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Il faut conserver, aflirmait-on, le principe de la juridiction du chef de l'État et le système qui consiste à faire revêtir aux décisions préparées par le Conseil d'État en matière contentieuse la forme d'ordonnances, afin que le cas échéant la responsabilité ministérielle puisse être mise en jeu à l'occasion de ces ordonnances.

Rien n'était plus inexact qu'une pareille manière de voir. Parler de responsabilité ministérielle à propos d'ordonnances rendues par le chef de l'État en matière contentieuse et nécessairement contresignées par un ministre, c'était confondre et mettre sur le même pied les deux fonctions différentes qui se trouvaient réunies dans la personne du chef de l'Etat, la fonction administrative proprement dite dans l'exercice de laquelle le chef de l'État peut user de la liberté d'appréciation que lui laisse la loi constitutionnelle, et la fonction juridictionnelle. Que dans l'exercice de la première de ces fonctions, le ministre qui avait accepté de contresigner l'acte du monarque et d'en prendre la responsabilité, eùt à répondre devant les Chambres de l'acte ainsi accompli, rien de plus conforme aux principes du régime parlementaire tel qu'il était appliqué sous la Monarchie de Juillet; les Chambres, sous ce régime, avaient incontestablement le droit de contrôler tous les actes administratifs proprement dits accomplis par le pouvoir exécutif et d'exercer efficacement ce contrôle au moyen de la responsabilité ministérielle. Mais lorsqu'il s'agissait d'une décision rendue en matière contentieuse, en vertu de la fonction juridictionnelle appartenant au chef de 1 État, le Parlement n'avait plus de contrôle à exercer sur un acte de juridiction dans lequel l'autorité qui prononce a eu pour mission de dire le droit pour lui-même et de donner la solution exacte fournie par la loi; il ne peut plus ètre question. de responsabilité encourue par l'autorité qui dégage cette solution, à moins qu'on ne prétende qu'elle s'en acquitte mal et qu'elle manque à son devoir, et alors ce serait le Parlement qui se chargerait de juger lui-même, de faire l'application de ses propres lois; le pouvoir juridictionnel supérieur en matière administrative passerait ainsi au Parlement, ce qui est inacceptable au point de vue théorique et pratique.

La seconde raison invoquée en 1845 en faveur du pouvoir juridictionnel du roi' était la nécessité dans laquelle ce dernier

1. Rapport de M. Dumon.

pouvait se trouver de modifier la solution proposée par le Conseil d'Etat, si la fortune de l'Etat était imprudemment, criminellement compromise; » en pareil cas, le chef de l'État avait le devoir de prendre une décision contraire à celle qui lui était proposée, et il était bon de lui permettre d'exercer ce contrôle suprême. D'ailleurs, ajoutait le rapporteur de la loi, il fallait se rassurer sur les inconvénients du principe admis et ne pas s'effrayer d'un droit dont l'usage peut être indispensable et dont l'abus est pour ainsi dire impossible. » Avec le régime parlementaire en effet, la responsabilité du ministre qui aurait consenti à contresigner une ordonnance au contentieux contraire à celle proposée par le Conseil d'Etat, se serait trouvée aussitôt mise en jeu et aurait entraîné une sanction immédiate, à moins qu'une « nécessité flagrante ne justifiât» une pareille décision; l'expérience prouvait d'ailleurs qu'il n'y avait pas à redouter l'abus d'un droit accordé traditionnellement au monarque et dont celui-ci, en fait, n'usait jamais.

Le raisonnement ainsi présenté en faveur de la juridiction gouvernementale n'était pas plus concluant que le précédent, et sauf en ce qui concerne l'argument tiré de ce fait que le chef de l'Etat n'abusait pas de son pouvoir juridictionnel, il n'était pas plus exact. Comme le précédent, en effet, i admettait que la responsabilité ministérielle pouvait être encourue à propos d'une décision juridictionnelle, ce qui était inacceptable; mais de plus, il proclamait ouvertement que dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle le monarque pouvait abdiquer parfois sa mission de juge et ne laisser place qu'à un administrateur préoccupé uniquement du bien de l'Etat et non de l'application stricte de la loi. On justifiait ainsi la mise en mouvement de la responsabilité ministérielle dans certains cas, mais en même temps on fournissait l'argument le plus puissant contre la juridiction du chef de l'Etat en prouvant que cette juridiction pouvait n'en être pas une, et du moment que l'on ne pouvait invoquer en faveur de la juridiction gouvernementale la capacité supérieure, réelle ou supposée, de celui qui exerçait cette juridiction, le principe était difficilement soutenable.

