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« La royauté est abolie en France. » Le lendemain 22, elle décide que toutes les lois non abrogées étaient maintenues; que tous les corps administratifs, municipaux et judiciaires seraient renouvelés, et qu'à l'avenir les actes publics seraient datés de l'an I de la république. Les jours suivants, elle fait son règlement et répartit la distribution du travail législatif entre différents comités.

Élue pendant l'anarchie qui avait suivi le 10 août et à l'époque même des massacres de septembre, la nouvelle Assemblée portait au front la marque de son origine. La peur et la violence avaient écarté des comices la plus grande partie des électeurs. Un million cinq cent mille à peine prirent part au scrutin, et les documents officiels eux-mêmes attestent le grand nombre des illégalités commises dans les départements. A Paris, les élections s'étaient faites sous l'inspiration unique et sous la dépendance absolue de la Commune insurrectionnelle. Ainsi le prétendu règne des majorités s'inaugurait par l'usurpation d'une minorité audacieuse et puissamment organisée. La Convention était composée de sept cent quarante-neuf membres, sur lesquels on comptait seize évêques constitutionnels, huit vicaires généraux et dix-huit curés ou simples prêtres (1). La Gironde prit place sur les bancs de la droite. Elle se croyait sûre de la victoire : elle avait pour elle le nombre et la supériorité des talents; elle s'appuyait sur les classes moyennes, riches et éclairées; elle possédait les ministères et les administrations départementales. Son but était d'arrêter la révolution au 10 août et de sauver le pays de l'anarchie par le gouvernement de la bourgeoisie. La Montagne occupa les crêtes élevées de la gauche. Outre la députation de Paris, elle se composait d'hommes ignorants, fanatiques, audacieux, envoyés par les départements. A la rhétorique des girondins elle opposait la fougue révolutionnaire, le goût du sang, le mépris de la propriété et le principe

(1) Voir les noms aux pièces justificatives.

qu'il n'y a pas de crime en temps de révolution. Les montagnards s'appuyaient sur la multitude; ils avaient pour eux Paris, les clubs, les faubourgs, la Commune; leur but était d'ouvrir un abîme entre la monarchie et la république et d'établir un gouvernement démagogique. Entre les girondins et les montagnards était le centre, qu'on appela le marais ou la plaine, formé d'hommes paisibles et timides, sans système et sans parti pris. Ces députés appuyèrent les Girondins dans les questions de gouvernement et les Montagnards dans les mesures de salut public, jusqu'à ce que, dominés par la peur et craignant pour leur vie, ils ne servirent plus qu'à sanctionner tous les crimes.

La Gironde et la Montagne n'avaient que deux sentiments communs : la haine de la monarchie et de l'Église catholique. Elles différaient en tout le reste. C'étaient la bourgeoisie et la multitude, les départements et Paris. La lutte entre ces deux partis était inévitable et ne pouvait aboutir qu'au triomphe du plus violent. Elle commence dès les premières séances de la Convention par une attaque des girondins contre la Commune et contre Danton, Robespierre et Marat, les chefs de la faction qui ne rêvait que sang et anarchie.

Au moment où cette guerre intestine éclate dans la Convention, le clergé français, proscrit par la loi du 26 août, achevait de se disperser dans toutes les contrées de l'Europe et jusque dans le nouveau monde. Pour échapper à la mort, il lui avait fallu quitter la France sans délai. Le cœur se serre au récit de la tyrannie qui poursuivait les prêtres exilés depuis le lieu de leur départ jusqu'à la frontière. Après avoir obtenu leur passe-port au prix des insultes et des menaces, après avoir été soumis à des retards sans fin, ils partaient désignés à la fureur des révolutionnaires sur ces feuilles même qu'on leur délivrait pour sauvegarde. Il y avait des villes et des cantons où la populace les traitait comme des malfaiteurs publics. Le département de la Côte-d'Or, entre autres, était des plus hostiles; le traverser sans péril passait pour une espèce

de prodige. Nulle part les routes n'étaient sûres. Souvent les fugitifs étaient accostés par la populace, qui les accusait de tous les malheurs publics. D'autres fois ils rencontraient des rôdeurs de grands chemins ou des détachements de volontaires, sans ordre, sans discipline, qui rejoignaient leurs corps et ne se faisaient aucun scrupule de dépouiller les voyageurs après les avoir chargés d'insultes.

