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ces personnes converties qui secourent la mère qui les a délivrées. Je loue de tout mon cœur le petit zèle que j'ai reconnu dans votre lettre pour l'union avec le pape. Le corps n'est non plus vivant sans le chef, que le chef sans le corps. Quiconque se sépare de l'un ou de l'autre n'est plus du corps, et n'appartient plus à JÉSUS-CHRIST. Je ne sais s'il y a des personnes dans l'Église plus attachées à cette unité du corps que ceux que vous appelez nôtres. Nous savons que toutes les vertus, le martyre, les austérités et toutes les bonnes œuvres sont inutiles hors de l'Église, et de la communion du chef de l'Église, qui est le pape. Je ne me séparerai jamais de sa communion, au moins je prie Dieu de m'en faire la grâce; sans quoi je serais perdu pour jamais.

Je vous fais une espèce de profession de foi, et je ne sais pourquoi; mais je ne l'effacerai pas ni ne recommencerai pas.

M. du Gas m'a parlé ce matin de votre lettre avec autant d'étonnement et de joie qu'on en peut avoir; il ne sait où vous avez pris ce qu'il m'a rapporté de vos paroles; il m'en a dit des choses surprenantes et qui ne me surprennent plus tant 1. Je commence à m'accoutumer à vous et à la grâce que Dieu vous fait, et néanmoins je vous avoue qu'elle m'est toujours nouvelle, comme elle est toujours nouvelle en effet. Car c'est un flux continuel de grâces, que l'Écriture compare à un fleuve, et à la lumière que le soleil envoie incessamment hors de soi, et qui est toujours nouvelle, en sorte que, s'il cessait un instant d'en envoyer, toute celle qu'on aurait reçue disparaîtrait, et on resterait dans l'obscurité 3.

Il m'a dit qu'il avait commencé à vous répondre, et qu'il le transcrirait pour le rendre plus lisible, et qu'en même temps il l'étendrait. Mais il vient de me l'envoyer avec un petit billet, où il me mande qu'il n'a pu ni le transcrire ni l'étendre; cela me fait croire que cela sera mal écrit. Je suis témoin de son peu de loisir, et du désir qu'il avait d'en avoir pour vous.

1. Je n'ai trouvé nulle part ce nom de Du Gas, qui est peut-être un faux nom. Seraitce M. Du Gué de Bagnols?

2. Pascal fait peut-être allusion à ce passage du psaume LXIV: « Tu as visité la terre, et tu l'as soûlée de tes eaux... Le fleuve de Dieu a coulé à pleins bords. >

3. L'image de la lumière est dans Jean, 1, 4, 9. Mais la paraphrase qui suit est de Pascal.

Je prends part à la joie que vous donnera l'affaire des1... car je vois bien que vous vous intéressez pour l'Église; vous lui êtes bien obligée. Il y a seize cents ans qu'elle gémit pour vous. Il est temps de gémir pour elle, et pour nous tout ensemble, et de lui donner tout ce qui nous reste de vie, puisque JÉSUS-CHRIST n'a pris la sienne que pour la perdre pour elle et pour nous.

2.

Il me semble que vous prenez assez de part au miracle pour vous mander en particulier que la vérification en est achevée par l'Église, comme vous le verrez par cette sentence de M. le grand vicaire".

Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu'on doit bien profiter de ces occasions, puisqu'il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude.

Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait point de mérite à le croire; et, s'il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement, à ceux qu'il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s'est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché, sous le voile de la nature qui nous le couvre, jusques à l'Incarnation; et, quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il était bien

4. Des religieuses, dans un manuscrit. Peut-être s'agit-il de religieuses du Poitou auxquelles s'intéressait Mlle de Roaunez. Quant aux religieuses de Port-Royal, elle n'avaient à cette époque aucun sujet de joie.

