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elle accepte le rôle le plus laborieux dans la fonction plus divine qu'humaine de procréer et d'élever des hommes (1). Abrogeant toutes les concessions que la loi révélée elle-même avait faites à la dureté du cœur de l'homme, il dit à celui-ci Tu es libre de commencer ici-bas la vie des cieux, où le mariage est inconnu; mais si tu veux une femme, tu n'en auras qu'une; tu ne feras qu'un cœur et qu'une chair avec elle; tu l'aimeras comme j'aime mon Eglise, pour laquelle je m'immole (2). Malheur à toi si, détournant d'elle tes regards, tu les portes sur une autre ! le désir seul te rendrait adultère (3); et les adultères ne peuvent trouver place dans mon royaume (4).

Ne voyez-vous déjà pas là le principe d'une révolution radicale dans les mœurs naturelles des hommes ?

D. Oui; mais pour faire entrer ce principe dans le cœur des hommes, quelle difficulté !

R. La difficulté est telle, que celui qui l'a vaincue et a popularisé ces principes est évidemment plus qu'un homme. Mais comment Jésus-Christ a-t-il élevé le cœur des hommes à la hauteur des sacrifices nécessaires pour embrasser une loi si parfaite? - Il a déchiré le nuage qui couvrait leur avenir, et leur a montré le royaume préparé par le Père céleste dès l'origine du monde.

Et qu'est-ce que ce royaume? Ce sont les cieux des cieux, dont les millions de mondes resplendissant dans l'espace ne sont que le péristyle. C'est l'éternelle cité où les maux de l'âme et du corps ne trouveront plus de place, où les biens ne connaîtront plus de mesure, où la lumière sera sans obscurité, l'ivresse de la volupté sans intermittence (5). C'est l'intime société, la possession, la jouissance du Générateur des êtres, de celui à qui l'univers, avec

(1) Prem. ép. à Tim., II, 15.

(2) Ép. aux Éphés., V, 25. (3) Saint Matthieu, V, 28.

(4) Prem. ép. aux Corinth., VI, 9, 10.

(5) Ps. XXXV, 9, 10.

toutes les beautés qu'il renferme, n'a coûté qu'une parole. C'est le Dieu-charité qui, pour accomplir l'œuvre et les promesses du Verbe fait chair, et nous rendre les consorts de la nature divine (1), transformera notre corps de boue en un soleil de lumière et de vie incorruptible, initiera notre âme à tous les mystères de la science divine, investira notre volonté d'une puissance sans bornes, nous rendra, en un mot, les héritiers de ses grandeurs et les cohéritiers de Jésus-Christ (2). Au-dessous de ce royaume où Dieu déploie les trésors infinis de son amour et de sa puissance pour la glorification et le bonheur de ses enfants, Jésus-Christ nous fait voir le royaume des douleurs sans consolation, des ignominies et des tourments sans fin, réservé aux contempteurs de la loi de justice et de charité.

Je vous prie d'observer que ce double avenir sur lequel s'appuie l'Évangile pour arracher les hommes à leurs penchants égoïstes ne surpasse pas seulement en grandeur et en motifs de certitude les croyances des peuples infidèles touchant le sort éternel des bons et des méchants. Il embrasse, de plus, l'universalité des individus humains, et offre une réparation complète et terrible des injustices, des désordres et de toutes les inégalités qui nous choquent dans la vie présente; ce que les théologies humaines n'ont jamais osé faire. Elles ont toujours sauvé les privilégiés de ce monde, perdu ceux qu'il méprise et déshérite. Leur paradis et leur enfer sont la continuation de l'ordre social établi ici-bas par d'inexorables divinités. Le paradis de Mahomet exclut les femmes, vil troupeau que le sale prophète remplace par les houris. Le paradis des Hindous ne veut ni femmes, ni parias, ni artisans, ni laboureurs, ni négociants; à peine admet-il la noble caste des rois et des militaires.

Que trouvons-nous dans le monde souterrain où les

(1) Saint Pierre, Deux. Ép., I, 4.

(2) Saint Paul, Ép. aux Rom., VIII, 17.

poëtes de la Grèce et de l'Italie faisaient descendre ces restes fantastiques des défunts, qu'ils appelaient MANES? Nous voyons, d'abord, des rives inhospitalières où se pressent et se lamentent les enfants morts avant d'avoir goûté la vie, et ces masses d'àmes vulgaires dont la vie obscure n'a rien qui fixe l'attention des dieux. Ici est le Tartare avec ses prisons et ses cachots, assez semblables aux souterrains infects où les maitres renfermaient leurs esclaves, aux amphithéâtres où ils s'amusaient à les faire déchiqueter. Plus loin est l'Élysée, où les sages, les héros, les princes, leurs favoris, quiconque a fait de grandes choses, jouissent de la félicité suprême; félicité néanmoins inférieure à celle des dieux, de toute la distance qui sépare l'Olympe de l'Élysée; félicité si froide, que les poëtes ont eu le bon sens de faire couler près de là les eaux consolantes du Léthé, où les âmes courent boire l'oubli de leur campagne sous terre pour revenir à la belle lumière du soleil. En un mot, les idées païennes sur la vie future étaient éminemment propres à passionner les âmes pour les biens de ce monde. L'Olympe, l'Élysée et la terre redisaient à tous : Malheur aux petits et aux faibles!

