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être au contraire au nombre malheureux des jugés, et qu'il y en aura tant qui tomberont de la gloire, et qui laisseront prendre à d'autres par leur négligence la couronne que Dieu leur avait offerte, je ne puis souffrir cette pensée; et l'effroi que j'aurais de les voir en cet état éternel de misère, après les avoir imaginées avec tant de raison dans l'autre état, me fait détourner l'esprit de cette idée, et revenir à Dieu pour le prier de ne pas abandonner les faibles créatures qu'il s'est acquises, et à lui dire pour les deux personnes que vous savez ce que l'Église dit aujourd'hui avec saint Paul : « Seigneur, achevez vousmême l'ouvrage que vous-même avez commencé. » Saint Paul se considérait souvent en ces deux états, et c'est ce qui lui fait dire ailleurs (I Cor. ix, 27) : « Je châtie mon corps, de peur que moi-même, qui convertis tant de peuples, je ne devienne réprouvé. » Je finis donc par ces paroles de Job (XXXI, 23) : « J'ai toujours craint le Seigneur comme les flots d'une mer furieuse et enflée pour m'engloutir. » Et ailleurs « Bienheureux est l'homme qui est toujours en crainte.»> (Ps. CXI, 1.)

4.

Il est bien assuré qu'on ne se détache jamais sans douleur. On ne sent pas son lien quand on suit volontairement celui qui entraîne, comme dit saint Augustin3; mais quand on commence à résister et à marcher en s'éloignant, on souffre bien;

1. Pascal tourne en forme de prière le verset 6 du chapitre premier de la Lettre à ceux de Philippes : Qui cæpit in vobis opus bonum, perfiçiet usque in diem Christi Jesu. Mais, au temps de Pascal, le passage où se trouvent ces mots (versets 6- -11), servait d'Épître pour la messe du xx dimanche après la Pentecôte. C'est ce qui résulte de la Table jointe au texte de la Vulgate reçu par l'Église, table qui est intitulée : Index Epistolarum et Evangeliorum quæ, e veteri et novo Testamento excerpta, in Ecclesia dominicis et aliis festis diebus leguntur, juxta Missalis reformationem ex decreto sacrosancti Concilii tridentini restituti, Pii V Pont. Max. jussu editi, et Clementis VIII auctoritate recogniti. La même indication du xxII dimanche se retrouve dans le Nouveau Testament de Mons, qui est, comme on sait, l'œuvre de Port-Royal. Aujourd'hui, dans le Missel de Paris, l'Epitre du xxIIe dimanche après la Pentecôte n'est plus celle-là.

Maintenant, ce dimanche tombait, en 1656, le 5 novembre; on a donc la date de cette lettre. Quant à la lettre du 5, dont il est question au commencement, il faut entendre par conséquent une lettre du 5 octobre.

2. Fontaine a écrit, en parlant de M. de Saci : « Ce qui lui donnait cette gravité que l'on admirait, c'est qu'il se disait sans cesse cette parole de Job: Semper enim quasi tumentes super me fluctus timui Deum, et pondus ejus ferre non potui; et je ne crois pas qu'il y ait eu un de ceux qui l'ont connu qui ne l'ait ouïe de sa bouche.. Cité par M. Sainte-Beuve, Port-Royal, 1re édit, t. 1, p. 318. Était-ce de M. de Saci que Pascal avait appris cette pensée, ou au contraire?

3. In Joann. evang. Tract. xxvI, 5, à l'occasion de ces mots du texte, Nemo venit ad me, nisi Pater traxerit eum.

le lien s'étend et endure toute la violence; et ce lien est notre propre corps, qui ne se rompt qu'à la mort. Notre Seigneur a dit que, depuis la venue de Jean-Baptiste, c'est-à-dire depuis son avénement dans chaque fidèle, le royaume de Dieu souffre violence et que les violents le ravissent (Matth. xi, 12). Avant que l'on soit touché, on n'a que le poids de sa concupiscence, qui porte à la terre. Quand Dieu attire en haut, ces deux efforts contraires font cette violence, que Dieu seul peut faire surmonter. Mais nous pouvons tout, dit saint Léon, avec Celui sans lequel nous ne pouvons rien 1. Il faut donc se résoudre à souffrir cette guerre toute sa vie : car il n'y a point ici de paix. « JÉSUS-CHRIST est venu apporter le couteau, et non pas la paix.» (Matth. x, 34.) Mais néanmoins il faut avouer que comme l'Écriture dit que la sagesse des hommes n'est que folie devant Dieu (I Cor. II, 19), aussi on peut dire que cette guerre qui paraît dure aux hommes est une paix devant Dieu; car c'est cette paix que JÉSUS-CHRIST a aussi apportée. Elle ne sera néanmoins parfaite que quand le corps sera détruit; et c'est ce qui fait souhaiter la mort, en souffrant néanmoins de bon cœur la vie pour l'amour de Celui qui a souffert pour nous et la vie et la mort, et qui peut nous donner plus de biens que nous ne pouvons ni demander ni imaginer, comme dit saint Paul (Eph. 1, 20) en l'épître de la messe d'aujourd'hui 2.

