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choses, dont la connaissance ouvre l'esprit aux plus grandes merveilles de la nature.

La principale comprend les deux infinités qui se rencontrent dans toutes l'une de grandeur, l'autre de petitesse.

Car, quelque prompt que soit un mouvement, on peut en concevoir un qui le soit davantage, et hâter encore ce dernier; et ainsi toujours à l'infini, sans jamais arriver à un qui le soit de telle sorte qu'on ne puisse plus y ajouter. Et au contraire, quelque lent que soit un mouvement, on peut le retarder davantage, et encore ce dernier, et ainsi à l'infini, sans jamais arriver à un tel degré de lenteur qu'on ne puisse encore en descendre à une infinité d'autres, sans tomber dans le repos. De même, quelque grand que soit un nombre, on peut en concevoir un plus grand, et encore un qui surpasse le dernier, et ainsi à l'infini, sans jamais arriver à un qui ne puisse plus être augmenté. Et au contraire, quelque petit que soit un nombre, comme la centième ou la dix-millième partie, on peut encore en concevoir un moindre, et toujours à l'infini, sans arriver au zéro ou néant. Quelque grand que soit un espace, on peut en concevoir un plus grand, et encore un qui le soit davantage, et ainsi à l'infini, sans jamais arriver à un qui ne puisse plus être augmenté. Et au contraire quelque petit que soit un espace, on peut encore en considérer un moindre, et toujours à l'infini, sans jamais arriver à un indivisible qui n'ait plus aucune étendue. Il en est de même du temps. On peut toujours en concevoir un plus grand sans dernier, et un moindre, sans arriver à un instant, et à un pur néant de durée. C'est-à-dire, en un mot, que quelque mouvement, quelque nombre, quelque espace, quelque temps que ce soit, il y en a toujours un plus grand et un moindre; de sorte qu'ils se soutiennent tous entre le néant et l'infini, étant toujours infiniment éloignés de ces extrêmes.

Toutes ces vérités ne se peuvent démontrer; et cependant ce sont les fondements et les principes de la géométrie. Mais mme la cause qui les rend incapables de démonstration n'est pas leur obscurité, mais au contraire leur extrême évidence, ce manque de preuve n'est pas un défaut, mais plutôt une perfection. D'où l'on voit que la géométrie ne peut définir les objets, ni prouver les principes; mais par cette seule et avanta

geuse raison, que les uns et les autres sont dans une extrême clarté naturelle, qui convainc la raison plus puissamment que le discours. Car qu'y a-t-il de plus évident que cette vérité, qu'un nombre, tel qu'il soit, peut être augmenté? ne peut-on pas le doubler? Que la promptitude d'un mouvement peut être doublé, et qu'un espace peut être doublé de même ? Et qui peut aussi douter qu'un nombre, tel qu'il soit, ne puisse être divisé par la moitié, et sa moitié encore par la moitié? Car cette moitié serait-elle un néant? Et comment ces deux moitiés, qui seraient deux zéros, feraient elles un nombre? De même, un mouvement, quelque lent qu'il soit, ne peut-il pas être ralenti de moitié, en sorte qu'il parcoure le même espace dans le double du temps, et ce dernier mouvement encore? Car seraitce un pur repos? Et comment se pourrait-il que ces deux moitiés de vitesse, qui seraient deux repos, fissent la première vitesse? Enfin un espace, quelque petit qu'il soit, ne peut-il pas ètre divisé en deux, et ces moitiés encore? Et comment pourrait-il se faire que ces moitiés fussent indivisibles sans aucune étendue, elles qui jointes ensemble ont fait la première étendue?

Il n'y a point de connaissance naturelle dans l'homme qui précède celles-là, et qui les surpasse en clarté. Néanmoins, afin qu'il y ait exemple de tout, on trouve des esprits excellents en toutes autres choses, que ces infinités choquent, et qui n'y peuvent en aucune sorte consentir.