Mais le ciel des chrétiens est ouvert à tous, et, avant tous, à ceux qui ont porté ici-bas avec amour, du moins avec résignation, le poids de la pauvreté, de l'abjection, du mépris, d'une vie laborieuse et obscure. Là les derniers seront les premiers, et les premiers seront les derniers. Jésus-Christ désigne d'avance les indigents comme nos introducteurs dans les éternels tabernacles, et comme nos meilleurs avocats au tribunal où les bouches les plus éloquentes resteront muettes (1). Bienheureux les pauvres d'esprit, bienheureux ceux qui sont dans les larmes, ceux qui souffrent persécution, etc., car le royaume des cieux, avec ses trésors et ses joies, est à eux! La charité, l'amour de Dieu par-dessus tout, et des hommes comme de nous

(1) Saint Luc, XVI, 9.

mêmes; telle est la robe nuptiale qui donne entrée aux noces de l'Agneau, au banquet et aux fêtes qui dureront autant que Dieu. Qui ne l'aura pas sera jeté dans les tènèbres extérieures, où il n'y aura que pleurs et grincements de dents (1).

L'enfer, le terrible enfer nous menace tous, ceux-là encore plus que les autres à qui la sagesse éternelle dit : Prêtez l'oreille, vous qui gouvernez les peuples et vous enorgueillissez de la multitude des nations... Un jugement rigoureux attend ceux qui commandent. La miséricorde sera pour le petit, mais les puissants seront puissamment tourmentés; car le Seigneur de tous n'épargnera personne et ne craindra la grandeur d'aucun, attendu qu'il a fait le petit et le grand et qu'il prend également soin de tous (2). Et pour être enseveli à jamais dans le feu qui ne s'éteint pas, il n'est nullement nécessaire d'avoir, comme les damnés dé la fable, dérobé le feu du ciel ou tenté l'enlèvement d'une déesse (Prométhée, Thésée); il suffit, nous dit Jésus-Christ, d'avoir vécu, comme le mauvais riche, dans les recherches du luxe et dans l'insensibilité pour les malheureux (3).

Voilà les convictions qu'il fallait implanter fortement dans les âmes pour y opérer l'étrange révolution que voici : - A l'homme barbare qui s'adorait lui-même et sacrifiait au culte de ses passions les sueurs et le sang de ses semblables, le christianisme a substitué l'homme civilisé et civilisateur qui, n'adorant que Dieu, et réduisant son corps en servitude, consacre à la charité ce qu'il refuse à ses propres convoitises, et ne voit dans les dons de la nature et de la fortune qu'un moyen de procurer la gloire de Dieu et le bien de ses frères.

Croyez-le bien, sans cette foi vive et inébranlable à l'adoption des hommes par Jésus-Christ et à l'inanité des biens et des maux de cette vie, comparés aux biens et aux

(1) Saint Matthieu, XXIII, 12, 13.

(2) Sagesse, VI, 3.8.

(3) Saint Luc, XVI, 19-31.

maux qui nous attendent au delà; sans cette foi, dis-je, l'homme ne sort pas du culte égoïste de sa personne; il reste ce que Plaute l'a défini: Un loup pour ses semblables (1), et sa civilisation n'est qu'un raffinement de barbarie.

D. La foi à l'avenir que nous prêche l'Évangile est sans doute un des puissants leviers de la civilisation; mais, si l'on n'employait que celui-là, n'en résulterait-il point cette froideur, cette indifférence pour les intérêts temporels qu'on reproche avec quelque fondement, ce semble, aux nations trop croyantes?

R. Je ne vous demanderai pas quels sont, en dehors des données de la foi chrétienne', ces leviers capables, selon vous, d'arracher les hommes à l'adoration d'eux-mêmes. J'examinerai ailleurs le reproche adressé aux nations trop croyantes. Je me bornerai, pour le moment, à mettre en lumière ce fait historique : C'est aux générations les plus ardentes par leur foi à l'avenir chrétien et par le mépris du siècle présent, que l'univers doit les travaux les plus héroïques, les sculs qui honorent el consolent de tout point l'humanité.

Ce sera la matière du chapitre suivant.

CHAPITRE IV.

Par quel prodige Jésus-Christ a ruiné la barbarie dans les institutions sociales, et relevé avec éclat tout ce qu'elle avait abaissé.

D. Quel est ce prodige?

R. C'est le choix qu'a fait Jésus-Christ de ceux qui s'appelaient le rebut et les balayures du monde (2), pour déblayer le monde d'un océan d'immondices et y élever une société vraiment nouvelle.

(1) Lupus est homini homo, non homo. In Asin. (2) Prem. Ép. aux Corinth., IV, 13.

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