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même l'idéal de la politique divine appliqué à la terre est de comprendre, d'aimer et de réaliser le bien. Trois termes égaux et inséparables.

Sous sa forme abstraite et avec son bagage de paradoxes usés ou d'idées devenues vulgaires, le livre de M. Enfantin a fait peu de bruit. Il faut plus d'invention et plus de justesse pour remuer le monde de la science; il faut aborder les questions avec une tout autre netteté pour remuer le monde de la pratique. Nous aurions nous-même négligé de parler de ce nouvel appel à l'attention publique, si deux idées en honneur dans un monde qui n'est pas du tout saint-simonien n'avaient trouvé là leur expression fort explicite et fort crue. La première est que le spirituel, sous sa forme religieuse et organisé en théocratie, est seul appelé légitimement à gouverner le monde et peut seul le gouverner avec efficacité. C'est là une idée du passé. Le spirituel gouverne ou doit gouverner, oui; c'est-àdire que l'esprit doit de plus en plus faire à son image le monde des faits et l'organiser suivant un modèle supérieur d'ordre et de justice. Mais l'idée maitresse, ce n'est plus l'idée religieuse, c'est l'idée morale, ce n'est plus le système des récompenses et de la pénalité divines, c'est l'idée du droit qui a son origine en Dieu et sa manifestation parfaitement claire et visible dans l'homme. L'idée religieuse ne perd pas son empire sur les âmes individuellement, mais elle doit perdre la prétention d'organiser l'Etat. L'État n'a rien au-dessus de lui, si ce n'est la pensée libre qui le constitue et qui le juge. En vain M. Enfantin, qui se fait l'auxiliaire de tant de prétentions non éteintes, évoque-t-il pour rétablir et pour consacrer divinement la domination du temporel par le spirituel une phrase célèbre de l'Évangile qu'il dit rendre à son véritable sens altéré, selon lui. En vain soutient-il que le Christ a dit:« Mon royaume n'est pas maintenant de ce monde » et montre-t-il avec triomphe le vuvè des éditions grecques et le nunc autem des éditions latines. Outre qu'il est possible de lui répondre que le mot peut n'avoir qu'une valeur purement explétive et que maintenant est pris, ici comme souvent, pour le temps par opposition à l'éternité, eùt-il vingt fois raison dans son explication, qu'elle ne changerait absolument rien ni au sens général de l'Évangile, ni à la nature des choses. L'Évangile ne prescrit aucune forme de gouvernement, et maintient la distinction de Dieu et de César; la société moderne ne se laissera pas ressaisir par un pouvoir qui a épuisé tout le bien et tout le mal qu'il contenait en lui. Nous ne sommes plus au temps où on agitait le monde avec un texte. En voilà assez pour ne pas être effrayé par le nunc autem de M. Enfantin.

On comprend aisément qu'un génie aussi religieux que M. Enfantin ne peut avoir que des paroles de réprobation contre le XVIIIe siècle. C'est là la seconde proposition qui nous a choqués dans son livre. Nous ne sommes certainement pas suspects de partialité envers l'époque qui encourt les foudres de M. Enfantin. On sait avec quelle vigueur la philosophie contemporaine a combattu sa métaphysique et la morale qui en est la conséquence: et pourtant nous n'avons pu lire sans un fàcheux étonnement les lignes si dures que lui inspire ce temps d'ardentes luttes dont le but, ne l'oublions pas, fut, au milieu de bien des injustices et des écarts, le triomphe de la liberté intellectuelle et de l'égalité civile. M. Enfantin se contente de dire que Voltaire et d'Alembert préparaient un avenir de guillotine. Voilà sa formule. philosophique.

Ces affirmations légères et tranchantes, ces jugements arriérés ou téméraires rendent peu redoutable à nos yeux, nous l'avouerons, l'avénement de cette domination théocratique que prophétise l'auteur de la Correspondance et qui doit réconcilier l'esprit et la matière ; ils nous rassurent pleine

ment contre ces coïncidences mystérieuses sur lesquelles M. Enfantin appelle l'attention, qui font naître en même temps et la même année M. de Maistre et Paul de Russie, Saint-Simon et l'empereur Alexandre, M. Enfantin et l'autocrate Nicolas.

A. JACQUES.

LA MORALE ET LE POUVOIR.