Je n'ai jamais connu personne qui ait pensé qu'un espace ne puisse être augmenté. Mais j'en ai vu quelques-uns, très-habiles d'ailleurs, qui ont assuré qu'un espace pouvait être divisé en deux parties indivisibles, quelque absurdité qu'il s'y rencontre 1. Je me suis attaché à rechercher en eux quelle pouvait être la cause de cette obscurité, et j'ai trouvé qu'il n'y en avait qu'une principale, qui est qu'ils ne sauraient concevoir un continu divisible à l'infini; d'où ils concluent qu'il n'y est pas

1. Il s'agit ici du chevalier de Méré, qui niait absolument la divisibilité à l'infini, et qui s'était expliqué là-dessus avec Pascal dans une longue et curieuse lettre, dont j'ai parlé déjà. (tome I. p. 16.) Dans une lettre à Fermat (de juillet 1651), Pascal s'exprime encore ainsi sur Méré: Il a très-bon esprit, mais il n'est pas géomètre; c'est, comme Vous savez, un grand défaut; et même il ne comprend pas qu'une ligne mathématique soit divisible à l'infini, et croit fort bien entendre qu'elle est composée de points en nombre fini, et jamais je n'ai pu l'en tirer; si vous pouviez le faire, on le rendrait par

divisible. C'est une maladie naturelle à l'homme de croire qu'il possède la vérité directement; et de là vient qu'il est toujours disposé à nier tout ce qui lui est incompréhensible; au lieu qu'en effet il ne connaît naturellement que le mensonge, et qu'il ne doit prendre pour véritables que les choses dont le contraire lui paraît faux. Et c'est pourquoi, toutes les fois qu'une proposition est inconcevable, il faut en suspendre le jugement et ne pas la nier à cette marque, mais en examiner le contraire; et si on le trouve manifestement faux, on peut hardiment affirmer la première, tout incompréhensible qu'elle est. Appliquons cette règle à notre sujet.

Il n'y a point de géomètre qui ne croie l'espace divisible à l'infini. On ne peut non plus l'être sans ce principe qu'être homme sans âme. Et néanmoins il n'y en a point qui comprenne une division infinie; et l'on ne s'assure de cette vérité que par cette seule raison, mais qui est certainement suffisante, qu'on comprend parfaitement qu'il est faux qu'en divisant un espace on puisse arriver à une partie indivisible, c'est-à-dire qui n'ait aucune étendue. Car qu'y a-t-il de plus absurde que de prétendre qu'en divisant toujours un espace, on arrive enfin à une division telle qu'en la divisant en deux, chacune des moitiés reste indivisible et sans aucune étendue, et qu'ainsi ces deux néants d'étendue fissent ensemble une étendue? Car je voudrais demander à ceux qui ont cette idée, s'ils conçoivent nettement que deux indivisibles se touchent; si c'est partout, ils ne sont qu'une même chose, et partant les deux ensemble sont indivisibles; et si ce n'est pas partout, ce n'est donc qu'en une partie; donc ils ont des parties, donc ils ne sont pas indivisibles. Que s'ils confessent, comme en effet ils l'avouent quand on les presse, que leur proposition est aussi inconcevable que l'autre, qu'ils reconnaissent que ce n'est pas par notre capacité à concevoir ces choses que nous devons juger de leur vérité, puisque ces deux contraires étant tous deux inconcevables, il est néanmoins nécessairement certain que l'un des deux est véritable.

Mais qu'à ces difficultés chimériques, et qui n'ont de prcportion qu'à notre faiblesse, ils opposent ces clartés naturelles et ces vérités solides : s'il était véritable que l'espace fût com

posé d'un certain nombre fini d'indivisibles, il s'ensuivrait que deux espaces, dont chacun serait carré, c'est-à-dire égal et pareil de tous côtés, étant doubles l'un de l'autre, l'un contiendrait un nombre de ces indivisibles double du nombre des indivisibles de l'autre. Qu'ils retiennent bien cette conséquence, et qu'ils s'exercent ensuite à ranger des points en carrés jusqu'à ce qu'ils en aient rencontré deux dont l'un ait le double des points de l'autre; et alors je leur ferai céder tout ce qu'il y a de géomètres au monde. Mais si la chose est naturellement impossible, c'est-à-dire s'il y a impossibilité invincible à ranger des carrés de points, dont l'un en ait le double de l'autre, comme je le démontrerais en ce lieu-là même si la chose méritait qu'on s'y arrêtât, qu'ils en tirent la conséquence.

