Obrazy na stronie
PDF
ePub

Pour séparer les deux princesses, il fallut choisir des hommes stupides à force de cynisme. Voici en quels termes ils remplirent leur mission: « Élisabeth Capet, tu es mandée à comparaître devant le tribunal révolutionnaire pour être jugée sur tes crimes: pars, suis-nous. Le fiacre t'attend dans la cour, tu n'as besoin de rien, nous ne pouvons te laisser un moment.» Dans ce langage farouche, madame Élisabeth ne comprit qu'une chose, c'est qu'elle était mandée à comparaître devant Dieu. En embrassant sa nièce pour la dernière fois, elle dit « Priez pour moi, je vais rejoindre vos parents. Il vous reste encore un soutien, c'est Dieu. »

Le comité de salut public avait voulu frapper le peuple par un grand exemple d'égalité devant le bourreau, et madame Élisabeth fut comprise sans aucune espèce de distinction dans une fournée de trente victimes prises au hasard. La pure et sainte victime ne se laissa point effrayer par l'appareil terrible du tribunal. Interrogée sur son nom, elle répondit : Élisabeth de France. A toutes les questions qui lui furent ensuite adressées elle répondit avec le calme et la franchise de l'innocence. Comme on l'accusait d'avoir fait passer de l'argent aux émigrés, d'avoir conspiré avec le tyran au 5 et 6 octobre, au 20 juin, au 10 août, contre la sureté et la liberté du peuple français, son défenseur Chauveau-Lagarde ayant objecté que l'accusation ne produisait aucune pièce, aucun témoin, le président Dumas se lève, pareil à un furieux et dit : Défenseur, vous corrompez la morale publique. Madame Élisabeth fut conduite à l'échafaud avec vingt-quatre personnes, parmi lesquelles la fille de Malesherbes et la veuve de Montmorin; elle mourut la dernière (9 mai 1794). Le bourreau ayant voulu lui arracher son fichu : « Au nom de Dieu, dit-elle, couvrezmoi. » Et le bourreau obéit. Digne de tous les respects et de tous les hommages, avec toutes les vertus modestes de la femme et l'énergie virile d'une grande âme, madame de France avait lutté, souffert, grandi dans l'épreuve et la souffrance, héroïne de la terre et ange du ciel. Elle ne s'enveloppa dans

1

la résignation qu'à l'heure où, tout espoir étant perdu, il ne lui resta plus qu'à rassembler tout son calme pour bien mourir, à l'honneur éternel de sa race et de la religion qui sait inspirer de tels sentiments (1).

Chaque jour l'échafaud avait ses victimes; pourtant les triumvirs, Robespierre, Couthon et Saint-Just, tout en approuvant le système du Comité, voulaient marquer un but à la Terreur. Ils prétendaient changer les mœurs, le caractère, les passions des Français. Ils rêvaient une démocratie chimérique, une république à la manière de Sparte, une société en dehors de toutes les idées et de toutes les habitudes européennes. Ils ne songeaient en aucune manière à instruire, à purifier la multitude; ils l'avaient prise pour la source du droit et de la force, ils l'adoraient comme telle. Le sentiment qui perçait le plus en eux, c'est que dans tout ce que fait le peuple, et dans tout ce qu'on dit pour lui, tout est vertu et vérité, rien ne peut être excès, erreur ou crime. Nous voulons, disaient-ils encore, remplir les vœux de la nature, accomplir les destinées de l'humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la providence du long règne du crime et de la tyrannie. A cette société qui ne pouvait exister que dans l'imagination de sectaires aussi niveleurs, aussi farouches, aussi impies que les anabaptistes du xvi° siècle, il fallait une religion nouvelle, « dont les dogmes fussent des sentiments de sociabilité. » Ce fut l'œuvre de Robespierre; ses collègues le chargèrent de présenter à la Convention la

