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truction. Car il n'y a rien de plus faible que le discours de ceux qui veulent définir ces mots primitifs. Quelle nécessité y a-t-il, par exemple, d'expliquer ce qu'on entend par le mot homme? Ne sait-on pas assez quelle est la chose qu'on veut désigner par ce terme? Et quel avantage pensait nous procurer Platon, en disant que c'était un animal à deux jambes sans plumes 1? Comme si l'idée que j'en ai naturellement, et que je ne puis exprimer, n'était pas plus nette et plus sûre que celle qu'il me donne par son explication inutile et même ridicule; puisqu'un homme ne perd pas l'humanité en perdant les deux jambes, et qu'un chapon ne l'acquiert pas en perdant ses plumes.

Il y en a qui vont jusqu'à cette absurdité d'expliquer un mot par le mot même. J'en sais qui ont défini la lumière en cette sorte: La lumière est un mouvement luminaire des corps lumineux; comme si on pouvait entendre les mots de luminaire et de lumineux sans celui de lumière ".

On ne peut entreprendre de définir l'être sans tomber dans cette absurdité : car on ne peut définir un mot sans commencer par celui-ci, c'est, soit qu'on exprime ou qu'on le sous-entende. Donc pour définir l'être, il faudrait dire c'est, et ainsi employer le mot défini dans sa définition3.

On voit assez de là qu'il y a des mots incapables d'être définis; et si la nature n'avait suppléé à ce défaut par une idée pareille qu'elle a donnée à tous les hommes, toutes nos expressions seraient confuses; au lieu qu'on en use avec la même assurance et la même certitude que s'ils étaient expliqués d'une manière parfaitement exempte d'équivoques; parce que la nature nous en a elle-même donné, sans paroles, une

1. MONTAIGNE, Apol., t. 1, p. 213, d'après Diogène Laĕrce, IV, 40.

2. Cette absurdité appartient au P. Noël, jésuite, qui avait attaqué les premiers travaux scientifiques de Pascal avec une physique et une éloquence également ridicules. On lit en effet dans sa première lettre (imprimée au tome iv des OEuvres de Pascal) ces incroyables paroles: ... Puisque la lumière, ou plutôt l'illumination, est un mouvement luminaire des rayons composés des corps lucides qui remplissent les corps transparents et ne sont mus luminairement que par d'autres corps lucides. > Pascal releva sur-lechamp cette définition étrange dans sa Réponse au P. Noël, en lui opposant les mêmes principes qu'il énonce ici. Mais le galimatias est tellement incompatible avec l'esprit de Pascal qu'il n'a pu conserver celui-là dans toute sa richesse; il l'a simplifié et l'a rendu plus net comme malgré lui. Le P. Noël, dans sa seconde lettre à Pascal, essaie d'expliquer sa définition, mais le commentaire n'est pas moins obscur que le texte.

3. Voyez la même pensée dans l'Entretien de Pascal avec M. de Saci, p. cxxviii de J'Introduction.

intelligence plus nette que celle que l'art nous acquiert par nos explications.

Ce n'est pas que tous les hommes aient la même idée de l'essence des choses que je dis qu'il est impossible et inutile de définir. Car par exemple, le temps est de cette sorte. Qui le pourra définir? Et pourquoi l'entreprendre, puisque tous les hommes conçoivent ce qu'on veut dire en parlant du temps, sans qu'on le désigne davantage? Cependant il y a bien de différentes opinions touchant l'essence du temps. Les uns disent que c'est le mouvement d'une chose créée; les autres, la mesure du mouvement1, etc. Aussi ce n'est pas la nature de ces choses que je dis qui est connue à tous; ce n'est simplement que le rapport entre le nom et la chose; en sorte qu'à cette expression, temps, tous portent la pensée vers le même objet; ce qui suffit pour faire que ce terme n'ait pas besoin d'être défini, quoique ensuite, en examinant ce que c'est que le temps, on vienne à différer de sentiment après s'être mis à y penser; car les définitions ne sont faites que pour désigner les choses que l'on nomme, et non pas pour en montrer la nature. Ce n'est pas qu'il ne soit permis d'appeler du nom de temps le mouvement d'une chose créée; car, comme j'ai dit tantôt, rien n'est plus libre que les définitions. Mais ensuite de cette définition il y aura deux choses qu'on appellera du nom de temps l'une est celle que tout le monde entend naturellement par ce mot, et que tous ceux qui parlent notre langue nomment par ce terme; l'autre sera le mouvement d'une chose créée, car on l'appellera aussi de ce nom suivant cette nouvelle définition. Il faudra donc éviter les équivoques, et ne pas confondre les conséquences. Car il ne s'ensuivra pas de là que la chose qu'on entend naturellement par le mot de temps soit en effet le mouvement d'une chose créée. Il a été libre de nommer ces deux choses de même; mais il ne le sera pas de les faire convenir de nature aussi bien que de nom.