2. Il y a, comme on va le voir, entre la lettre précédente et celle-ci un intervalle de plus de huit mois. Dans cet intervalle, Mlle de Roannez était revenue à Paris, soit avant, soit après le grand événement de cette année 1656, je veux dire le miracle de la Sainte-Épine. Ce miracle, qui avait éclaté si près de la personne de Pascal, dut toucher d'autant plus le duc de Roannez et sa sœur. Marguerite Perier raconte que Mlle de Roannez pensait encore à se marier quand elle vint faire une neuvaine à la Sainte-Épine pour un mal d'yeux, et que le dernier jour de la neuvaine elle fut touchée de Dieu si vement, que durant toute la messe elle fondit en larmes; au retour, elle témoigna à sa mère qu'elle voulait se donner à Dieu. On a vu par l'Extrait précédent que depuis longtemps déjà cette conversion était désirée et préparée Le grand vicaire était M. de Hodencq, agissant au nom de l'archevêque de Paris, qui était le cardinal de Retz, éloigné de son diocèse. Cette sentence, qui approuva solennellement le miracle, est du 22 octobre 1656, ce qui donne à peu près la date de cette lettre.

plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu'à son dernier avénement, il a choisi d'y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l'Eucharistie 1. C'est ce sacrement que saint Jean appelle dans l'Apocalypse (11, 17) une manne cachée; et je crois qu'Isaïe le voyait en cet état, lorsqu'il dit en esprit de prophétie (XLV, 15): « Véritablement tu es un Dieu caché. » C'est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul (Rom. 1, 20), ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l'ont connu à travers son humanité, et adorent JÉSUS-CHRIST Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c'est le propre des seuls catholiques; il n'y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. On peut ajouter à ces considérations le secret de l'Esprit de Dieu caché encore dans l'Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique; et les Juifs, s'arrêtant à l'un, ne pensent pas seulement qu'il y en ait un autre, et ne songent pas à le chercher; de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu'il y en ait un autre auteur; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en JÉSUS-CHRIST, n'ont pas pensé à y chercher une autre nature: « Nous n'avons pas pensé que ce fût lui », dit encore Isaïe (LIII, 3); et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences parfaites du pain dans l'Eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les afflictions temporelles couvrent les biens éternels où elles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux éternels qu'elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaître et servir en tout; et rendons-lui des grâces infinies de ce que, s'étant caché en toutes choses pour les autres, il s'est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous.

1. Mot consacré dans la langue de la théologie. Il signifie les apparences sensibles, species.

3.

Je ne sais comment vous aurez reçu la perte de vos lettres. Je voudrais bien que vous l'eussiez prise comme il faut 1. Il est temps de commencer à juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonté de Dieu, qui ne peut être ni injuste ni aveugle, et non pas par la nôtre propre, qui est toujours pleine de malice et d'erreur. Si vous avez eu ces sentiments, j'en serai bien content, afin que vous vous en soyez consolée sur une raison plus solide que celle que j'ai à vous dire, qui est que j'espère qu'elles se retrouveront. On m'a déjà apporté celle du 5; et quoique ce ne soit pas la plus importante, car celle de M. Du Gas l'est davantage, néanmoins cela me fait espérer de ravoir l'autre 2.

Je ne sais pourquoi vous vous plaignez de ce que je n'avais rien écrit pour vous ; je ne vous sépare point vous deux, et je songe sans cesse à l'un et à l'autre. Vous voyez bien que mes autres lettres, et encore celle-ci, vous regardent assez. En vérité, je ne puis m'empêcher de vous dire que je voudrais être infaillible dans mes jugements; vous ne seriez pas mal si cela était, car je suis bien content de vous, mais mon jugement n'est rien. Je dis cela sur la manière dont je vois que vous parlez de ce bon cordelier persécuté, et de ce que fait le... Je ne suis pas surpris de voir M. N. s'y intéresser, je suis accoutumé à son zèle, mais le vôtre m'est tout à fait nouveau; c'est ce langage nouveau que produit ordinairement le cœur nouveau. JÉSUS-CHRIST a donné dans l'Évangile cette marque pour reconnaître ceux qui ont la foi, qui est qu'ils parleront un langage nouveau ; et, en effet, le renouvellement des pensées et des désirs cause celui des discours". Ce que vous dites des jours où vous vous êtes trouvée seule, et la consolation que vous donne la lecture, sont des choses que M. N. sera bien aise de savoir quand je les lui ferai voir, et ma sœur aussi. Ce sont as