Tel était le sort de tous les prêtres qui s'acheminaient seuls et de leur plein gré vers l'exil. Plus dure encore était la destinée des ecclésiastiques que l'on avait soumis à une détention préventive avant de les déporter. Ceux que l'on avait mis en dépôt à Angers et au Mans furent expédiés le 17 septembre 1792 sur Nantes, où ils devaient s'embarquer. Leur nombre était de quatre cent huit. Les autorités et la population de Nantes témoignèrent à ces confesseurs de la foi de véritables égards et s'empressèrent de prévenir leurs désirs. Le 20 septembre, ils s'embarquaient à Paimbœuf; cent quatre-vingt-quinze angevins sur la Didon, soixante-quatre sur le Saint-François et tous les manceaux sur l'Aurore. La Didon débarqua ses passagers à Santander, et les deux autres navires à la Corogne. Quant aux prêtres angevins ou manceaux trop âgés ou infirmes, ils restèrent au château de Nantes. Leur sort, en apparence plus heureux, fut des plus tristes: ils devinrent, en novembre 1793, les premières victimes des noyades de Carrier. Dans les départements de la Mayenne, d'Ille-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord, les prêtres insermentés furent envoyés à Granville et à Saint-Malo, puis embarqués pour Jersey. En peu de temps il se trouva dans cette petite île près de quatre mille prêtres catholiques. Beaucoup étaient arrivés dans un dénûment complet. Plusieurs étaient réduits à une telle pauvreté qu'ils ne purent fournir aux frais de leur voyage jusqu'à la mer et qu'il leur fallut recourir à l'aumône. Par bonheur la Providence divine leur avait ménagé un puissant appui dans l'île de Jersey. M. Le Mintier, évêque de Tréguier, que la haine des révolutionnaires avait

obligé à se réfugier sur cette terre hospitalière près d'un an avant l'époque de la déportation, avait gagné les sympathies de personnages puissants; et il accueillait et secourait tous les prêtres catholiques qui avaient recours à lui, s'ils étaient pourvus de recommandations de leurs supérieurs. Animé d'une charité inépuisable, il montrait le même empressement pour les manceaux, les angevins, les poitevins et les normands, devenus les compagnons de son exil, que pour les bretons eux-mêmes. Aussi tous l'honoraient comme leur père et étaient heureux de lui témoigner leur respect.

L'histoire des souffrances endurées par les prêtres fidèles serait bien longue, si l'on voulait en donner les détails. Ils sont en général peu connus. Les crimes de la révolution à Paris et dans les provinces ont seuls attiré l'attention publique. Combien peu de nos compatriotes savent de nos jours les épreuves, les privations, les misères sans nom, les peines morales encore plus cuisantes que les souffrances physiques, qu'eurent à supporter nos prêtres proscrits, poursuivis, traqués comme des bêtes fauves, emprisonnés comme des criminels, entassés à fond de cale sur de méchants navires, jetés sur les rivages de l'étranger comme des marchandises de rebut? Qui peut même les savoir? On a organisé contre ces victimes du devoir la conspiration du silence. Chez la plupart de nos historiens populaires, vous chercheriez en vain l'histoire des proscrits. Elle les blessait; ils l'ont tue, comme si l'on pouvait à force de réticences calculées, à force d'oublis volontaires, étouffer le cri des victimes, et pervertir la conscience humaine! Il y a plus. N'avons-nous pas, plus d'une fois en ces derniers temps, entendu parler avec mépris et presque avec colère de ce clergé frivole de 1789, comme si les plus héroïques vertus et le sacrifice poussé jusqu'à la perte de tout n'avaient pas racheté de trop certaines faiblesses, et comme si le grand nombre des prêtres, mis en présence de la pauvreté, de l'exil, de la mort, n'avait pas renouvelé, d'un bout à l'autre du territoire, les merveilles

des beaux siècles de l'Église! L'Angleterre et l'Italie, l'Espagne et la Suisse, l'Allemagne et les pays du Nord, le Canada et les États-Unis d'Amérique prirent de ce clergé une tout autre opinion, en voyant arriver au milieu de leurs populations ces évêques et ces prêtres qui avaient tout quitté pour rendre témoignage de leur foi et rester fidèles à la sainte Église romaine. Le schisme et l'hérésie n'étaient pas habitués à de tels spectacles. Ils montrèrent une véritable admiration à la vue de tant de renoncement. A ce sentiment ne tardèrent pas à se joindre les sympathies publiques, et ensuite cette noble pitié qui soulage et adoucit discrètement les infortunes imméritées.

Ainsi que l'honneur devait lui en appartenir, le souverain pontife fut le premier à donner l'exemple de la charité. Dès 1791, bien des prêtres, obligés de quitter leurs paroisses pour refus de serment, avaient cherché un refuge à Rome, où Pie VI les avait reçus à bras ouverts. Mais ce n'était que l'avant-garde de ces pieux déshérités. Le décret de déportation (26 août) jetait hors de France près de quarante mille ecclésiastiques et en fit affluer un très-grand nombre en Italie. Pie VI répondit à ce décret proscripteur, comme un pape devait faire, en ouvrant ses États aux victimes de la persécution. Chaque jour leur nombre allait croissant. Il ne s'en effraya pas, et, malgré la faiblesse de ses ressources, trouva le moyen de subvenir aux besoins de tous ceux qui se présentaient. Son premier mouvement fut d'inviter les évêques qui s'étaient réfugiés en diverses localités de ses États à se réunir autour du Siége apostolique, et bientôt la France put compter à Rome jusqu'à vingt-quatre de ses évêques. Puis, ayant ainsi donné satisfaction à son cœur de père et de pasteur universel, il s'occupa du clergé de second ordre. Par un bref en date du 10 octobre 1792, il chercha d'abord à éveiller en faveur des prêtres réfugiés l'intérêt des évêques de l'État pontifical. Un peu plus tard, le 26 janvier 1793, par une encyclique adressée aux mêmes évêques, il

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