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1. La scolastique distinguait trois espèces de durée : l'éternité, qui est la permanence de Dieu, également immuable dans sa substance et dans ses modes; la perpétuité (ævum), qui est la permanence des créatures incorruptibles, telles que les anges et les âmes, quant à la substance, non quant aux modes; et enfin le temps, ou la mobilité des créatures en général, incorruptibles ou corruptibles, celles-là n'étant sujettes à cette mobilité que dans leurs modes, celles-ci l'étant dans leur substance même. Voir la Somme de saint Thomas, quest. x, art. 4 et 5. Cf. quest, LI, art. 3. L'autre définition est d'Aristote, Phys., IV, 11 : ἀριθμὸς κινήσεως.

Ainsi, si l'on avance ce discours : Le temps est le mouvement d'une chose créée; il faut demander ce qu'on entend par ce mot de temps, c'est-à-dire si on lui laisse le sens ordinaire et reçu de tous, ou si on l'en dépouille pour lui donner en cette occasion celui de mouvement d'une chose créée. Que si on le destitue de tout autre sens, on ne peut contredire, et ce sera une définition libre, ensuite de laquelle, comme j'ai dit, il y aura deux choses qui auront ce même nom. Mais si on lui laisse son sens ordinaire, et qu'on prétende néanmoins que ce qu'on entend par ce mot soit le mouvement d'une chose créée, on peut contredire. Ce n'est plus une définition libre, c'est une proposition qu'il faut prouver, si ce n'est qu'elle soit très-évidente d'elle-même; et alors ce sera un principe et un axiome, mais jamais une définition, parce que dans cette énonciation on n'entend pas que le mot de temps signifie la même chose que ceux-ci, le mouvement d'une chose créée; mais on entend que ce que l'on conçoit par le terme de temps soit ce mouvement supposé.

Si je ne savais combien il est nécessaire d'entendre ceci parfaitement, et combien il arrive à toute heure, dans les discours familiers et dans les dicours de science, des occasions pareilles à celle-ci que j'ai donnée en exemple, je ne m'y serais pas arrêté. Mais il me semble, par l'expérience que j'ai de la confusion des disputes, qu'on ne peut trop entrer dans cet esprit de netteté, pour lequel je fais tout ce traité, plus que pour le sujet que j'y traite.

Car combien y a-t-il de personnes qui croient avoir défini le temps quand ils ont dit que c'est la mesure du mouvement, en lui laissant cependant son sens ordinaire! Et néanmoins ils ont fait une proposition, et non pas une définition. Combien y en a-t-il de même qui croient avoir défini le mouvement quand ils ont dit: Motus nec simpliciter actus, nec mera potentia est, sed actus entis in potentia1! Et cependant s'ils laissent au mot de mou

1. Tous les éditeurs sans exception donnent ainsi cette phrase: Motus nec simpliciter motus, non mera, etc., ce qui ne me paraît pas offrir de sens. En lisant actus et nec mera, on obtient l'expression exacte des idées d'Aristote sur le mouvement (Phys., III, 1 et 2):< Le mouvement n'est ni simplement un acte, ni une pure puissance, mais la mise en action de ce qui est en puissance.» Aristote ajoute, en tant qu'étant en puissance : Η τοῦ δυνάμει ὄντος ἐντελέχεια, ᾗ τοιοῦτον, κίνησίς ἐστιν. Expliquons cela en Langage moderne. Voici un corps pesant que je tiens suspendu en l'air; tant que je le

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vement son sens ordinaire comme ils font, ce n'est pas une définition, mais une proposition; et, confondant ainsi les définitions qu'ils appellent définitions de nom, qui sont les véritables définitions libres, permises et géométriques, avec celles qu'ils appellent définitions de chose, qui sont proprement des propositions nullement libres, mais sujettes à contradiction, ils s'y donnent la liberté d'en former aussi bien que des autres; et chacun définissant les mêmes choses à sa manière par une liberté qui est aussi défendue dans ces sortes de définitions que permise dans les premières, ils embrouillent toutes choses, et perdant tout ordre et toute lumière, ils se perdent euxmêmes et s'égarent dans des embarras inexplicables.

