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cher vers l'autre pour demeurer debout 1. « Souvenez-vous des biens dans les jours d'affliction, et souvenez-vous de l'affliction dans les jours de réjouissance », dit l'Écriture (Ecclesiastique, x1, 27), jusqu'à ce que la promesse que JÉSUS-CHRIST nous a faite (Jean, xvI, 24), de rendre sa joie pleine en nous, soit accomplie. Ne nous laissons donc pas abattre à la tristesse, et ne croyons pas que la piété ne consiste qu'en une amertume sans consolation. La véritable piété, qui ne se trouve parfaite que dans le ciel, est si pleine de satisfactions, qu'elle en remplit et l'entrée et le progrès et le couronnement. C'est une lumière si éclatante, qu'elle rejaillit sur tout ce qui lui appartient; et, s'il y a quelque tristesse mêlée, et surtout à l'entrée, c'est de nous qu'elle vient, et non pas de la vertu; car ce n'est pas l'effet de la piété qui commence d'être en nous, mais de l'impiété qui y est encore. Ôtons l'impiété, et la joie sera sans mélange. Ne nous en prenons donc pas à la dévotion, mais à nous-mêmes, et n'y cherchons du soulagement que par notre correction.

7.

Je suis bien aise de l'espérance que vous me donnez du bon succès de l'affaire dont vous craignez de la vanité. Il y a à craindre partout, car si elle ne réussissait pas, j'en craindrais cette mauvaise tristesse dont saint Paul dit qu'elle donne la mort, au lieu qu'il y en a une autre qui donne la vie (II Cor. VII, 10). Il est certain que cette affaire-là était épineuse, et que si la personne en sort, il y a sujet d'en prendre quelque vanité, si ce n'est à cause qu'on a prié Dieu pour cela, et qu'ainsi il doit croire que le bien qui en viendra sera son ouvrage. Mais si elle réussissait mal, il ne devrait pas en tomber dans l'abattement, par cette même raison qu'on a prié Dieu pour cela, et qu'il y a apparence qu'il s'est approprié cette affaire ; aussi il le faut regarder comme l'auteur de tous les biens et de tous les maux, excepté le péché. Je lui répéterai là-dessus ce que j'ai autrefois rapporté de l'Écriture: «Quand vous êtes dans les biens, souvenez-vous des maux que vous méritez; et quand vous êtes dans les maux, souvenez vous des biens que vous

1. Voyez xxv, 12, dans les Pensées.
2. Voyez XXIV, 61 ter, dans les Pensées.

espérez 1. Cependant je vous dirai sur le sujet de l'autre personne que vous savez, qui mande qu'elle a bien des choses dans l'esprit qui l'embarrassent, que je suis bien fâché de la voir en cet état. J'ai bien de la douleur de ses peines, et je voudrais bien l'en pouvoir soulager; je la prie de ne point prévenir l'avenir, et de se souvenir que, comme dit notre Seineur, « à chaque jour suffit sa malice » (Matth. vI, 34).

Le passé ne nous doit point embarrasser, puisque nous n'avons qu'à avoir regret de nos fautes; mais l'avenir nous doit encore moins toucher, puisqu'il n'est point du tout à notre égard, et que nous n'y arriverons peut-être jamais. Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu. C'est là où nos pensées doivent être principalement comptées. Cependant le monde est si inquiet, qu'on ne pense presque jamais à la vie présente et à l'instant où l'on vit, mais à celui où l'on vivra. De sorte qu'on est touours en état de vivre à l'avenir, et jamais de vivre maintenant. Notre Seigneur n'a pas voulu que notre prévoyance s'étendit plus loin que le jour où nous sommes. C'est les bornes qu'il faut garder, et pour notre salut, et pour notre propre repos. Car, en vérité, les préceptes chrétiens sont les plus pleins de consolations; je dis plus que les maximes du monde.

Je prévois aussi bien des peines et pour cette personne, et pour d'autres et pour moi. Mais je prie Dieu, lorsque je sens que je m'engage dans ces prévoyances, de me renfermer dans mes limites; je me ramasse dans moi-même, et je trouve que je manque à faire plusieurs choses à quoi je suis obligé présentement, pour me dissiper en des pensées inutiles de l'avenir

