Reprenons, et de tous ces points, comme d'autant de vérités connues, tirons, pour notre conviction, les preuves les plus certaines et les plus sensibles.

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Un état que Dieu a établi. Car le premier instituteur de tous les états qui partagent le monde et qui composent la société humaine, c'est Dieu même, c'est sa providence. Il a été de la divine sagesse, en les instituant, d'y attacher des fonctions toutes différentes ; et de là vient cette diversité de conditions, qui sert à entretenir parmi les hommes la subordination, l'assistance mutuelle, la règle et le bon ordre. Or Dieu, qui, dans toutes ses œuvres, envisage sa gloire, n'a point assurément été ni voulu être l'auteur d'une condition où l'on ne

pût garder sa loi, où l'on ne pût s'acquitter envers lui des devoirs de la religion, où l'on ne pût lui rendre, par une pratique fidèle de toutes ses volontés, l'hommage et le culte qu'il mérite. Et comme c'est par-là qu'on opère son salut, il faut donc conclure qu'il n'y a point d'état qui, de lui-même, y soit opposé, ni qui empêche d'y travailler efficacement.

Un état qui, établi de Dieu, est de la vocation de Dieu. C'est-àdire qu'il y en a plusieurs que Dieu destine à cet état, puisqu'il veut, et qu'il est du bien public, que chaque état soit rempli. Que serviroitil, en effet, d'avoir institué des professions, des ministères, des emplois, s'ils devoient demeurer vides, et qu'il ne se trouvât personne pour y vaquer? Mais d'ailleurs, comment pourrions-nous accorder, avec l'infinie bonté de Dieu notre créateur et notre père, de nous avoir appelés à un état où il ne nous fût pas possible d'obtenir la souveraine béatitude pour laquelle il nous a formés, ni de mettre notre ame à couvert d'une éternelle damnation ?

Un état où Dieu veut qu'on se sanctifie et qu'on se sauve. C'est le même commandement pour toutes les conditions, et c'étoit à des chrétiens de toutes les conditions que saint Paul disoit sans exception, La volonté de Dieu est que vous deveniez saints (Thess., 4). Voilà pourquoi il leur recommandoit à tous d'acquérir la perfection de leur état, et leur promettoit, au nom de Dieu, le salut comme la récompense de leur fidélité. D'où il est évident que Dieu nous ordonnant ainsi de nous sanctifier dans notre état, quel qu'il soit, et voulant que par la sainteté de nos œuvres nous nous y sauvions, la chose est en notre pouvoir, suivant cette grande maxime, que Dieu ne nous ordonne jamais rien qui soit au-dessus de nos forces.

Un état aussi où Dieu ne manque point de nous donner des graces de salut et de sanctification. Graces communes et graces particulières; graces communes à tous les états, graces particulières, et conformes à l'état que Dieu, par sa vocation, nous a spécialement destiné: les unes et les autres capables de nous soutenir dans une pratique constante des obligations de notre état; capables de nous assurer contre toutes les occasions, toutes les tentations, tous les dangers où peut nous exposer notre état; capables de nous avancer, de nous élever, de nous perfectionner selon notre état. De sorte que, partout et en toutes conjonctures, nous pouvons dire, avec l'humble et ferme confiance de l'Apôtre : Je puis tout par le secours de celui qui me fortifie (Philipp., 4).

Un état enfin où mille autres avant nous se sont sanctifiés et se sont sauvés. Les histoires saintes nous l'apprennent; nous en avons encore des témoignages présents: et quoique dans ces derniers siècles le déréglement des mœurs soit plus général que jamais, et qu'il croisse tous les jours, il est certain néanmoins que si Dieu nous faisoit connoître tout ce qu'il y a de personnes qui vivent actuellement dans la

même condition que nous, nous y trouverions un assez grand nombre de gens de bien, dont la vue nous confondroit. Il est difficile que nous n'en connoissions pas quelques uns, ou que nous n'en ayons pas entendu parler. Que ne faisons-nous ce qu'ils font? que n'agissonsnous comme ils agissent? que ne nous sauvons-nous comme ils se sauvent? Sommes-nous d'autres hommes qu'eux, ou sont-ils d'autres hommes que nous? Avons-nous plus d'obstacles à vaincre, ou les moyens du salut nous manquent-ils? Reconnoissons-le de bonne foi: l'essentielle et la plus grande différence qu'il y a entre eux et nous n'est ni dans l'état, ni dans les obstacles, ni dans les moyens, mais dans la volonté. Ils veulent se sauver, et nous ne le voulons pas.