Le principe fut conservé cependant, et la loi du 19 juillet 1845 dans ses art. 12 et 18 maintint le pouvoir de juridiction du chef de l'État; mais, par son art. 24 elle apporta une restriction grave à ce principe; elle décida en effet que, si une ordonnance n'est pas conforme à l'avis du Conseil d'État, elle ne peut étre rendue que de l'avis du Conseil des ministres ; elle est

motivée, et doit insérée au Moniteur et au Bulletin des lois. » L'innovation introduite par ce texte était plus importante en réalité qu'elle ne le paraissait au premier abord.

1o En vertu de ce texte, le roi conservait intact le pouvoir de juridiction qui lui appartenait en dehors des cas où il statuait en Conseil d'État délibérant au contentieux, si toutefois on admet qu'il possédait un pouvoir de juridiction en dehors de ces hypothèses; l'art. 24 de la loi de 1845 ne vise en effet que les décisions rendues par le chef de l'Etat après délibération du Conseil d'État statuant au contentieux.

2o Le roi conservait en matière de décision contentieuse proprement dite rendue par l'autorité juridictionnelle supérieure, un droit de veto complet. Le Conseil d'État continuait à donner simplement des avis; aucune décision rendue par lui ne pouvait avoir force exécutoire sans l'assentiment du monarque; ce dernier conservait donc un pouvoir d'appréciation personnelle d'une importance réelle.

3° I acquérait le pouvoir de faire statuer successivement deux juridictions administratives supérieures également aptes à prononcer en matière administrative; lorsque la décision proposée par le Conseil d'État ne convenait pas au roi, ce dernier, en effet, pouvait porter la question devant le Conseil des ministres, lequel, nous allons le dire dans un instant, constituait véritablement une juridiction; il dépendait donc du roi de faire prononcer successivement deux juridictions.

4° L'innovation essentielle de la loi de 1845 consistait à faire passer l'autorité juridictionnelle supérieure en matière administrative, du roi seul, au roi en Conseil d'État, ou au roi en Conseil des ministres, du moment qu'il s'agissait d'aboutir à une décision positive. Désormais en effet, pour qu'une décision juridictionnelle puisse intervenir, il faut qu'elle soit conforme à l'avis du Conseil d'État ou à l'avis du Conseil des ministres; le roi peut bien refuser d'approuver l'avis de ces Conseils, mais il ne peut substituer de sa propre initiative sa décision personnelle à celle proposée par ces Conseils; l'art. 24 de la loi de 1845 exige, en effet, que l'ordonnance au contentieux qui n'est pas conforme à la solution proposée par le Conseil d'État soit rendue de l'avis du Conseil des ministres. D'après la loi de 1815 le pouvoir juridictionnel supérieur, en tant qu'il aboutit à une décision positive et non à une simple abstention de statuer, appartient donc désormais collectivement au roi et au Conseil d'État, ou au roi et au Conseil des ministres ; le Conseil d'Etat et

le Conseil des ministres se trouvent donc investis d'un pouvoir juridictionnel propre qui leur permet au moins d'empêcher qu'une décision contentieuse ne puisse être valablement rendue contrairement à leur avis 1.

La loi de 1845 en introduisant cette innovation grave, ne diminuait pas sensiblement d'ailleurs la confusion entre la fonction juridictionnelle et la fonction administrative active. Cette confusion subsistait entièrement en tant que le roi pouvait, par sa seule volonté, paralyser toutes les décisions du Conseil d'Etat; elle subsistait encore en tant qu'à défaut du Conseil d'État le consentement du Conseil des ministres, corps composés d'agents appartenant essentiellement à l'administration active, pouvait valider la décision à intervenir. Malgré cela on doit reconnaitre que le principe d'un pouvoir de juridiction attribué au chef de l'État avait subi une atteinte sérieuse. Il allait bientôt disparaitre entièrement.

