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losophe. On n'est ni philosophe ni critique quand on peut s'empêcher de songer; et il y a des hommes distingués, et même de grands hommes, qui sont dans ce cas.

« Ne pensez pas aux passages du Messie, disait le Juif à son fils. Ainsi font les nôtres souvent. » Les nôtres disent : Ne pensez pas aux difficultés de l'Ecriture, aux objections qu'on peut faire sur les dogmes, les mystères, etc. Fénelon dit dans sa Lettre à l'évêque d'Arras, que j'ai déjà citée : « Toutes les difficultés... s'évanouissent sans peine, dès qu'on a l'esprit guéri de la présomption. Alors, suivant la règle de saint Augustin (Epist. ad Hier.), on passe sur tout ce que l'on n'entend pas, et on s'édifie de tout ce qu'on entend. » On n'est pas étonné que Port-Royal ait supprimé ce fragment. Aucune autorité n'eût supporté ce ton hardi et sincère.

Fragment 25 ter.

« Trop luxuriant. » Luxuriant est une expression latine, qui se dit proprement d'un luxe de végétation, et par suite de toute espèce de surabondance. La vraie élégance, même en littérature, n'est pas si éloignée de cette élégance des mathématiciens, qui consiste à exposer la vérité de la façon la plus simple et la plus nette.

« L'inquiétude de son génie. Trop de deux mots hardis. » Excellente leçon de style. Le mot d'inquiétude est en effet d'une grande force, d'après l'étymologie; il signifie proprement l'impossibilité de demeurer en repos. C'est le sens qu'il a dans les vers de Racan :

Vallons, fleuves, rochers, plaisante solitude,
Si vous fûtes témoins de mon inquiétude,
Soyez-le désormais de mon contentement.

De mon inquiétude, c'est-à-dire, de l'agitation perpétuelle de ma vie. Et dans ceux-ci de La Fontaine (Fables, VI, 5)

Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :

L'un doux, benin et gracieux,

Et l'autre turbulent et plein d'inquiétude.

C'est celui du mot inquiet dans ce passage de Bossuet (Or. fun. de la Reine d'Angleterre) : « Ils ont dans le fond du cœur je ne sais quoi d'inquiet, qui s'échappe si on leur ôte ce frein nécessaire. » Et dans ces autres vers de La Fontaine (Fables, IX, 2):

Faut-il que tant d'objets si doux et si charmants
Me laissent vivre au gré de mon âme inquiète?

Quant au mot génie, le génie d'un homme n'est pas seulement son naturel, son caractère, c'est comme une puissance mystérieuse qui réside en lui, et qui le fait ce qu'il est. Néron confie à Narcisse (Britan

nicus, acte II, scène 2) qu'il est las de subir l'ascendant d'Agrippine, et qu'il fait tout ce qu'il peut pour y échapper.

Mais enfin mes efforts ne me servent de rien;

Mon génie étonné tremble devant le sien.

Il suffit d'un pareil vers pour faire sentir tout ce qu'il peut y avoir dans un mot. Si maintenant on prodigue ces termes expressifs, on leur ôte leur effet, pour vouloir faire trop d'effet. Si on dit l'inquiétude de son génie, quand ce serait assez de dire, l'inquiétude de son esprit, ou même peut-être, la mobilité de son esprit, on étonne plutôt qu'on ne touche, et bientôt on n'étonne même plus. Pour qu'une expression soit vraiment forte, il faut qu'elle ne soit employée qu'à propos. Mais plus on a écrit dans une langue, plus ceux qui écrivent craignent d'avoir un style faible et commun; ils mettent partout les mots les plus vifs, et ils les usent par cela même; de sorte qu'ils restent faibles et communs, et qu'ils sont de plus ampoulés et fatigants.

Fragment 26. « L'ennui, la noirceur, la tristesse, le chagrin, le dépit, le désespoir. » Plus le style de Pascal est sobre d'habitude, et plus nous sommes accoutumés à ne lui voir dire chaque chose qu'une seule fois et d'une seule façon, plus il nous accable ici par ces synonymes multipliés. Il nous fait mieux mesurer l'abîme, en se reprenant à tant de fois pour le creuser devant nous.

Fragment 26 bis. — « Quand un soldat se plaint de la peine qu'il a, ou un laboureur, etc., qu'on les mette sans rien faire. » N'est-ce pas comme s'il disait: quand un homme se plaint de manger des choses mauvaises et rebutantes, qu'on le mette sans manger?