De là qu'arrive-t-il? parcequ'ils veulent se sauver, et qu'ils le veulent bien, ils se font des peines et des engagements de leur état autant de sujets de mérite pour le salut; et parceque nous ne voulons pas nous sauver ou que nous ne le voulons qu'imparfaitement, nous nous faisons, de ces mêmes engagements et de ces mêmes peines, autant de prétextes pour abandonner le soin du salut. Je sais que pour se conduire en chrétien dans son état, que pour n'y pas échouer, et pour se préserver de certains écueils qui s'y rencontrent par rapport au salut, on a besoin de réflexion, d'attention sur soi-même, de fermeté et de constance: or c'est ce qui gêne, et ce qu'on voudroit s'épargner. Au lieu donc de tout cela, on pense avoir plus tôt fait de dire qu'on ne peut se sauver dans son état: on tâche de se le persuader, et peut-être en vient-on à bout. Mais trompe-t-on Dieu ? et quand un jour nous paroîtrons devant son tribunal, et que nous lui rendrons compte de notre ame, que lui répondrons-nous, lorsqu'il nous fera voir que cette prétendue impossibilité qui nous arrêtoit n'étoit qu'une impossibilité supposée, qu'une impossibilité volontaire, qu'une lâcheté criminelle de notre part, qu'une foiblesse qui, dès le premier choc, se laissoit abattre, et qui, bien loin de nous justifier en ce jugement redoutable, ne doit servir qu'à nous condamner?

Mais, pour mieux pénétrer le fond de la chose, je demande pourquoi nous ne pourrions pas allier ensemble les devoirs de notre état et ceux de la religion? Notre état, je le veux, nous engage au service du monde; mais ce service du monde, autant qu'il convient à notre condition, n'est point contraire au service de Dieu. Car, quoi que nous puissions alléguer, trois vérités sont indubitables: 1° Que les devoirs du monde et ceux de la religion ne sont point incompatibles. 2° Qu'on ne s'acquitte jamais mieux des devoirs du monde, qu'en s'acquittant bien des devoirs de la religion. 3° Qu'on ne peut même satisfaire à ceux de la religion, sans s'acquitter des devoirs du monde : et voilà de quelle manière nous pouvons et nous devons pratiquer cette excellente leçon du Sauveur des hommes: Rendez à César, c'està-dire au monde, ce qui est à César, et rendez à Dieu ce qui appartient à Dieu (MATTH., 22). L'un n'est point ici séparé de l'autre. Par où

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nous voyons, selon la pensée et l'oracle de notre divin maître, qu'il n'est donc point impossible de servir tout à la fois, et conformément à notre état, Dieu et le monde; Dieu pour lui-même, et le monde en vue de Dieu.

J'ai ajouté, et c'est une vérité fondée sur la raison et sur l'expérience, qu'on ne s'acquitte jamais mieux de ce qu'on doit à son état et au monde, qu'en s'acquittant bien de ce qu'on doit à Dieu, parcequ'alors tout ce qu'on fait pour son état et pour le monde, on le fait pour Dieu et dans l'esprit de Dieu : or, le faisant dans l'esprit de Dieu et pour Dieu, on le fait avec une conscience beaucoup plus droite, avec un zèle plus pur et plus ardent, avec plus d'assiduité, de régularité, de probité. Un troisième et dernier principe, non moins vrai que les deux autres, c'est qu'on ne peut même s'acquitter pleinement de ce qu'on doit à Dieu, si l'on ne s'acquitte de ce qu'on doit à son état et au monde, puisque, dès qu'on le doit au monde et à son état, Dieu veut qu'on y satisfasse, et que c'est là une partie de la religion.

De tout ceci concluons que si notre état nous détourne du salut, ce n'est point par lui-même, mais par notre faute : car, bien loin que de lui-même ce soit un obstacle au salut, c'est au contraire la voie du salut que Dieu nous a marquée. Nous devons tous aspirer au même terme, mais nous n'y devons pas tous arriver par la même voie. Chacun a la sienne or la nôtre, c'est l'état que Dieu nous a choisi; et en nous y appelant, il nous dit : Voilà votre chemin, c'est par-là que vous marcherez (Isai., 50). Tout autre ne seroit point si sûr pour nous, dès qu'il seroit de notre choix, sans être du choix de Dieu.