« Le gouvernement, au lieu d'exciter l'énergie. commune, relègue tristement chacun au fond de sa faiblesse individuelle. Nos pères n'ont pas connu cette profonde humiliation. Ils n'ont pas vu la corruption placée dans le droit public et donnée en spectacle à la jeunesse étonnée comme la leçon de l'âge mûr.»

ROYER-COLLARD.

Il y a plus de vingt-cinq ans que M. Royer-Collard adressait au pouvoir ce solennel reproche; le pouvoir n'y répondait que par le dédain, le peuple l'appuyait bientôt par une révolution.

Cette révolution, en portant aux affaires les hommes groupés la veille autour de l'austère penseur, semblait devoir suspendre pour l'avenir la vérité de ces paroles; elles exprimaient moins en effet le mal irremédiable d'un état social que le tort d'un pouvoir passager.

Il semblait que ceux qui s'étaient montrés si ardents à combattre pendant dix années les mauvaises pratiques du gouvernement n'auraient rien de plus à cœur que de rentrer dans ces voies de franchise et de loyauté politique, en dehors desquelles le gouvernement représentatif n'est qu'un vain mot. Une seule inquiétude paraissait légitime. Des esprits, généralement taxés de philosophique hauteur, tiendraient-ils assez de compte de ce qu'on est convenu d'appeler l'emploi nécessaire des petits moyens? Habitués à traiter surtout avec les idées, ne seraient-ils pas malhabiles à se plier au commerce moins sublime des intérêts et des hommes? Dans leur foi à la dignité de notre nature, à la toute-puissance du droit ne prétendraient-ils pas gouverner,

ment contre ces coïncidences mystérieuses sur lesquelles M. Enfantin appelle l'attention, qui font naître en même temps et la même année M. de Maistre et Paul de Russie, Saint-Simon et l'empereur Alexandre, M. Enfantin et l'autocrate Nicolas.

Et comment expliquer sans cela cette persistance, j'allais dire cet acharnement de l'opinion à revenir sans cesse à la charge, à répéter sans cesse les mêmes griefs qui paraissent peser sur elle comme autant de souvenirs importuns? Rien ne semble cette fois pouvoir la distraire, elle, facile à émouvoir, mais si mobile et si oublieuse. Les grandes questions ne manquent pas, à l'heure qu'il est, à l'attention du pays. La Suisse attaquée dans son droit de se donner une constitution de son choix, et, pour quelques excès partiels mensongèrement exagérés, traitée comme un repaire de brigands; l'Italie qui sert de texte à louer la modération des assassins de la Gallicie et de la Lombardie, voilà des préoccupations assez fortes et, on peut le dire, assez poignantes pour captiver seules la pensée de la France. Et pourtant, quelque vif que soit l'intérêt qu'elles excitent, en est-il une seule qui ne s'efface ou ne pâlisse devant l'effet profond, général que produit ce seul mot, la corruption?

Demandez à chaque citoyen ce qu'il pense sur les questions d'alliances, d'impôts, de libre-échange, d'élection, d'instruction publique; partout vous trouverez du plus ou du moins, une grande variété d'opinions, souvent une grande contradiction dans les esprits.

Demandez à tous indistinctement, aux plus indifférents, aux plus ignorants, aux plus sceptiques, s'ils croient que c'est le respect ou la défiance de l'opinion librement exprimée qui fait le fond de la politique actuelle; si les moyens qu'elle emploie pour s'y créer une majorité sont conformes ou contraires à la sincérité du gouvernement représentatif; s'ils ont cette droiture et cette noblesse qu'on voudrait trouver, qu'on a le droit d'exiger dans tous les actes du gouvernement d'un peuple libre: sur ce point, d'un bout de la France à l'autre, il n'y aura qu'une seule et même réponse.

C'est que les premières de ces questions sont politiques, c'est-à-dire complexes, difficiles, et que la seconde est morale, c'est-à-dire simple et parfaitement claire. Il suffit d'avoir des yeux pour voir et une conscience pour juger: sur celles-là, il y a la voix des radicaux, des légitimistes, des constitutionnels dynastiques, des conservateurs, et des nuances fort diverses de tous ces partis; sur celle-ci il n'y a qu'une voix, celle des honnêtes gens. Comment le nier, quand, à la chambre même, les ministres et la majorité sont d'accord pour reconnaître et pour condamner

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