(1) Robespierre, en prévision de l'avenir, aurait voulu sauver madame Elisabeth. Il passait souvent le soir à la boutique du libraire Maret, établi à l'entrée du Palais-Royal. C'est là qu'on venait se dire à l'oreille les événements du jour. Lorsque les nouvellistes s'étaient retirés, Robespierre se présentait chez Maret, et, en feuilletant quelques livres, lui demandait ce qu'on disait dans le public. Le jour que madame Elisabeth fut exécutée, il vint à la boutique accompagné de Barère, et demanda sur quoi roulait la conversation. « On murmure, on crie contre vous, lui dit avec franchise le libraire; on demande ce que vous avez fait de madame Elisabeth, quels étaient ses crimes, pourquoi vous avez envoyé à l'échafaud cette innocente et vertueuse personne. Eh bien, dit Robespierre, en s'adressant à Barère, vous l'entendez, c'est toujours moi; je vous garantis, mon cher Maret, que, loin d'être l'auteur de la mort de madame Elisabeth, j'ai voulu la sauver; c'est ce scélérat de Collot d'Herbois qui me l'a arrachée. »

TOME XX. 13

profession de foi du Comité. Son discours, tout rempli des idées de Rousseau, fut un événement. La Convention applaudit à ses attaques contre les rois et les prêtres, à son étalage de sentimentalité mystique, à son spiritualisme déclamatoire et vide, à « sa religion universelle de la nature ». Elle vota des fêtes à la liberté, à la justice, au genre humain. Elle proclama de nouveau la liberté des cultes; enfin elle décréta avec les transports d'un enthousiasme simulé : « Le peuple français reconnaît l'existence de Dieu et l'immortalilé de l'âme. » (18 floréal, 8 mai 1794) (1).

Ce décret eut un immense succès. Robespierre devint le nom unique de la révolution. On ne parla plus que de sa verlu, de son génie, de son éloquence. Tout ce qu'il y avait d'esprits chimériques le regarda comme destiné à fonder un ordre nouveau. Il se forma même une secte de gens dont le

(1) Voici le texte des principaux articles de cette loi. Il est utile de la connaître pour apprécier le nouveau culte qu'on prétendait opposer à la fois au culte de la Raison et au Christianisme.

I.

-

Le peuple français reconnaît l'existence de l'Etre suprême et l'immortalité de l'âme.

II.

Il reconnaît que le culte digne de l'Etre suprême est la pratique des devoirs de l'homme.

III.

Il met au premier rang des devoirs de l'homme de détester la mauvaise foi et la tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autres tout le bien qu'on peut, de n'être injuste envers personne.

IV. Il sera institué des fêtes pour rappeler l'homme à la pensée de la divinité et à la dignité de son être.

V..

Elles emprunteront leurs noms des événements glorieux de notre révolution, des vertus les plus utiles à l'homme, des plus grands bienfaits de la nature. VI. La république célébrera tous les ans les fêtes du 14 juillet 1789, du 10 août 1792, du 21 janvier 1793, du 31 mars 1793.

VII.

[ocr errors]
[ocr errors]

Elle célébrera aux jours des décadis les fêtes dont l'énumération suit : à l'Etre suprême et à la nature, au genre humain, au peuple français, -aux bienfaiteurs de l'humanité, aux martyrs de la liberté, à la liberté du monde,

lité, à la république,

[ocr errors]

la haine des tyrans et des traîtres,
à la gloire et à l'immortalité,
à la bonne foi, à l'héroïsme,
l'amour, à la foi conjugale, ·

-

à

[blocks in formation]

à la liberté et à l'égaà l'amour de la patrie,

à la justice, à la pudeur,

l'amitié, à la frugalité,

au désintéressement,

[ocr errors]

au courage, au stoïcisme,

[ocr errors]

à l'amour paternel, — à la tendresse maternelle, à la jeunesse, à l'âge viril, à la vieil

à la piété filiale, à l'enfance, esse, au malheur, à l'agriculture, postérité,

au bonheur.