Et pour les soulager dans les peines qu'ils auraient en de certaines rencontres, comme à concevoir qu'un espace ait une infinité de divisibles, vu qu'on les parcourt en si peu de temps, pendant lequel on aurait parcouru cette infinité de divis.oles, il faut les avertir qu'ils ne doivent pas comparer des choses aussi disproportionnées qu'est l'infinité des divisibles avec le peu de temps où ils sont parcourus; mais qu'ils comparent l'espace entier avec le temps entier, et les infinis divisibles de l'espace 1 avec les infinis instants de ce temps; et ainsi ils trouveront que l'on parco une infinité de divisibles en une infinité d'instants, et un petit espace en un petit temps; en quoi il n'y a plus la disproportion qui les avait étonnés.

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Enfin, s'ils trouvent étrange qu'un petit espace ait autant de parties qu'un grand, qu'ils entendent aussi qu'elles sont plus petites à mesure; et qu'ils regardent le firmament au travers d'un petit verre, pour se familiariser avec cette connaissance, en voyant chaque partie du ciel en chaque partie du verre. Mais s'ils ne peuvent comprendre que des parties si petites qu'elles nous sont imperceptibles, puissent être autant divisées que le firmament, il n'y a pas de meilleur remède que de les leur faire regarder avec des lunettes qui grossissent cette pointe délicate jusqu'à une prodigieuse masse; d'où ils concevront aisément que par le secours d'un autre verre encore plus artistement taillé, on pourrait les grossir jusqu'à égaler ce fir1. Divisibles est le substantif, les divisibles en nombre infini.

mament dont ils admirent l'étendue. Et ainsi ces objets leur paraissant maintenant très-facilement divisibles, qu'ils se souviennent que la nature peut infiniment plus que l'art. Car enfin qui les a assurés que ces verres auront changé la grandeur naturelle de ces objets, ou s'ils auront au contraire rétabli la véritable, que la figure de notre œil avait changée et raccourcie, comme font les lunettes qui amoindrissent?

Il est fàcheux de s'arrêter à ces bagatelles ; mais il y a des temps de niaiser 1.

Il suffit de dire à des esprits clairs en cette matière que deux néants d'étendue ne peuvent pas faire une étendue. Mais parce qu'il y en a qui prétendent s'échapper a cette lumière par cette merveilleuse réponse, que deux néants d'étendue peuvent aussi bien faire une étendue que deux unités dont aucune n'est nombre font un nombre par leur assemblage; il faut leur repartir qu'ils pourraient opposer, de la même sorte, que vingt mille hommes font une armée, quoique aucun d'eux ne soit armée; que mille maisons font une ville, quoique aucune ne soit ville; ou que les parties font le tout, quoique aucune ne soit le tout; ou, pour demeurer dans la comparaison des nombres, que deux binaires font le quaternaire, et dix dizaines une centaine, quoique aucun ne le soit. Mais ce n'est pas avoir l'esprit juste que de confondre par des comparaisons si inégales la nature immuable des choses avec leurs noms libres et volontaires, et dépendant du caprice des hommes qui les ont composés. Car il est clair que pour faciliter les discours on a donné le nom d'armée à vingt mille hommes, celui de ville à plusieurs maisons, celui de dizaine à dix unités; et que de cette liberté naissent les noms d'unité, binaire, quaternaire, dizaine, centaine, différents par nos fantaisies, quoique ces choses soient en effet de même genre par leur nature invariable, et qu'elles soient toutes proportionnées entre elles et ne diffèrent que du plus ou du moins, et quoique, ensuite de ces noms, le binaire ne soit pas quaternaire, ni une maison une ville, non plus qu'une ville n'est pas une maison. Mais encore, quoique une maison ne soit pas une ville, elle n'est pas néanmoins un néant de ville;

1. Expression suggérée sans doute par un passage célèbre de l'Ecclésiaste, quoiqu'elle n'en soit pas traduite précisément. Voyez les notes sur xxiv, 12.

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