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moteurs de leurs actions. Ceux de l'esprit sont des vérités naturelles et connues à tout le monde, comme, que le tout est plus grand que sa partie, outre plusieurs axiomes particuliers, que les uns reçoivent et non pas d'autres, mais qui, dès qu'ils sont admis, sont aussi puissants, quoique faux, pour emporter la créance, que les plus véritables. Ceux de la volonté sont de certains désirs naturels et communs à tous les hommes, comme le désir d'être heureux, que personne ne peut pas ne pas avoir, outre plusieurs objets particuliers que chacun suit pour y arriver, et qui, ayant la force de nous plaire, sont aussi forts, quoique pernicieux en effet, pour faire agir la volonté, que s'ils faisaient son véritable bonheur.

Voilà pour ce qui regarde les puissances qui nous portent à consentir. Mais pour les qualités des choses que nous devons persuader, elles sont bien diverses.

Les unes se tirent, par une conséquence nécessaire, des principes communs et des vérités avouées. Celles-là peuvent être infailliblement persuadées; car en montrant le rapport qu'elles ont avec les principes accordés, il y a une nécessité inévitable de convaincre, et il est impossible qu'elles ne soient pas reçues dans l'âme dès qu'on a pu les enrôler à ces vérités qu'elle a déjà admises.

Il y en a qui ont une union étroite avec les objets de notre satisfaction; et celles-là sont encore reçues avec certitude', car aussitôt qu'on fait apercevoir à l'âme qu'une chose peut la conduire à ce qu'elle aime souverainement, il est inévitable qu'elle ne s'y porte avec joie.

Mais celles qui ont cette liaison tout ensemble, et avec les vérités avouées, et avec les désirs du cœur, sont si sûres de leur effet, qu'il n'y a rien qui le soit davantage dans la nature. Comme, au contraire, ce qui n'a de rapport ni à nos créances ni à nos plaisirs nous est importun, faux et absolument étran

ger.

En toutes ces rencontres il n'y a point à douter. Mais il y en a où les choses qu'on veut faire croire sont bien établies sur des vérités connues, mais qui sont en même temps contraires

1. C'est-à-dire, qu'il est encore certain qu'elles seront reçues.

aux plaisirs qui nous touchent le plus. Et celles-là sont en grand péril de faire voir, par une expérience qui n'est que trop ordinaire, ce que je disais au commencement: que cette âme impérieuse, qui se vantait de n'agir que par raison, suit par un choix honteux et téméraire ce qu'une volonté corrompue désire, quelque résistance que l'esprit trop éclairé puisse y opposer. C'est alors qu'il se fait un balancement douteux entre la vérité et la volupté, et que la connaissance de l'une et le sentiment de l'autre font un combat dont le succès est bien incertain, puisqu'il faudrait, pour en juger, connaître tout ce qui se passe dans le plus intérieur de l'homme, que l'homme même ne connaît presque jamais.

Il paraît de là que, quoi que ce soit qu'on veuille persuader, il faut avoir égard à la personne à qui on en veut, dont il faut connaître l'esprit et le cœur, quels principes il accorde, quelles choses il aime; et ensuite remarquer, dans la chose dont il s'agit, quels rapports elle a avec les principes avoués, ou avec les objets délicieux par les charmes qu'on lui donne. De sorte que l'art de persuader consiste autant en celui d'agréer qu'en celui de convaincre, tant les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison!

Or, de ces deux méthodes, l'une de convaincre, l'autre d'agréer, je ne donnerai ici les règles que de la première; et encore au cas qu'on ait accordé les principes et qu'on demeure ferme à les avouer; autrement je ne sais s'il y aurait un art pour accommoder les preuves à l'inconstance de nos caprices. Mais la manière d'agréer est bien sans comparaison plus difficile, plus subtile, plus utile, et plus admirable; aussi si je n'en traite pas, c'est parce que je n'en suis pas capable; et je m'y sens tellement disproportionné, que je crois la chose absolument impossible. Ce n'est pas que je ne croie qu'il y ait des règles anssi sûres pour plaire que pour démontrer, et que qui les saurait parfaitement connaître et pratiquer ne réussît aussi sûrement à se faire aimer des rois et de toutes sortes de personnes, qu'à démontrer les éléments de la géométrie à ceux qui ont assez d'imagination pour en comprendre les hypothèses. Mais j'estime, et c'est peut-être ma faiblesse qui me le fait croire, qu'il est impossible d'y arriver. Au moins je sais que si quelqu'un en est capable,

ce sont des personnes que je connais, et qu'aucun autre n'a sur cela de si claires et de si abondantes lumières1.

La raison de cette extrême difficulté vient de ce que les principes du plaisir ne sont pas fermes et stables. Ils sont divers en tous les hommes, et variables dans chaque particulier avec une telle diversité, qu'il n'y a point d'homme plus différent d'un autre que de soi-même dans les divers temps. Un homme a d'autres plaisirs qu'une femme; un riche et un pauvre en ont de différents; un prince, un homme de guerre, un marchand, un bourgeois, un paysan, les vieux, les jeunes, les sains, les malades, tous varient; les moindres accidents les changent. Or, il y a un art, et c'est celui que je donne, pour faire voir la liaison des vérités avec leurs principes, soit de vrai, soit de plaisir, pourvu que les principes qu'on a une fois avoués demeurent fermes et sans être jamais démentis. Mais, comme il y a peu de principes de cette sorte, et que hors de la géométrie, qui ne considère que des figures très-simples, il n'y a presque point de vérités dont nous demeurions toujours d'accord, et encore moins d'objets de plaisir dont nous ne changions à toute heure, je ne sais s'il y a moyen de donner des règles fermes pour accorder les discours à l'inconstance de nos caprices.