On n'y tombera jamais en suivant l'ordre de la géométrie. Cette judicieuse science est bien éloignée de définir ces mots primitifs, espace, temps, mouvement, égalité, majorité, diminution, tout, et les autres que le monde entend de soi-même. Mais hors ceux-là, le reste des termes qu'elle emploie y sont tellement éclaircis et définis, qu'on n'a pas besoin de dictionnaire pour en entendre aucun; de sorte qu'en un mot tous ces termes sont parfaitement intelligibles, ou par la lumière naturelle ou par les définitions qu'elle en donne.

Voilà de quelle sorte elle évite tous les vices qui se peuvent rencontrer dans le premier point, lequel consiste à définir les seules choses qui en ont besoin. Elle en use de même à l'égard de l'autre point, qui consiste à prouver les propositions qui ne sont pas évidentes. Car, quand elle est arrivée aux premières vérités connues, elle s'arrête là et demande qu'on les accorde, n'ayant rien de plus clair pour les prouver; de sorte que tout ce que la géométrie propose est parfaitement démontré, ou par la lumière naturelle, ou par les preuves. De là vient que si cette science ne définit pas et ne démontre pas toutes choses, c'est par cette seule raison que cela nous est impossible. Mais comme la nature fournit tout ce que cette science ne donne pas, son ordre à la vérité ne donne pas une perfection

tiens, il tend à tomber, mais ce n'est qu'une tendance sans résultat, qu'une puissance sans acte. Si je le lâche, l'acte se produit, mais tant que le corps tombe, l'acte n'est pas complet, la puissance de chute n'est pas consommée. Qu'est-ce donc que le mouvement de ce corps? C'est la réalisation de la disposition à tomber, c'est la mise en action d'une puissance de chute.

plus qu'humaine, mais il a toute celle où les hommes peuvent arriver. Il m'a semblé à propos de donner dès l'entrée de ce discours cette....

On trouvera peut-être étrange que la géométrie ne puisse définir aucune des choses qu'elle a pour principaux objets; car elle ne peut définir ni le mouvement, ni les nombres, ni l'espace; et cependant ces trois choses sont celles qu'elle considère particulièrement et selon la recherche desquelles elle prend ces trois différents noms de mécanique, d'arithmétique, de géométrie, ce dernier nom appartenant au genre et à l'espèce1. Mais on n'en sera pas surpris, si l'on remarque que cette admirable science ne s'attachant qu'aux choses les plus simples, cette même qualité qui les rend dignes d'être ses objets les rend incapables d'être définies; de sorte que le manque de définition est plutôt une perfection qu'un défaut, parce qu'il ne vient pas de leur obscurité, mais au contraire de leur extrême évidence, qui est telle qu'encore qu'elle n'ait pas la conviction des démonstrations, elle en a toute la certitude. Elle suppose donc que l'on sait quelle est la chose qu'on entend par ces mots, mouvement, nombre, espace; et, sans s'arrêter à les définir inutilement, elle en pénètre la nature, et en découvre les merveilleuses propriétés.

Ces trois choses, qui comprennent tout l'univers, selon ces paroles: Deus fecit omnia in pondere, in numero, et mensura, ont une liaison réciproque et nécessaire. Car on ne peut imaginer de mouvement sans quelque chose qui se meuve; et cette chose étant une, cette unité est l'origine de tous les nombres; et enfin le mouvement ne pouvant être sans espace, on voit ces trois choses enfermées dans la première. Le temps même y est aussi compris; car le mouvement et le temps sont relatifs l'un à l'autre; la promptitude et la lenteur, qui sont les différences des mouvements, ayant un rapport nécessaire avec le temps. Ainsi il y a des propriétés communes à toutes ces

1. Le nom de géométrie n'appartient aujourd'hui qu'à l'espèce; on ne désigne le genre que par celui de mathématiques.

2. Sagesse, x1, 21: Sed omnia in mensura et numero et pondere disposuisti. « Vous avez ordonné toutes choses avec mesure, avec nombre et avec poids. Dans l'application contestable que Pascal fait de ces paroles, on voit qu'il identifie les idées de poids et de mouvement; c'est parler en philosophe et en disciple de Descartes. Voir les Principia philosophiæ, 11, 26.

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