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SOUVENIRS D'AVANT 1870'

Je m'installai à Paris au mois d'octobre 1864, dans un petit appartement de la rue de Verneuil. Nous n'étions pas bien riches, et j'étais loin d'avoir l'approbation des miens, quoique l'affection de mon père ne m'ait jamais fait défaut. Ce qui rendait ma situation difficile et même pénible, c'était que, bien résolu à ne servir que la cause républicaine et à m'y dévouer, je refusais de profiter des relations de M. Villemain qui m'attiraient naturellement vers le parti orléaniste. J'étais plein de déférence et de respect pour M. Villemain, et c'était pour moi un grand bonheur d'interroger souvent ce rare esprit. Ses conseils, ses récits, son expérience et sa péné

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1. Nous devons à la famille d'Allain-Targé de pouvoir donner quelques extraits de ses mémoires. Gendre de Villemain, journaliste, nommé préfet de la Gironde en 1878 par Gambetta, conseiller municipal de Paris de 1871 à 1876, député élu en 1876, réélu en 1877 et en 1881, ministre des Finances dans le cabinet Gambetta (14 novembre 1881), puis ministre de l'Intérieur dans le cabinet Brisson (6 avril 1885), Allain-Targé connut de près le petit groupe des républicains des dernières années de l'Empire, puis le groupe des hommes qui fondèrent et organisèrent la troisième République. On verra, par les fragments que nous publierons, qu'il les jugea sans complaisance, avec l'austère sévérité qu'il mit dans toute sa vie, et aussi avec la droiture que l'opinion s'accorde à lui reconnaître. Nous estimons que le devoir d'une revue comme la nôtre est de publier les documents politiques de cet ordre, qu'ils nous viennent de droite ou de gauche. de l'extrême droite ou de l'extrême gauche, fussent-ils même passionnés et ardents, à la condition qu'ils soient sincères.

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tration ont toujours excité ma curieuse admiration. Je lui dois beaucoup, et je lui ai toujours témoigné ma reconnaissance profonde pour la bienveillance dont il m'honorait. Mais je sentais que ses préjugés, ses goûts, ses souvenirs, sa haine du suffrage universel, fait nouveau dont il refusait de tenir compte, lui faisaient poursuivre une illusion décevante. La monarchie constitutionnelle telle qu'il la concevait, c'està-dire le gouvernement oligarchique, ne pouvait plus convenir à notre époque et à notre nation égalitaire. Napoléon III et les théoriciens du second Empire l'avaient très bien compris, et ils se servaient précisément des prétentions aristocratiques de l'opposition constitutionnelle pour irriter contre elle les défiances du peuple et pour établir un pouvoir autoritaire et personnel. Je croyais la République seule capable de satisfaire la démocratie et de remplacer le gouvernement césarien. Cette conviction, que je m'étais formée, seul, par mes études et mes réflexions, au fond de ma province, était si forte en moi qu'elle m'empêchait de me soumettre à la direction d'un homme éminent dont la bonté touchait mon cœur et dont la supériorité s'imposait à mon intelligence.

Cependant, je connaissais fort peu le monde républicain et les hommes dont j'avais l'intention de défendre les idées et de partager la bonne et la mauvaise fortune. Ce fut chez Clément Laurier que je rencontrai les amis et compagnons avec qui j'allais bientôt entrer en campagne.

J'étais déjà lié avec Gambetta. Ce jeune homme, quoique je fusse de plusieurs années son aîné et quoique ses habitudes de bohème me choquassent parfois horriblement, m'avait paru doué pour la politique d'une vocation exceptionnelle. J'étais moins frappé de sa facilité de parole extraordinaire, de l'éclat de ses images et de la souplesse de son argumentation que de son bon sens et de la sûreté de son jugement. Je dirai même qu'en ma qualité d'homme de l'Ouest, cette abondance et cette fougue méridionales, qui lui valaient tant de succès dans les cafés du boulevard et du quartier latin, me mettaient en défiance et me refroidissaient. En effet, lorsqu'il

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avait un public, à toutes les époques de sa vie, Gambetta se laissait entraîner par le besoin qu'ont tous les orateurs d'éblouir et de dominer. La contradiction l'irritait, et, si parfois elle lui fournissait l'occasion de mouvements oratoires d'une rare éloquence, souvent elle le conduisait au paradoxe et à l'obstination. C'était dans les conversations intimes, lorsqu'il cherchait la vérité pour lui-même et pour elle-même, qu'il était vraiment supérieur, et que sa pensée se développait dans toute sa profondeur et toute son étendue. Un auditoire ordinaire l'eût peut-être trouvé moins brillant, mais, pour qui voulait s'instruire et s'éclairer, il n'y eut jamais de collaboration plus précieuse que celle de cet improvisateur étonnant.

Il était alors le secrétaire de Clément Laurier qui se croyait son maître, et qui, en effet, lui faisait gagner à peu près sa vie au Palais. Gambetta ne fut jamais fait pour le barreau. Ce n'était pas la science juridique qui lui manquait, ni l'habileté de parole; il avait même du goût pour les choses du droit, dont les subtilités l'amusaient; il y était érudit et retors. Mais les intérêts particuliers dont il lui fallait s'occuper à la barre des prétoires lui paraissaient indignes de son effort et l'ennuyaient. Il est certain que Laurier, si inapte à la politique malgré tout son esprit, était un avocat infiniment plus apprécié des avoués et de messieurs.

Celui-ci, cependant, sorti du cabinet de Crémieux avec une double clientèle de financiers et de gens de lettres, dont les uns lui donnaient le désir et le moyen de gagner beaucoup d'argent et les autres l'occasion de ces plaidoiries mordantes pour lesquelles son talent littéraire et son éducation de poète et de critique l'avaient admirablement préparé, Clément Laurier vivait dans un courant et dans un milieu d'opposition. Cette double clientèle lui inspirait une double ambition, qui devait, à son avis, sûrement le conduire à un double succès l'ambition du barreau et celle de la tribune. Il ne doutait point en ce temps-là de l'avenir: on l'eût bien étonné en lui prédisant qu'il ne serait jamais ni bâtonnier, ni ministre. Et de vrai, il avait presque tout ce qu'il fallait pour devenir et demeurer un des premiers de sa génération. Il a rendu à la République bien plus de services qu'il ne lui a causé d'embarras par sa défection de 1873. Son talent ne fut jamais

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