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Devant la juridiction administrative une règle comme celle que nous venons d'indiquer n'existe pas, et il ne peut être question de la fin de non-recevoir qui peut en être tirée contre l'action que l'on se propose d'intenter. Si minime que soit l'intérêt en jeu, lorsque le législateur a organisé deux degrés de juridiction pour connaître d'une affaire d'un genre déterminé, cette affaire peut être portée successivement devant ces deux degrés de juridiction. Le législateur a estimé, avec raison croyonsnous, que les affaires qui sont de la compétence de la juridiction administrative touchent toujours par un côté quelconque à l'intérêt public, et qu'il y avait lieu dès lors de permettre aux justiciables des tribunaux administratifs de profiter des garanties que leur offre le double degré de juridiction, sans distinguer entre le cas où l'intérêt en jeu est relativement peu important, et le cas où cet intérêt présente une importance relative plus considérable; du reste, les frais d'une instance administrative sont, comme nous l'avons indiqué, sensiblement moins élevés que les frais d'une instance judiciaire, et cette considération qui présente un intérêt sérieux lorsqu'il s'agit des tribunaux judiciaires, présente un intérêt moins grave lorsqu'il s'agit des tribunaux de l'ordre administratif.

Nous devons dire que parmi les projets de réorganisation de la juridiction administrative, certains proposent d'introduire entre le premier et le dernier ressort la distinction observée devant les tribunaux judiciaires et tirée de l'importance du litige. En faisant des conseils de préfecture les tribunaux de droit commun en matière administrative, ils feraient du Conseil d'État un tribunal d'appel devant lequel les affaires, ou du moins certaines affaires jugées en premier ressort par les conseils de préfecture, ne pourraient être portées que lorsque l'intérêt en jeu présenterait une certaine importance. Nous pensons que cette innovation, si jamais elle est adoptée, serait peu heureuse, et qu'elle priverait, sans motifs suffisants, les justiciables de la garantie que leur offrirait normalement l'organisation de deux degrés de juridiction.

SECTION X

Le Recours parallèle.

La fin de non-recevoir dont nous avons à nous occuper sous le titre de << recours parallèle », est spéciale aux instances portées devant le Conseil d'Etat ; elle peut empêcher les seules affaires soumises à ce tribunal d'aboutir à la décision sollicitée par celui qui a engagé l'action; seulement, le Conseil d'État étant le tribunal administratif de droit commun, en fait, cette fin de nonrecevoir a une importance pratique sérieuse. Au fond, elle n'est qu'une forme particulière de la fin de non-recevoir plus générale qui peut être tirée de l'incompétence d'un tribunal pour statuer sur la question qui lui est soumise, et si cette fin de non-recevoir a revêtu cette forme particulière qui exige une mention spéciale, c'est grâce à la jurisprudence du Conseil d'État, jurisprudence plus ou moins contestable sous différents rapports.

I. Pour comprendre comment cette fin de non-recevoir se présente devant le Conseil d'État, et jusqu'à quel point elle est justifiée, il importe de donner dès à présent quelques indications sommaires sur la manière dont fonctionne le Conseil d'État comme tribunal administratif.

Par suite de circonstances diverses sur lesquelles nous nous expliquerons dans le chapitre suivant, on distingue deux sortes d'instances devant le Conseil d'Etat. D'un côté, on trouve le recours contentieux proprement dit ou recours contentieux de pleine juridiction, par lequel l'individu dont le droit a subi une atteinte peut obtenir de l'instance engagée par lui une satisfaction aussi complète que la loi le permet, car le Conseil d'État saisi d'un recours contentieux de pleine juridiction peut annuler, modifier l'acte administratif argué d'illégalité, prononcer à son occasion des condamnations pécuniaires. D'autre part,on rencontre un recours spécial, le recours pour excès de pouvoir, recours fondé sur des griefs spécifiés, incompétence, vice de formes,

violation de la loi et des droit acquis, détournement de pouvoir, recours qui peut aboutir à un seul résultat, l'annulation de la décision attaquée, annulation produisant effet erga omnes lorsqu'il s'agit d'une décision générale. Nous n'avons pas à démontrer en ce moment jusqu'à quel point cette distinction est arbitraire et illogique ; il nous suffit de constater qu'elle existe, et c'est à elle qu'est due en partie ce qu'on appelle « la théorie du recours parallèle » et la fin de non-recevoir qui est tirée de ce recours parallèle.

Cette fin de non-recevoir est, en effet, opposable aux instances engagées sous la forme particulière du recours pour excès de pouvoir, et cela pour les raisons suivantes : Étant donnée la généralité des griefs qui peuvent être invoqués à l'appui du recours pour excès de pouvoir, et notamment la généralité des griefs qui peuvent être compris sous le nom de violation de la loi et des droits acquis, il n'est pas d'illégalité qui ne puisse, en principe, être soumise au Conseil d'Etat par la voie du recours pour excès de pouvoir; toutes les fois qu'une instance est engagée, celui qui l'intente peut soutenir qu'il y a eu violation de la loi à son préjudice, et atteinte portée à ses droits. Que fautil donc décider lorsque le législateur a expressément ordonné que certaines contestations seraient portées devant un tribunal administratif autre que le Conseil d'Etat, ou seraient portées devant le Conseil d'État lui-même, mais par la voie du recours contentieux proprement dit? Faut-il admettre que les intéressé pourront à leur gré porter le débat, soit devant la juridiction spécialement compétente pour en connaître, soit devant le Conseil d'État par la voie du recours pour excès de pouvoir ? Et pour prendre un exemple les conseils de préfecture sont compétents, d'après la loi du 28 pluviôse an VIII, pour connaître des contestations qui s'élèvent en matière de contributions directes; ils sont compétents d'après la loi du 5 avril 1884 pour connaître des élections aux conseils municipaux; le contribuable auquel on réclame à titre d'impôt une somme qu'il ne doit pas, le candidat qui n'a pas été proclamé élu alors qu'il aurait dû l'être, peuvent assurément porter leurs réclamations devant le conseil de préfecture; mais peuvent-ils également s'adresser au Conseil d'État et, sous prétexte de violation de la loi et des droits acquis, lui demander d'annuler pour excès de pouvoir, soit l'article du rôle qui met à leur charge un impôt qu'ils ne doivent pas, soit la décision du bureau électoral qui a proclamé élus ceux qui ne devaient pas l'être ?