A la chute de la Monarchie de Juillet l'organe central du pouvoir exécutif continua à exercer un pouvoir de juridiction jusqu'à la loi du 3 mars 1849. Jusqu'à cette date ce furent successivement le Gouvernement provisoire », « le Président du Conseil chef du Pouvoir exécutif », « le Président de la République » qui prononcèrent ou furent réputés prononcer en Conseil d'État sur les affaires contentieuses. Il faut reconnaitre toutefois qu'à partir de la Constitution du 4 novembre 1848 le pouvoir juridictionnel du chef de l'Etat est des plus douteux. Si la Constitution lui conférait certainement le pouvoir exécutif, on peut se demander si elle ne lui refusait pas tout pouvoir juridictionnel, ce pouvoir étant considéré par la Constitution comme un pouvoir distinct des deux autres pouvoirs, législatif et exécutif 2; cette manière de voir pourrait se trouver confirmée par la réserve faite par la Constitution au sujet des attributions

1. A propos de l'art. 24 de la loi du 19 juillet 1845, un jurisconsulte, Vivien, fit observer que c'était la première fois qu'on inscrivait dans la loi le droit pour le roi de changer lui-même les projets de décision en matière contentieuse proposés par le Conseil d'État, un semblable droit n'ayant jamais été exercé parce qu'il n'était inscrit nulle part. C'était une erreur; le droit pour le chef de l'État de modifier les décisions proposées par le Conseil d'État résultait de la nature même des pouvoirs conférés à ce Conseil par les lois et ordonnances qui l'organisaient, et la loi de 1845 loin de donner au roi ce droit pour la première fois, le restreignait pour la première fois.

2. Chapitre VIII de la Constitution de 1848.

du Conseil d'Etat, « attributions qui seront réglées par la loi », déclare l'art. 75 de ladite Constitution; toutefois, ce même article décidant que le Conseil d'État « exerçait à l'égard des administrations publiques tous les pouvoirs de contrôle et de surveillance qui lui sont déférés par la loi,» on peut en conclure que le contrôle juridictionnel rentrait dans ces pouvoirs de contrôle déférés par la loi, contrôle qui devait étre exercé dans les mêmes conditions que précédemment jusqu'à ce qu'une nouvelle loi intervînt, l'art. 88 de la Constitution conservant même aux « tribunaux spéciaux » << leur organisation et leurs attributions actuelles jusqu'à ce qu'il y ait été dérogé par une loi ». Il était possible d'invoquer ce texte en faveur du pouvoir juridictionnel du Président de la République en Conseil d'Etat jusqu'à ce qu'une loi nouvelle fût intervenue à ce sujet. Cette loi fut la loi du 3 mars 1849.

La loi du 3 mars 1849 introduisit deux innovations: 1o elle enleva au chef de l'État son pouvoir de juridiction en matière contentieuse; 2' elle confia ce pouvoir à une section du Conseil d'État, la section contentieuse, laquelle se trouva désormais investie d'un pouvoir propre de juridiction et constitua le Tribunal administratif supérieur.

De ces deux innovations, la première était la conséquence naturelle des principes qui avaient présidé à l'élaboration de la Constitution de 1848, et elle avait été annoncée au moment où on préparait cette Constitution.

Le projet de Constitution présenté à l'Assemblée nationale le 30 août 1848 prévoyait, en effet, l'organisation d'un Tribunal administratif supérieur indépendant du chef de l'Etat, chargé de prononcer sur le contentieux de l'administration, et duquel dépendraient les tribunaux administratifs secondaires dont l'organisation dans chaque département était également projetée. Ce projet de Constitution ne se contentait pas d'enlever au chef de l'État son pouvoir de juridiction, il privait aussi le Conseil d'État de toute attribution en matière contentieuse, ne lui réservant que des attributions d'ordre administratif proprement dit. Cette idée d'organiser un tribunal administratif autre que le Conseil d'État, fut vivement combattue et n'aboutit pas. On invoqua l'inconvénient qu'il y aurait à bouleverser com plètement les institutions existantes; on fit valoir les services rendus par le Conseil d'État statuant au contentieux et la manière satisfaisante dont il remplissait son office de juridictionon fit observer qu'il était possible de donner à un comité pris

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