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Si l'on peut encore discerner à cette époque des marques d'une latinité tenace dans certaines villes du nord de la France, comme à Soissons, à Laon et à Chauny, c'est peut-être à la Ferté-Milon qu'elles apparaissent avec le plus d'évidence, subsistant dans les institutions, les mœurs, et jusque dans le caractère et même l'aspect de ses habitants.

L'Histoire nous apprend que dès le Ve ou VIe siècle, les descendants des gallo-romains, qui furent assez nombreux pour échapper au triste sort réservé à la plèbe, ne durent leur salut qu'à la protection que leur assuraient les solides murailles de leur château-fort, à l'époque des grandes invasions et des exactions des pillards.

Ainsi, s'organisa à l'abri de cette enceinte fortifiée, l'existence d'une population cultivée, véritable caste de « clercs », qui vivaient quelque peu repliés sur eux-mêmes, soucieux avant tout de ne pas altérer leur sang par des croisements avec celui des vaincus, des conquis, ces der niers d'ailleurs se gardant bien de chercher alliance avec les barbares. C'est peut-être pour cette raison qu'après plus d'un millénaire il était encore possible de retrouver la marque romaine dans cette communauté chrétienne. Tous ces clercs étaient fiers de leur naissance, de leur rang, de leur supériorité de scribes publics, pénétrés de l'importance de leurs charges, qu'ils remplissaient avec une componction, une dignité toute « impériale ». Ils recevaient tous au moyen-âge la tonsure, et ne dépendaient que de la seule juridiction ecclésiastique, beaucoup plus humaine que celle des seigneurs, des prévôts et baillis; puis avec la multiplicité des administrations, la qualité de clercs s'étendit aux divers emplois de justice, de police, des eaux et forêts, du tabellionage, de la gabelle. Par la suite, la tonsure ne fut plus exigée. On peut être assuré que la paperasse réclamait des commis un temps énorme; par contre, aucun travail de force, pour lequel ils affichaient le plus grand mépris. Là où il suffisait, à Beauvais, de dix à douze fonctionnaires pour une administration comme la

gabelle, il en fallait bien davantage à la Ferté, où cependant le grenier était beaucoup moins important. Toutes ces charges d'ailleurs étaient plus honorifiques que rémunératrices elles n'en n'étaient pas moins briguées avec âpreté. Nous savons que la charge de procureur au grenier à sel et au bailliage, à laquelle tenait tant le père de Racine, ne lui aurait cependant pas permis de s'enrichir, même s'il avait vécu plus longtemps.

Ville de clercs, la Ferté-Milon était alors aussi une ville de pèlerinages, et un véritable séminaire, qui avait la réputation dans toute la région d'être exceptionnellement protégé de Dieu, depuis qu'y prirent naissance Saint Waast et Saint Vulgis. Le premier de ces deux apôtres avait assisté au baptême de Clovis, en 496, aux côtés de Saint Rémy. Des chapelles leur furent dédiées, dont nous avons retracé l'histoire, leurs reliques furent vénérées, et l'on venait de très loin pour obtenir guérison ou protection contre toutes sortes de maladies ou de calamités.

Telle était la réputation de « bourgade de vertu », que la Ferté s'était alors acquise, par ailleurs si bien protégée par son château fort, dressé au carrefour de plusieurs routes militaires, que sous la menace des Normands, en 882 et 884, les villes de Paris et de Tours vinrent y mettre à l'abri leurs reliques de Sainte Geneviève et Sainte Clotilde. En commémoration de ce service rendu par la Ferté, la capitale lui envoyait chaque année, et après plus de neuf cents ans, jusqu'à la Révolution, de riches présents, offerts en cortège par l'abbé de SainteGeneviève. De tout temps, ce fut à la Ferté que la célèbre abbaye vint recruter plusieurs de ses plus illustres abbés et profès citons au XVIIe siècle les noms des F. Martin Citolle, Nicolas Colletet qui baptisa Racine, Dominique Charron, les frères Sconin (Charles, Antoine et Jacques), oncles de Racine.