1. Mlle de Roannez avait à craindre que ses lettres ne fussent surprises et ne compromissent Port-Royal.

2. Celle de M. Du Gas paraît signifier, celle que vous écriviez à M. Du Gas. 3. En écrivant au duc de Roannez.

4. Marc, xvi, 17: Voici les signes qui accompagneront ceux qui auront cru: Ils chasseront les démons en mon nom, ils parleront dans des langues nouvelles. Pascal substitue le sens mystique au sens littéral. On sait que les derniers versets de cet évangile, à partir de xvi, 9, sont une addition postérieure.

surément des choses nouvelles, mais qu'il faut sans cesse renouveler; car cette nouveauté, qui ne peut déplaire à Dieu, comme le vieil homme ne lui peut plaire, est différente des nouveautés de la terre, en ce que les choses du monde, quelque nouvelles qu'elles soient, vieillissent en durant; au lieu que cet esprit nouveau se renouvelle d'autant plus qu'il dure davantage. «Notre vieil homme périt, dit saint Paul, et se renouvelle de jour en jour1», et ne sera parfaitement nouveau que dans l'éternité, où l'on chantera sans cesse ce cantique nouveau dont parle David dans les psaumes de Laudes, c'est-àdire ce chant qui part de l'esprit nouveau de la charité2.

Je vous dirai pour nouvelle de ce qui touche ces deux personnes, que je vois bien que leur zèle ne se refroidit pas; cela m'étonne, car il est bien plus rare de voir continuer dans la piété que d'y voir entrer. Je les ai toujours dans l'esprit, et principalement celle du miracle, parce qu'il y a quelque chose de plus extraordinaire, quoique l'autre le soit aussi beaucoup et quasi sans exemple3. Il est certain que les grâces que Dieu fait en cette vie sont la mesure de la gloire qu'il prépare en l'autre. Aussi, quand je prévois la fin et le couronnement de son ouvrage par les commencements qui en paraissent dans les personnes de piété, j'entre en une vénération qui me transit de respect envers ceux qu'il semble avoir choisis pour ses élus. Je vous avoue qu'il me semble que je les vois déjà dans un de ces trônes où ceux qui auront tout quitté jugeront le monde avec JÉSUS-CHRIST, selon la promesse qu'il en a faite. Mais quand je viens à penser que ces mêmes personnes peuvent tomber, et

1. Coloss. III, 9-10, et ailleurs. Voir Augustin, De vera relig., XXVI.

2. Cantate Domino canticum novum. Ces mots se trouvent dans plusieurs psaumes, dont lun, le psaume CXLIX, se chantait en effet aux Laudes du dimanche à cette époque comme on le voit par le Bréviaire de Paris de 1653, partie d'automne.

3. Celle du miracle n'est pas la petite miraculée Marguerite Perier, car on voit bien vite qu'il ne peut être question d'elle ici. C'était une enfant de dix ans, tout à fait incapable de cette grande piété et de ce grand zèle. Mais qui sont donc ces deux personnes dont parle Pascal? Il ne les faut pas chercher bien loin. Ce sont, je crois, celles-mêmes à qui il écrit, Mlle de Roannez et son frère. Il prend ce tour pour mieux donner le change à ceux qui pourraient surprendre sa lettre; l'accident qui est arrivé, et dont il se plaint en commençant, est cause qu'il redouble de précaution. C'est Mlle de Roannez qui est désignée par ces mots, celle du miracle, car c'était le miracle qui avait décidé sa conversion. Voir plus haut. L'autre personne est M. de Roannez, bien extraordinaire aussi sans doute; car quoi de plus extraordinaire, parmi les miracles de la grâce, qu'un duc et pair, seul héritier d'un grand nom, qui avait renoncé à 24 ans au monde et au mariage, pour attacher sa destinée à celle de quelques persécutés? 4. Matth. XIX, 28.

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