à l'industrie,

[merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]
[ocr errors]

à nos aïeux,

à la

Il sera célébré le 20 prairial prochain une fête en l'honneur de l'Etre

cerveau faible et inquiet', tourmenté de la manie de prophétiser, trouvait des rapports singuliers entre les événements de la révolution et certains passages de l'Évangile, et ils firent de Robespierre un nouveau Messie et le rédempteur du genre humain. C'étaient les noms que lui donnait une vieille folle, Catherine Théot, la mère de cette secte.

On avait fixé la première célébration du nouveau culte au 20 prairial (8 juin) dans toute l'étendue de la république. Sur un vaste amphithéâtre dressé dans les Tuileries,au milieu d'un nombreux orchestre, Robespierre, élu à dessein l'avant-veille président de la Convention, parut comme le pontife de l'Être suprême, à la tête de l'Assemblée et la figure rayonnante de joie. Il marchait à quinze pas en avant de ses collègues, seul, dans un costume brillant, tenant des fleurs et des épis à la main, et l'objet de l'attention générale. Après avoir harangué le peuple, il finit son discours, dans lequel on cherchait l'espérance d'un meilleur avenir, par de sinistres paroles : « Peuple, livrons-nous aujourd'hui aux transports d'une pure allégresse; demain nous combattrons encore les vices et les tyrans. » Des Tuileries, la Convention se rendit au champ de Mars, entourée et comme enlacée d'un ruban tricolore que portaient des enfants ornés de violettes, des jeunes gens ceints de myrtes, des hommes mûrs couronnés de feuilles de chêne, et des vieillards parés de pampres et d'olivier. Un char agreste rempli d'instruments aratoires suivait l'Assemblée. Il était traîné par des bœufs à cornes dorées qu'escortait un essaim de jeunes filles vêtues de blanc. Au champ de Mars la Convention se plaça sur une montagne artificielle; Robespierre fit un nouveau discours. Les jeunes filles chantèrent; les vieillards donnèrent leur bénédiction. Des décharges d'artillerie retentirent, et la foule cria: Vive la république! La fête fut trouvée longue et ennuyeuse. Un appareil militaire, la musique de bruyants orchestres, de froides allégories, des déclamations ampoulées, des inscrip

tions toutes païennes, telles furent les formes de la nouvelle religion.

Robespierre n'ignorait pas combien les principes qu'il avait fait reconnaître étaient odieux à une partie des membres de la Convention. Au milieu même de la fête il avait eu à supporter leurs sarcasmes et leurs railleries. Pour les réduire au silence, deux jours après (10 juin, 22 prairial), le dictateur et Couthon (Saint-Just était alors en mission), sans avoir même prévenu les autres membres du comité de salut public, présentèrent à la Convention un projet de loi pour accélérer et étendre l'action du tribunal révolutionnaire. Malgré son empressement à frapper tous ceux qui lui avaient été désignés, il n'allait pas encore assez vite au gré des exterminateurs systématiques, qui voulaient à tout prix et promptement se débarrasser de leurs prisonniers. On observait encore quelques formes légales elles furent supprimées. «Toute lenteur, dit Couthon, est un crime; toute formalité indulgente est un danger public. Le délai pour punir les ennemis de la patrie ne doit être que le temps de les reconnaître. » Les accusés avaient des défenseurs : ils n'en eurent plus. La loi donne pour défenseurs aux patriotes calomniés des jurés patriotes; elle n'en accorde point aux conspirateurs. On les jugeait individuellement, on les jugea en masse. Il y avait quelque précision dans les délits même révolutionnaires: on déclara coupables tous les ennemis du peuple, et ennemis du peuple tous ceux qui cherchaient à anéantir la liberté, soit par la force, soit par la ruse. Les jurés avaient pour règle de leur détermination la loi: ils n'eurent plus que leur conscience. Un seul tribunal, Fouquier-Tinville et quelques jurés, ne pouvaient plus suffire au surcroît de besogne que présageait la nouvelle loi; on divisa le tribunal en quatre sections, on augmenta les juges et les jurés, et l'on donna à l'accusateur public quatre substituts pour lui servir d'auxiliaires. Enfin un article, perdu au milieu des autres, donnait aux deux comités (de salut public et de sûreté gé

« PoprzedniaDalej »