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Fragment 34. Pyrrhonisme est le remède à ce mal, et rabattra cette vanité. » La vanité de prétendre avoir des idées assez claires et assez sûres pour juger de ce qu'il était juste ou convenable que Dieu fit. Mais que faisait Pascal de son pyrrhonisme, quand il disait : « Dieu doit aux hommes... Il est impossible par le devoir de Dieu, etc. » (XXIII, 9, 11.) Il s'appuyait alors sur cette ferme base des idées morales, et ne croyait pas faire un sot discours. C'est qu'alors il avait intérêt à raisonner, et maintenant il a intérêt à échapper au raisonnement.

Fragment 38. — « On a bien de l'obligation à ceux qui avertissent des défauts... Ils apprennent qu'on a été méprisé, ils n'empêchent pas qu'on ne le soit à l'avenir. » Aucun autre que Pascal ne pouvait s'aviser d'un pareil motif pour nous obliger à aimer le blâme et les repro

ches. Tous les moralistes humains auraient dit: Si la censure nous chagrine comme signe du mépris que nous avons encouru, nous lui devons du moins cela qu'elle nous corrige, et nous garantit ainsi de ce même mépris pour l'avenir.

Fragment 40. << La foi est un don de Dieu.» Voyez le passage de Platon cité dans l'Étude sur les Pensées, page xi de l'Introduction.

Fragment 41. « Comme des Juifs élus à l'exclusion des gentils. >> Les Juifs choisis à l'exclusion des gentils pour être le peuple de Dieu ne sont pour Pascal qu'une figure, la figure des prédestinés élus à l'exclusion des réprouvés.

Il me semble que Pascal lui-même n'a pu mettre dans une pareille théologie que tout au plus assez de clarté pour rendre les ténèbres visibles.

Fragment 48. - « Ceux qui n'aiment pas la vérité. » Il est clair qu'il s'agit de la vérité janséniste.

Fragment 49. — « Fausse humilité, orgueil. » C'est-à-dire que cette humilité, qui n'ose rien décider par elle-même, qui dit qu'elle ne peut que s'en rapporter à l'autorité, est fausse. C'est réellement un orgueil, qui ne veut pas se soumettre à la raison.

Fragment 50. — « Et ainsi saint Paul... dit qu'il n'est venu ni en sagesse ni en signes. » On lit au contraire dans la seconde Lettre à ceux de Corinthe (x1, 12): « Les marques de ma mission se sont produites parmi vous en toute sorte d'épreuves, en signes, en prodiges et en vertus surnaturelles. »

Fragment 55. - « Pourquoi Dieu a établi la prière. » Il est également vrai, d'après la doctrine janséniste, premièrement, que Dieu donne sa grâce à qui la demande ; secondement, qu'il ne la donne qu'à qui il lui plaît, qu'aux prédestinés à qui il a résolu de toute éternité de la donner. Donc nul ne peut la demander que les prédestinés, ou en d'autres termes, que ceux qui l'ont déjà. Mais alors pourquoi faut-il qu'ils la demandent, et à quoi bon la prière? Voilà la difficulté.

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Fragment 55 bis. « Jamais il n'a promis les prières qu'aux enfants de la promesse.» Aux élus. Expression de Paul, Rom. Ix, 8. Dieu a promis d'adopter les fils d'Abraham, mais non pas ses fils selon la chair. Les vrais fils d'Abraham, ce sont ceux qui suivent JÉSUSCHRIST. C'est à ceux-là que s'appliquait la promesse faite à Abraham, ils sont les fils de la promesse, filii promissionis. Il y a opposition entre

ces deux mots, la justice, la promesse. Dieu ne doit la justice qu'à ceux à qui il a donné, par pure faveur, de la mériter. Nous sommes au plus profond des obscurités de la grâce.

Fragment 60. « Il faut se connaître soi-même; quand cela ne servirait pas à trouver le vrai, cela au moins sert à régler sa vie.» Mais comment peut-on régler sa vie si on n'a pas une vérité pour servir de règle? Pascal essayait-il donc, comme Kant l'a fait depuis, de séparer la raison pratique et la raison pure? Il se montre ailleurs plus conséquent et plus absolu, il pense que l'homme n'a que faire de la science de l'homme non plus que de toute autre science (vi, 23).