Comme en tout lieu de pèlerinage, un commerce florissant s'y installa, qui groupait de nombreux artisans et marchands. Mais alors les clercs, incapables de faire

des affaires, s'en remirent à de plus avisés du soin de pratiquer les opérations de negoce et de banque. C'est ainsi que les templiers y fondèrent un important comptoir, opérant d'ailleurs aux côtés d'un ghetto de juifs accourus s'installer dans le même quartier. Comme il n'y avait à la Ferté-Milon que des monastères, ces juifs ne travaillaient qu'avec le clergé, et les clercs, en fait, les protégeaient. Venus d'Allemagne, ils furent expulsés en 1322, sur intervention des Valois, qui se trouvaient dans l'impossibilité de leur rembourser les fortes sommes que ceux-ci leur avaient prêtées, sur hypothèque. La communauté de la Ferté-Milon, victime de cette mesure d'exception, retourna en Alsace. Quant aux moines templiers, leur puissance était alors devenue si menaçante pour le royaume, que Philippe le Bel les dispersait.

Lorsque Jeanne d'Arc, en traversant le Valois, fut reçue en août 1429 à la Ferté-Milon, elle le fut en si grande liesse, qu'elle s'en montra tout émue (Cahiers Raciniens, 1960, VII, p. 418). L'accueil qui lui fut fait contrastait en effet avec la réserve que lui avaient marquée les Champenois, froids et circonspects, hésitants encore à prendre parti. On dit que Château-Thierry s'obstina à lui refuser le passage, et qu'elle dut attendre vingt-quatre heures sous la pluie avant que se levât le pont-levis. Mais pouvait-il en être autrement à la Ferté, cette cité protégée des saints, quand elle recevait Jeanne l'envoyée de Dieu ?

Quand plus tard au XVI® sièle, la Ferté fut au centre de la région d'où partit le protestantisme français, elle refusa toujours de tolérer en ses murs un huguenot, alors que les villes voisines de Meaux, Château-Thierry, Compiègne et Saint-Quentin devenaient autant de centres hérétiques. Nous savons avec quelle ardeur les habitants de la Ferté-Milon défendirent leur château, quand Henri IV entreprit d'en faire le siège. Et cependant c'était un prélat d'origine milonaise, Monseigneur de Beaune-Semblançay, archevêque de Sens, grand aumonier de France, et primat des Gaules, qui avait reçu l'abjuration du roi. Mais sa

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médiation fut repoussée. Aux yeux des milonais, Henri IV n'en restait pas moins un faux catholique. L'acte par lequel il termina le siège de leur ville, en achetant le gouverneur du château, puis la décision qu'il prit de le démanteler après sa reddition, ne fut pas du goût des habitants, et explique pourquoi le roi Henri, si populaire dans le royaume, resta toujours ici un « exécrable huguenot», celui dont l'assassinat fut sans doute salué comme une juste punition divine.

C'est alors que la doctrine de la prédestination et de la grâce, de l'évêque Jansénius, trouva une profonde audience à la Ferté. L'ardeur idéaliste des milonais, l'austérité de leurs mœurs, l'attachement des clercs pour les seuls travaux de l'esprit et de la religion, les y prédisposaient. La communauté chrétienne devint janséniste.

La chartreuse de Bourgfontaine était toute proche, à l'orée de la forêt Villers-Cotterêts. Les habitants avaient encore présents à l'esprit les « cruels meurtres et inhumanités » commis en 1567-68, par les huguenots, le pillage des trésors des chapelles, la dispersion sacrilège des cendres du cœur de Philippe VI de Valois, conservées dans un monument de la chartreuse. Ils compatirent aux malheurs des religieux. Aussi quand les jésuites exploitèrent le << roman diabolique » de Bourgfontaine, pour le présenter comme une conjuration contre la religion catholique et romaine, ils n'hésitèrent pas à donner asile aux persécutés de Port-Royal.

C'est ainsi que prirent naissance les premiers rapports de la Ferté-Milon et de Port-Royal. En 1638, c'est Lancelot qui vint loger chez le père de l'un de ses élèves. M. Vitart, grand-oncle de Racine, suivi bientôt de MM. de Séricourt et Le Maître. Sainte-Beuve nous dit avec quel respect les solitaires proscrits furent accueillis. Nous savons aussi par Louis Racine, que durant la seconde dispersion en 1652, l'un d'entre eux, M. Le Maître, vint encore s'y réfugier. Il est cependant douteux, comme certains auteurs l'ont prétendu, qu'il aurait alors trouvé asile à l'abbaye

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