5.

Je ne crains plus rien pour vous, Dieu merci, et j'ai une espérance admirable. C'est une parole bien consolante que celle de JÉSUS-CHRIST : « Il sera donné à ceux qui ont déjà.» (Matth. x1, 12.) Par cette promesse, ceux qui ont beaucoup reçu ont droit d'espérer davantage, et ainsi ceux qui ont reçu extraordinairement doivent espérer extraordinairement.

J'essaie autant que je puis de ne m'affliger de rien, et de prendre tout ce qui arrive pour le meilleur 3. Je crois que

1. Dans son huitième Sermon pour l'Épiphanie, Léon commente ces paroles de Jésus (Jean, xv, 5): Sine me nihil potestis facere. Du reste, la même doctrine revient sans cesse dans les autres sermons.

2. Cette épître est celle du xvie dimanche après la Pentecôte, lequel tombait le 24 septembre en 1656. Il faut donc admettre que cet Extrait n'est pas à sa place.

3. M. de Saci, écrivant à Mme Perier à l'occasion de la mort de son fils aîné, lui rappelait cette parole de Pascal : « Je ne doute pas que vous n'ayez eu dans l'esprit cette pensée de monsieur votre frère, qui me parait admirable, et que je n'ai vue qu'en lui

c'est un devoir, et qu'on pêche en ne le faisant pas. Car enfin, la raison pour laquelle les péchés sont péchés, c'est seulement parce qu'ils sont contraires à la volonté de Dieu; et ainsi, l'essence du péché consistant à avoir une volonté opposée à celle que nous connaissons en Dieu, il est visible, ce me semble, que, quand il nous découvre sa volonté par les événements, ce serait un péché de ne s'y pas accommoder1. J'ai appris que tout ce qui est arrivé a quelque chose d'admirable, puisque la volonté de Dieu y est marquée. Je le loue de tout mon cœur de la continuation faite de ses grâces, car je vois bien qu'elles ne diminuent point.

L'affaire du... ne va guère bien: c'est une chose qui fait trembler ceux qui ont de vrais mouvements de Dieu, de voir la persécution qui se prépare non-seulement contre les personnes (ce serait peu), mais contre la vérité. Sans mentir, Dieu est bien abandonné. Il me semble que c'est un temps où le service qu'on lui rend lui est bien agréable. Il veut que nous jugions de la grâce par la nature; et ainsi il permet de considérer que, comme un prince chassé de son pays par ses sujets a des tendresses extrêmes pour ceux qui lui demeurent fidèles dans la révolte publique, de même il semble que Dieu considère avec une bonté particulière ceux qui défendent aujourd'hui la pureté de la religion et de la morale, qui est si fort combattue. Mais il y a cette différence entre les rois de la terre et le Roi des rois, que les princes ne rendent pas leurs sujets fidèles, mais qu'ils les trouvent tels; au lieu que Dieu ne trouve jamais les hommes qu'infidèles et qu'il les rend fidèles

seul Il faut tâcher, dit-il, de se consoler dans les plus grands maux, et de prendro tout ce qui arrive pour le meilleur, etc. Cette parole est d'autant plus considérable, que celui qui l'a dite l'a pratiquée, et qu'elle est encore plus l'effusion de son cœur que dè son esprit. Note de M. Faugère.

1. Voyez xxv, 105, dans les Pensées. Mlle de Roannez s'était plainte sans doute de quelque incident qui faisait obstacle à l'accomplissement de ses résolutions.

2. Qu'il faille lire l'affaire du... ou l'affaire de... comme on lit dans l'Extrait suivant, il est clair que Pascal veut parler de ce qui se passait dans l'Assemblée du clergé de 1656. On pourrait suppléer ici, l'affaire du formulaire. L'assemblée avait adopté et prescrit en septembre un premier formulaire pour l'acceptation de la bulle d'Innocent X contre les cinq propositions. Le 16 octobre, le nouveau pape, Alexandre VII, donna une bulle pour confirmer celle d'Innocent, où il déclarait expressément que les cinq propositions étaient condamnées au sens de Jansénius. Les ennemis des Jansénistes s'occupèrent aussitôt de faire accepter cette nouvelle bulle avec un nouveau formulaire, dont on exigerait la signature de toutes personnes tenant à l'Église, sous menace des peines ecclésiastiques et civiles. Cela n'était pas fait encore, et ne se fit définitivement qu'en 1661, mais cela se préparait et paraissait proche.

quand ils le sont. De sorte qu'au lieu que les rois ont une obligation insigne à ceux qui demeurent dans leur obéissance, il arrive au contraire que ceux qui subsistent dans le service de Dieu lui sont eux-mêmes redevables infiniment. Continuons donc à le louer de cette grâce, s'il nous l'a faite, de laquelle nous le louerons dans l'éternité, et prions-le qu'il nous la fasse encore, et qu'il ait pitié de nous et de l'Église entière, hors laquelle il n'y a que malédiction.