1. Il me semble que l'homme à qui s'adresse ici Pascal ne peut être que le duc de Roannez. C'est la supposition qui explique le mieux ces paroles: «Le bon succès de l'affaire dont vous craignez de la vanité », et celles-ci : « Je lui répéterai là-dessus ce que j'ai autrefois rapporté de l'Ecriture. » Car il répète en effet ce qu'il avait écrit à Mlle de Roannez (sixième Extrait). Les lettres à la sœur étaient aussi pour le frère, comme il le dit dans le premier Extrait. Mais je ne puis dire ce que c'est que cette affaire épineuse. z. Je suis persuadé qu'ici surtout, en ayant l'air de parler d'une tierce personne, Pascal ne parle à Mlle de Roannez que d'elle-même. C'est elle qui, à la veille de se dérober sa mère pour s'enfuir dans un couvent, mande qu'elle a bien des choses dans l'esprit qui l'embarrassent, et ne songe qu'avec effroi aux suites de sa résolution. C'est elle à qui Pascal compatit avec une sincérité qui attendrit un moment sa parole sévère. Remarquons qu'il dit elle et la: on peut dire, il est vrai, que c'est à cause du mot de personne, mais tout à l'heure ce même mot de personne ne l'avait pas empêché de se servir du pronom il. L'emploi du fémiuin est encore plus remarquable dans l'Extrait suivant. 3. Voyez III, 5, dans les Pensées.

auxquelles, bien loin d'être obligé de m'arrêter, je suis au contraire obligé de ne m'y point arrêter. Ce n'est que faute de savoir bien connaître et étudier le présent qu'on fait l'entendu pour étudier l'avenir. Ce que je dis là, je le dis pour moi, et non pas pour cette personne, qui a assurément bien plus de vertu et de méditation que moi; mais je lui représente mon défaut pour l'empêcher d'y tomber. On se corrige quelquefois mieux par la vue du mal que par l'exemple du bien; et il est bon de s'accoutumer à profiter du mal, puisqu'il est si ordinaire, au lieu que le bien est si rare1.

8.

Je plains la personne que vous savez 2, dans l'inquiétude où je sais qu'elle est, et où je ne m'étonne pas de la voir. C'est un petit jour du jugement, qui ne peut arriver sans une émotion universelle de la personne, comme le jugement général en causera une générale dans le monde, excepté ceux qui se seront déjà jugés eux-mêmes, comme elle prétend faire 3. Cette peine temporelle garantirait de l'éternelle, par les mérites infinis de JÉSUS-CHRIST, qui la souffre et qui se la rend propre; c'est ce qui doit la consoler. Notre joug est aussi le sien; sans cela il serait insupportable. « Portez, dit-il, mon joug sur vous.» Ce n'est pas notre joug, c'est le sien, et aussi il le porte. « Sachez, dit-il, que mon joug est doux et léger.» (Matth. x1, 29, 30.) Il n'est léger qu'à lui et à sa force divine. Je lui voudrais dire qu'elle se souvienne que ces inquiétudes ne viennent pas du bien qui commence d'être en elle, mais du mal qui y

1. Ces inquiétudes étaient le fruit inévitable des résolutions de Mlle de Roannez. On pouvait prévoir aisément les transports d'une mère contristée et offensée, ses réclamations d'jà si pénibles à repousser par elles-mêmes, et qui sans doute seraient appuyées, comme elles le furent en effet, par la puissance publique. L'éclat de ce pieux détournement devait d'ailleurs ranimer contre Port-Royal toutes les colères de la cour et du monde. Quant à Pascal, il n'était pas douteux qu'on n'imputât à lui surtout une telle démarche de la part de la sœur de son ami. Déjà auparavant, en arrachant au monde un jeune duc et pair, en lui faisant refuser un très-beau mariage, il avait irrité profondément les parents de M. de Roannez, et cette colère se répandant chez tous les domestiques de l'hôtel de Roannez, où Pascal logeait alors, a la concierge de la maison, alla un matin, sur les huit heures, avec un poignard pour le tuer; heureusement elle ne le trouva point; il était sorti ce jour-là, contre son ordinaire, de grand matin. Il fut averti de cette aventure, et n'y retourna plus. » Manuscrits de Marguerite Perier. 2. Nous savons aussi maintenant qui est cette personne si agitée.

3. Quel peut donc être ce petit jour du jugement, image de celui où l'âme se trouvera tout à coup devant Dieu, séparée de son corps et de la vie, sinon le jour où Mlle de Roannez, mettant le pied hors de la maison de sa mère pour n'y plus rentrer, rompra brusquement les liens de la nature et du monde? Voir l'Extrait suivant.

est encore et qu'il faut diminuer continuellement 1; et qu'il faut qu'elle fasse comme un enfant qui est tiré par des voleurs d'entre les bras de sa mère, qui ne le veut point abandonner; car il ne doit pas accuser de la violence qu'ii souffre la mère qui le retient amoureusement, mais ses injustes ravisseurs Tout l'office de l'Avent est bien propre pour donner courage aux faibles, et on y dit souvent ce mot de l'Écriture : « Prenez courage, lâches et pusillanimes, voici votre rédempteur qui vient ; et on dit aujourd'hui à Vêpres : « Prenez de nouvelles forces, et bannissez désormais toute crainte; voici notre Dieu qui arrive, et vient pour nous secourir et nous sauver.

9.