Cet art, que j'appelle l'art de persuader, et qui n'est proprement que la conduite des preuves méthodiques parfaites, consiste en trois parties essentielles : à définir les termes dont on doit se servir par des définitions claires; à proposer des principes ou axiomes évidents pour prouver la chose dont il s'agit; et à substituer toujours mentalement dans la démonstration les définitions à la place des définis.

La raison de cette méthode est évidente, puisqu'il serait inutile de proposer ce qu'on veut prouver et d'en entreprendre la démonstration, si on n'avait auparavant défini clairement tous les termes qui ne sont pas intelligibles; et qu'il faut de même que la démonstration soit précédée de la demande des princi

1. On se demande si ce magnifique éloge s'adresse à Nicole. Pascal n'avait pu lire le Traité des moyens de conserver la paix entre les hommes, mais il connaissait l'esprit qui devait produire un jour cet ouvrage. C'est en parlant de ce livre, dont l'idée générale rentre tout à fait dans l'art d'agréer, que Mme de Sévigné écrivait : « Jamais le cœur humain n'a été mieux anatomisé que par ces messieurs-là (Lettre du 16 août 1671). » Voir encore la lettre du 30 septembre, et le témoignage de Voltaire dans le Siècle de Louis XIV.

pes évidents qui y sont nécessaires, car si l'on n'assure le fondement on ne peut assurer l'édifice; et qu'il faut enfin, en démontrant, substituer mentalement les définitions à la place des définis, puisque autrement on pourrait abuser des divers sens qui se rencontrent dans les termes. Il est facile de voir qu'en observant cette méthode on est sûr de convaincre, puisque, les termes étant tous entendus et parfaitement exempts d'équivoques par les définitions, et les principes étant accordés, si dans. la démonstration on substitue toujours mentalement les définitions à la place des définis, la force invincible des conséquences ne peut manquer d'avoir tout son effet. Aussi jamais une démonstration dans laquelle ces circonstances sont gardées n'a pu recevoir le moindre doute; et jamais celles où elles manquent ne peuvent avoir de force. Il importe donc bien de les comprendre et de les posséder; et c'est pourquoi, pour rendre la chose plus facile et plus présente, je les donnerai toutes, en ce peu de règles qui enferment tout ce qui est nécessaire pour la perfection des définitions, des axiomes et des démonstrations, et par conséquent de la méthode entière des preuves géométriques de l'art de persuader.

Règles pour les définitions. 1. N'entreprendre de définir aucune des choses tellement connues d'elles-mêmes, qu'on n'ait point de termes plus clairs pour les expliquer. 2. N'omettre aucun des termes un peu obscurs ou équivoques, sans définition. 3. N'employer dans la définition des termes que des mots parfaitement connus, ou déjà expliqués.

Règles pour les axiomes. 1. N'omettre aucun des principes nécessaires sans avoir demandé si on l'accorde, quelque clair et évident qu'il puisse être. 2. Ne demander, en axiomes, que des choses parfaitement évidentes d'elles-mêmes.

Règles pour les démonstrations. 1. N'entreprendre de démontrer aucune des choses qui sont tellement évidentes d'ellesmêmes qu'on n'ait rien de plus clair pour les prouver. 2. Prouver toutes les propositions un peu obscures, et n'employer à leur preuve que des axiomes très-évidents, ou des propositions déjà accordées ou démontrées. 3. Substituer toujours mentalement les définitions à la place des définis, pour ne pas se tromper par l'équivoque des termes, que les définitions ont restreints.

Voilà les huit règles qui contiennent tous les préceptes des preuves solides et immuables. Desquelles il y en a trois qui ne sont pas absolument nécessaires, et qu'on peut négliger sans erreur; qu'il est même difficile et comme impossible d'observer toujours exactement, quoiqu'il soit plus parfait de le faire autant qu'on peut; ce sont les trois premières de chacune des parties :

Pour les définitions: Ne définir aucun des termes qui sont parfaitement connus.

Pour les axiomes: N'omettre à demander aucun des axiomes parfaitement évidents et siriples.

Pour les démonstrations: Ne démontrer aucune des choses très-connues d'elles-mêmes.

Car il est sans doute que ce n'est pas une grande faute de définir et d'expliquer bien clairement des choses, quoique trèsclaires d'elles-mêmes, ni d'omettre à demander par avance des axiomes qui ne peuvent être refusés au lieu où ils sont nécessaires, ni enfin de prouver des propositions qu'on accorderait sans preuves. Mais les cinq autres règles sont d'une nécessité absolue, et on ne peut s'en dispenser sans un défaut essentiel et souvent sans erreur; et c'est pourquoi je les reprendrai ici en particulier.

Règles nécessaires pour les définitions.

N'omettre aucun

des termes un peu obscurs ou équivoques, sans définition. N'employer dans les définitions que des termes parfaitement connus ou déjà expliqués.

Règle nécessaire pour les axiomes.

Ne demander en

axiomes que des choses parfaitement évidentes.

Règles nécessaires pour les démonstrations. Prouver toutes les propositions, en n'employant à leur preuve que des axiomes très évidents d'eux mêmes, ou des propositions déjà démontrées ou accordées. N'abuser jamais de l'équivoque des termes, en manquant de substituer mentalement les définitions qui les restreignent et les expliquent.

Voilà les cinq règles qui forment tout ce qu'il y a de nécessaire pour rendre les preuves convaincantes, immuables, et pour tout dire géométriques; et les huit règles ensemble les rendent encore plus parfaites.

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