Comment doncet en quel sens est-il vrai qu'on ne peut se sauver dans son état? C'est par la vie qu'on y mène et qu'on y veut mener, laquelle ne peut compatir avec le salut: mais on y peut vivre autrement, mais on doit y vivre autrement, mais on peut et on doit autrement s'y comporter.

Cet état expose à une grande dissipation par la multitude d'affaires qu'il attire, et cette dissipation fait aisément oublier les vérités éternelles, les pratiques du christianisme, le soin du salut. Le remède, ce seroit de ménager chaque année, chaque mois, chaque semaine, et même chaque jour, quelque temps pour se recueillir et pour rentrer en soi-même. Ce temps ne manqueroit pas, et on sauroit assez le trouver, si l'on y étoit bien résolu; mais pour cela, il faudroit prendre un peu sur soi, et c'est à quoi on ne s'est jamais formé. On se livre à des occupations tout humaines, on s'en laisse obséder et posséder, on en a sans cesse la tête remplie; le souvenir de Dieu s'efface, et on pense à tout, hors à se sauver.

Cet état donne des rapports qui obligent de voir le monde, de converser avec le monde, d'entretenir certaines habitudes, certaines liaisons parmi le monde : et personne n'ignore combien pour le salut il y a de risques à courir dans le commerce du monde. Le préservatif né

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cessaire, ce seroit d'abord de retrancher de ces liaisons et de ce commerce du monde ce qui est de trop; ensuite, de se renouveler souvent, et de se fortifier par l'usage de la prière, de la confession, de la communion, de la lecture des bons livres : mais on ne veut point de toutes ces précautions, et on ne s'en accommode point. On se porte partout indifféremment et sans discernement: tout foible et tout désarmé, pour ainsi dire, qu'on est, on va affronter l'ennemi le plus puissant et le plus artificieux; on suit le train du monde, on est de toutes ses compagnies, on en prend toutes les manières : et est-il surprenant alors que dans un air si corrompu l'on s'empoisonne, et qu'au milieu de tant de scandales, on fasse des chutes grièves et mortelles? Je passe bien d'autres exemples, et j'avoue qu'en se conduisant de la sorte dans son état, il n'est pas possible de s'y sauver; mais consultons-nous nousmêmes, et rendons-nous justice. Qui nous empêche d'user des moyens que nous avons en main pour mieux régler nos démarches et mieux assurer notre salut? ne le pouvons-nous pas? Or, de ne l'avoir pas fait lorsqu'on le pouvoit, lorsqu'on le devoit, lorsqu'il s'agissoit d'un si grand intérêt que le salut, quel titre de réprobation!

Il n'est donc point question, pour nous sauver, de changer d'état ; et souvent même, comme nous l'avons déja observé, ce changement pourroit préjudicier au salut, parceque le nouvel état qu'on embrasseroit ne seroit point proprement, ni selon Dieu, notre état : c'est-àdire que ce ne seroit point l'état qu'il auroit plu à Dieu de nous assigner dans le conseil de sa sagesse.

Il n'est point question de renoncer absolument au monde, et de nous ensevelir tout vivants dans des solitudes, pour n'être occupés que des choses éternelles, et pour ne vaquer qu'aux exercices intérieurs de l'ame. Cela est bon pour un petit nombre à qui Dieu inspire cette résolution, et à qui il donne la force de l'exécuter: mais, après tout, que seroit-ce de la société humaine, si chacun prenoit ce parti? à quoi se réduiroit le commerce des hommes entre eux et sans ce commerce, comment pourroit subsister l'ordre et la subordination du monde ? Ainsi, rien de plus sage ni de plus raisonnable que la règle de saint Paul, lorsqu'écrivant aux premiers fidèles nouvellement convertis, il leur disoit: Mes Frères, demeurez dans les mêmes conditions où vous étiez quand il a plu à Dieu de vous appeler (1. Cor., 7); comme s'il leur eût dit: Dans ces conditions, vous pouvez être chrétiens, et vivre en chrétiens; car ce n'est point précisément à la condition que la qualité de chrétien est attachée. Or, vivant en chrétiens et pratiquant dans vos conditions l'Évangile de Jésus-Christ, vous vous sauverez, puisque c'est de cette vie chrétienne et de cette fidèle observation de la loi que le salut dépend.

Voilà ce qu'une infinité de mondains ne veulent point entendre, parcequ'ils veulent avoir toujours de quoi s'autoriser dans leur vie mondaine, et que pour cela ils ne veulent jamais se persuader qu'ils puis

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