L'affirmative a trouvé des partisans, sinon à propos des espèces qui viennent d'ètre indiquées, du moins à propos d'espèces analogues, partisans qui ont fait observer qu'au point de vue juridique aucun texte ne limitait expressément le domaine du recours pour excès de pouvoir et n'empêchait de l'employer aux lieu et place du recours contentieux ordinaire ; ces mêmes esprits ont fait remarquer qu'au même point de vue, aucun texte ne limitait tacitement le domaine de ce même recours, car le résultat poursuivi par ce moyen était tout autre que celui poursuivi par le recours contentieux ordinaire; le recours pour excès de pouvoir ne peut aboutir, en effet, qu'à l'annulation de la décision attaquée, mais il produit cette annulation erga omnes, il ne fait donc pas double emploi avec le recours contentieux proprement dit; enfin, au point de vue pratique on a fait observer qu'il n'était pas sans intérêt de permettre à un individu de faire tomber immédiatement une décision administrative intéressant un nombre considérable d'individus,sans obliger chacun de ces individus à intenter séparément une instance destinée à profiter à lui seul 2, et on a fait remarquer en outre, qu'au point de vue politique la facilité d'accès au recours pour excès de pouvoir n'était pas sans présenter certains avantages bien en harmonie avec l'esprit qui a présidé à l'organisation du recours en question.

Le Conseil d'État n'a pas adopté cette manière de voir. D'une part, il a considéré qu'en accueillant le recours pour excès de pouvoir dans tous les cas où un acte peut être argué d'illégalité, mais où la loi ouvre un recours contentieux contre cet acte devant un autre tribunal, c'était admettre que lui, Conseil d'État. avait été investi en matière administrative d'une compétence illimitée, sans que cette compétence rencontrât des bornes dans la compétence des autres tribunaux administratifs, ou même des tribunaux judiciaires lorsque ceux-ci, par exception. sont compétents pour statuer en matière administrative; il n'y a pas, ou

1. La loi des 7-14 octobre 1790 et la loi du 24 mai 1872, art. 9, sur lesquelles s'appuie le Conseil d'État pour organiser l'instance connue sous le nom de recours pour excès de pouvoir, sont, en effet, générales, et elles n'excluent pas formellement ce recours lorsqu'un autre recours est ouvert devant une autre juridiction.

2. Rozy, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1870, p. 107 et s.; COLLET, Revue critique de législation et de jurisprudence, 1876, p. 233 et s.; DUFOUR, Droit administratif, t. 1er, nos 463 et 721; DUCROCQ, Cours de droit administratif, 6' éd., t. 1er, p. 237.

il n'y a guère d'affaire qui ne puisse être portée devant le Conseil d'État par la voie du recours pour excès de pouvoir, et en adoptant le principe qui vient d'être indiqué de la généralité du recours pour excès de pouvoir, le Conseil d'État aurait pu réduire à peu de chose la compétence des autres tribunaux en matière administrative. Les règles législatives qui ont organisé cette compétence font obstacle à un pareil résultat; le Conseil d'État a pensé qu'il devait respecter, et qu'il respectait ces règles en refusant d'accueillir le recours pour excès de pouvoir toutes les fois qu'un autre recours contentieux permettait aux intéressés de faire valoir leurs prétentions. D'autre part, en accueillant trop facilement le recours pour excès de pouvoir, le Conseil d'État s'exposait à mettre trop souvent ses propres décisions en contradiction avec les décisions d'autres tribunaux. Saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision administratiue, s'il déclarait cette décision valable. rien n'empêchait un autre individu intéressé à faire reconnaître l'illégalité de cette décision, de porter la question devant un des tribunaux auxquels la loi accordait spécialement compétence pour connaître de la difficulté, et d'obtenir de ce tribunal une décision proclamant la nullité de cette décision, ce tribunal étant libre, assurément, de statuer dans une affaire de sa compétence conformément à ce qu'il estimerait être le droit, et ne pouvant être lié par la sentence du Conseil d'État, laquelle, en la circonstance, n'a que l'autorité relative de la chose jugée. La possibilité d'une semblable contrariété de décisions n'a pas été sans exercer une certaine influence sur les solutions adoptées par le Conseil d'État. Ce dernier enfin, a estimé qu'il n'y avait pas lieu de tenir compte outre mesure des effets pratiques du recours pour excès de pouvoir, et notamment de son effet erga omnes lorsque ce recours est dirigé contre une décision présentant un caractère général, pour étendre indéfiniment le domaine de ce recours spécial; celui qui croit avoir à se plaindre d'un acte illégal n'a pas pour mission de provoquer l'annulation de cet acte au regard de tous les intéressés ; il lui suffit donc de pouvoir se prévaloir de l'illégalité de cet acte et d'en obtenir l'annulation à son profit; et sous l'empire de ces considérations, le Conseil d'État a édifié ce qu'on appelle la «< théorie du recours parallèle, » théorie fort justifiée pourvu qu'elle soit renfermée dans des limites exactes.

Nous disons que cette théorie est très justifiée, parce qu'il est exact d'affirmer que le Conseil d'État n'est pas compétent

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