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Fragment 61 bis. << Montaigne contre les miracles. Montaigne pour les miracles. » La contradiction entre les deux chapitres est en effet si frappante, que je doute qu'on puisse les accorder entre eux, comme le veut Pascal, et supposer que l'un ne fait que compléter l'autre. Je crois que la vraie pensée de Montaigne est plutôt au livre III, qui n'a été fait qu'assez longtemps après les deux autres, et où Montaigne s'est ouvert davantage, enhardi par l'âge et surtout par le succès. Et c'est là en effet que les auteurs de la Logique de Port-Royal l'ont cherché (Logique, quatrième partie, chap. 13). C'est là qu'il paraît, non pas seulement prudent, mais tout à fait rebelle et indocile au sujet du merveilleux, sauf quelques réserves suggérées par une autre espèce de prudence, qui n'est pas celle dont Pascal le loue; prudence de politique, non de philosophe.

Dans l'autre endroit, il est croyant à force de pyrrhonisme, ne distinguant plus entre la nature et le surnaturel, entre le raisonnable et l'irraisonnable. (Voyez les Remarques sur le fragment 24 de l'article XXIV.) D'ailleurs l'hérésie protestante, qu'il n'aime pas comme politique, lui a fait voir le danger d'appliquer l'esprit de critique à certaines matières. « Car aprez que selon vostre bel entendement, vous avez estably les limites de la verité et de la mensonge, et qu'il se trouve que vous avez necessairement à croire des choses où il y a encores plus d'estrangeté qu'en ce que vous niez, vous vous estes desia obligé de les abandonner... Ou il fault se soubmettre du tout à l'auctorité de nostre police ecclesiastique, ou du tout s'en dispenser: ce n'est pas à nous à establir la part que nous lui debvons d'obeïssance. » J'imagine que Pascal n'acceptait pas de Montaigne un principe aussi contraire aux prétentions du jansénisme; mais je me figure aussi que Montaigne n'eût pas aisément accepté de Pascal le miracle de la Sainte-Épine, en faveur duquel le champion des saints de Port-Royal invoque ici son autorité profane.

Fragment 63. « Je ne puis juger d'un ouvrage en le faisant; il faut que je fasse comme les peintres, et que je m'en éloigne. » La même idée, ou une idée analoguc, se trouve au commencement du livre de Plutarque contre la Colère, nepì dopasias : « Les peintres font sagement, à mon avis, avant d'achever un ouvrage, de l'examiner à certains intervalles; car tandis qu'ils en éloignent ainsi leur vue, ils la renouvellent par ce fréquent examen, et la rendent plus capable d'apprécier de petites nuances, qui se dérobent par l'habitude et la continuité. »

Fragment 65. - « Les nombres imitent l'espace, qui sont de nature si différente. L'espace n'est cependant qu'une quantité.

Fragment 66. — « Les enfants de Port-Royal, auxquels on ne donne point cet aiguillon d'envie et de gloire. » Voyez le Port-Royal de M. Sainte-Beuve, t. ш, Ecoles de Port-Royal. Et, à la page 402 (1re édition), un passage des Mémoires de Fontaine, où il dit de M. de Saci : « Quand il y avait quelque bien dans quelqu'un de ces enfants, il me conseillait toujours de n'en point parler, et d'étouffer cela dans le secret. » Quintilien au contraire : « Je veux un enfant que la louange cxcite, qui aime la gloire, qui pleure d'être vaincu (I, 3). » Quintilien prépare un artiste en éloquence, et Saci un solitaire. Si nous voulons un honnête homme, suivons la nature en la tempérant.

'ragment 68. - « On aime à voir l'erreur, la passion de Cléobuline, ctc. » Dans une Lettre de madame de Sévigné à sa fille, du 13 mai 1671, on lit ces mots à l'occasion de madame Des Pennes, qui a été aimable comme un ange : « Mademoiselle de Scudéri l'adorait; c'était la princesse Cléobuline : elle avait un prince Thrasybule en ce tempslà, c'est la plus jolie histoire de Cyrus. » En citant ce passage dans ma première édition, j'avertissais que le prince Thrasybulc, qui est bien un des héros du Cyrus, n'y est pas l'amant de Cléobuline. Mais ce n'était pas la seule rectification à faire.

M. Cousin, dans son livre de La Société française au XVIIe siècle (1858), t. 1er page 252, établit péremptoirement que madame Des Pennes n'est pas représentée dans le Cyrus sous le nom de la princesse Cléobuline, mais sous celui de la princesse Cléonisbe (tom. VIII du Cyrus, au livre II). Mais Cléonisbe elle-même a pour amant le prince Peranius et non Thrasybule; madame de Sévigné s'est donc trompée deux fois, si elle a écrit ce que ses éditeurs ont imprimé.

Quant à la Cléobuline de Cyrus, M. Cousin a montré (page 211)

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