Je prends part aux... persécutés dont vous parlez1. Je vois bien que Dieu s'est réservé des serviteurs cachés, comme il le dit à Élie *. Je le prie que nous en soyons, bien et comme il faut, en esprit et en vérité et sincèrement.

6.

Quoi qu'il puisse arriver de l'affaire de..., il y en a assez, Dieu merci, de ce qui est déjà fait pour en tirer un admirable avantage contre ces maudites maximes 3. Il faut que ceux qui ont quelque part à cela en rendent de grandes grâces à Dieu, et que leurs parents et amis prient Dieu pour eux, afin qu'ils ne tombent pas d'un si grand bonheur et d'un si grand honneur que Dieu leur a faits. Tous les honneurs du monde n'en sont que l'image; celui-là seul est solide et réel, et néanmoins il est inutile sans la bonne disposition du cœur. Ce ne sont ni les austérités du corps, ni les agitations de l'esprit, mais les bons mouvements du cœur qui méritent, et qui soutiennent les peines du corps et de l'esprit. Car enfin il faut ces deux choses pour sanctifier, peines et plaisirs. Saint Paul a dit que ceux qui entreront dans la bonne voie trouveront des troubles et des inquiétudes en grand nombre (Act. xiv, 21). Cela doit consoler ceux qui en sentent 5, puisque, étant avertis que le

1. Un manuscrit donne, aux quatre persécutés. Je ne sais ce que c'est. 2. Voyez xxv, 106, dans les Pensées.

3. En même temps que l'assemblée du clergé frappait les cinq propositions, elle était invitée à rendre un décret de censure en sens contraire, et à faire droit, pour ainsi dire, contre la morale relâchée des casuistes, aux réquisitoires des Provinciales. L'assemblée fut saisie dans les formes par les curés de Paris vers la fin de novembre 1656. C'est probablement à cette date que Pascal écrit, et qu'il s'applaudit de ce qui est déjà fait. D reste l'assemblée, sous prétexte que le temps manquait, ne prononça point de censure; mais elle ne put s'empêcher de faire publier une Instruction, qui était déjà une condam nation morale. Voir, dans les OEuvres de Pascal, le sixième Factum pour les curés d Paris.

4. C'est-à-dire, Pascal lui-même.

5. Il revient à Mile de Roannez et à ses peines

chemin du ciel qu'ils cherchent en est rempli, ils doivent se réjouir de rencontrer des marques qu'ils sont dans le véritable chemin. Mais ces peines-là ne sont pas sans plaisirs, et ne sont jamais surmontées que par le plaisir. Car, de même que ceux qui quittent Dieu pour retourner au monde ne le font que parce qu'ils trouvent plus de douceur dans les plaisirs de la terre que dans ceux de l'union avec Dieu, et que ce charme victorieux les entraîne, et, les faisant repentir de leur premier choix, les rend des pénitents du diable, selon la parole de Tertullien 1, de même on ne quitterait jamais les plaisirs du monde pour embrasser la croix de JESUS-CHRIST, si on ne trouvait plus de douceur dans le mépris, dans la pauvreté, dans le dénûment et dans le rebut des hommes, que dans les délices du péché. Et ainsi, comme dit Tertullien, il ne faut pas croire que la vie des chrétiens soit une vie de tristesse 2. On ne quitte ies plaisirs que pour d'autres plus grands. « Priez toujours, dit saint Paul, rendez grâces toujours, réjouissez-vous toujours. >> (I Thess. v, 16-18.) C'est la joie d'avoir trouvé Dieu qui est le principe de la tristesse de l'avoir offensé et de tout le changement de vie. Celui qui a trouvé le trésor dans un champ en a une telle joie, que cette joie, selon Jésus-CHRIST, lui fait vendre tout ce qu'il a pour l'acheter (Matth. XIII, 44). Les gens du monde n'ont point cette joie, « que le monde ne peut ni donner ni ôter», dit JÉSUS-CHRIST même (Jean, XIV, 27, et xvi, 22). Les bienheureux ont cette joie sans aucune tristesse; les gens du monde ont leur tristesse sans cette joie, et les chrétiens ont cette joie mêlée de la tristesse d'avoir suivi d'autres plaisirs, et de la crainte de la perdre par l'attrait de ces autres plaisirs qui nous tentent sans relâche. Et ainsi nous devons travailler sans cesse à nous conserver cette joie qui modère notre crainte, et à conserver cette crainte qui conserve notre joie,et selon qu'on se sent trop emporter vers l'une, se pen

1. De Pœnitentia, 5

2. De Spectaculis, 28: Quæ major voluptas, quan fastidium ipsum voluptatis! et la suite. Il est à remarquer que ces deux passages de fertullien se trouvent dans les Sentences et instructions chrétiennes tirées des anciens Pères de l'Église, par le sieur de Laval, 1680, et se trouvaient probablement déjà dans le recueil que lisait Mlle de Roannez (voir page 327, note 3). Je pense que c'est là que l'ascal les avait lus.

3. Qui conserve notre joie. » Qui modère notre joie, dans le texte donné par M. Cou

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