Votre lettre m'a donné une extrême joie. Je vous avoue que je commençais à craindre, ou au moins à m'étonner. Je ne sais ce que c'est que ce commencement de douleur dont vous parlez; mais je sais qu'il faut qu'il en vienne. Je lisais tantôt le treizième chapitre de saint Marc en pensant à vous écrire, et aussi je vous dirai ce que j'y ai trouvé. JÉSUS-CHRIST y fait un grand discours à ses apôtres sur son dernier avénement; et comme tout ce qui arrive à l'Église arrive aussi à chaque chrétien en particulier, il est certain que tout ce chapitre prédit aussi bien l'état de chaque personne qui, en se convertissant, détruit le vieil homme en elle, que l'état de l'univers entier, qui sera détruit pour faire place à de nouveaux cieux et à une nouvelle terre, comme dit l'Écriture 5. Et aussi je songeais que cette prédiction de la ruine du temple réprouvé, qui figure la ruine de l'homme réprouvé qui est en chacun de nous, et dont il est dit qu'il ne sera laissé pierre sur pierre, marque qu'il ne doit être laissé aucune passion du vieil homme; et ces effroyables guerres civiles et domestiques représentent si bien le trou

1. Il la renvoie à ce qu'il lui a écrit déjà : voir l'Extrait sixième.

2. Voyez XXIV, 61 ter, dans les Pensées.

3. Pusillanimes confortamini, ecce Dominus Deus vester veniet. Isaïe, xxxv, 4. 4. Constantes estote, videbitis auxilium Domini super vos. Ces paroles se trouvaient, d'après le Bréviaire de Paris de 1653, dans le capitule des vêpres de la veille de Noël, ce qui donne la date précise de cette lettre. N'admire-t-on pas comme à chaque instant Pascal fait entendre la voix même de Dieu qui appelle à lui son élue?

5. Voir la seconde des Épitres qui portent le nom de Pierre, III, 13, d'après Isaïe, LIV, 17 et LXVI, 29. Voilà le commentaire de ces expressions de l'Extrait huitième : C'est un petit jour du jugement..

ble intérieur que sentent ceux qui se donnent à Dieu, qu'il n'y a rien de mieux peint.

Mais cette parole est étonnante: « Quand vous verrez l'abomination dans le lieu où elle ne doit pas être, alors, que chacun s'enfuie sans rentrer dans sa maison pour reprendre quoi que ce soit. » Il me semble que cela prédit parfaitement le temps où nous sommes, où la corruption de la morale est aux maisons de sainteté, et dans les livres des théologiens et des religieux où elle ne devrait pas être. Il faut sortir après un tel désordre, et malheur à celles qui sont enceintes ou nourrices en ce temps-là, c'est-à-dire, à ceux qui ont des attachements au monde qui les y retiennent! La parole d'une sainte est à propos sur ce sujet 2 : Qu'il ne faut pas examiner si on a vocation pour sortir du monde, mais seulement si on a vocation pour y demeurer, comme on ne consulterait point si on est appelé à sortir d'une maison pestiférée ou embrasée.

Ce chapitre de l'Évangile, que je voudrais lire avec vous tout entier, finit par une exhortation à veiller et à prier pour éviter tous ces malheurs, et en effet il est bien juste que la prière soit continuelle quand le péril est continuel.

J'envoie à ce dessein des prières qu'on m'a demandées; c'est à trois heures après midi. Il s'est fait un miracle depuis votre départ à une religieuse de Pontoise, qui, sans sortir de son couvent, a été guérie d'un mal de tête extraordinaire par une dévotion à la Sainte-Épine. Je vous en manderai un jour davantage. Mais je vous dirai sur cela un beau mot de saint Augustin, et bien consolatif pour de certaines personnes; c'est qu'il dit que ceux-là voient véritablement les miracles auxquels les miracles profitent; car on ne les voit pas si on n'en profite pas 3.

1. Væ autem prægnantibus et nutrientibus in illis diebus. Tout ce texte, ainsi présenté à Mile de Roannez, dut lui paraître, comme dit Pascal, étonnant, et lui porter les der. niers coups.

2. Je ne puis dire quelle est cette sainte.

3. Je ne puis indiquer précisément l'endroit d'Augustin que Pascal a dans l'esprit Mais je trouve à peu près la méme idée dans le Sermon CXLIII, et dans le xxive Traité sur l'Evangile de saint Jean, chap. 6. M. Frédéric Chavannes, dans le même article sur Pascal que j'ai cité ailleurs (t. 1, p. 101), a trouvé d'après ce passage le moyen de déter miner la date de cette lettre. Il renvoie à un opuscule intitulé, Réponse à un écrit publié sur le sujet des miracles qu'il a plu à Dieu de faire à Port-Royal, etc., qui se trouve au tome III des Euvres de Pascal (édition de 1819). On y voit ce qui suit, à la page 462: Uus des religieuses ursulines de Pontoise, nommée sœur Marie de l'Assomption, avait

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