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la

pital dont la valeur se mesure sur l'intérêt qu'il rapporte conviction désintéressée n'est qu'un luxe, et, pour peu qu'elle s'échappe avec quelque vivacité, c'est un luxe de mauvais goût. Quel effet attendre de la rencontre d'une disposition si sceptique avec l'esprit tout opposé de la jeunesse ?

La jeunesse, je l'ai dit, est l'âge de l'idéal; elle est aussi, et par conséquent, l'âge de la recherche intellectuelle. Il semble qu'il y ait comme un moment solennel où l'âme, jetée dans cette vie qu'elle n'a ni demandée ni faite, au milieu d'un univers qu'elle ignore, au sein d'un siècle et d'un pays qui vivent sur des idées et sur des conventions auxquelles elle n'a pas prêté son concours, se réveille, s'étonne, et s'inquiète sur elle-même, sur le monde, sur la société qui l'entoure; c'est alors qu'elle commence à s'interroger sur les problèmes les plus généraux, les plus redoutables de la philosophie, de la politique, de la science, ne reculant devant aucun, s'élançant en tous sens à l'aventure, attirée, retenue par l'obscurité et la difficulté même des questions qui toutes à la fois se dressent devant elle. Quelle jeunesse un peu forte ne se souvient de ces heures ardentes, dérobées aux travaux ou aux plaisirs, ainsi employées à agiter dans le secret ou avec quelques jeunes âmes également inquiètes tous ces comment et tous ces pourquoi de la création et du monde moral; heures troublées, agitées, pour quelques-uns même anxieuses, comme s'il s'agissait de résoudre, sous le coup de quelque menace, les questions posées par un sphynx mystérieux; heures pourtant où se mêle un charme puissant, celui de se sentir seul et comme abandonné sur la terre, et de sonder néanmoins dans son faible esprit et les fins de cette vie où l'on entre, et les lois de ce monde qui va vous saisir. Qu'il y ait des périls dans une telle disposition d'âme, qu'elle ouvre la voie à bien des chimères, et par suite à bien des déceptions, je ne le nierai pas; mais qui pourrait nier aussi et ce qu'elle a de grand, et les ménagements et le respect qu'elle mérite? Et pourtant, quel accueil lui fait le monde? Nous l'avons vu; nous avons vu comment il souffle sur cette flamme, comment il apaise cette inquiétude. Mais il nous reste encore une question plus solennelle à lui adresser comment l'esprit du siècle, par la voix de ses penseurs, y répond-il à son tour?

Je ne voudrais ni attaquer ni paraître attaquer ce qu'il y a peut-être à tout prendre de meilleur à l'époque où nous vivons.

Pourtant il faut aller jusqu'au bout. Eh bien! si elle n'y prend garde, si elle ne se fortifie dans ses croyances, si elle ne recourt, soit à l'étude, soit à ces instincts généreux et énergiques qui soutiennent la vie de l'esprit contre les défaillances, de ce côté encore la jeunesse est menacée. La vraie supériorité intellectuelle du XIXe siècle, qui l'ignore? c'est, en toutes choses, une grande, une universelle tolérance. Ai-je besoin de nommer le mal qui la serre de près, qui en est trop souvent le produit et parfois même l'origine? Ce mal, n'est-ce pas celui-là même que nous nous efforçons de combattre?

Voyez en effet la philosophie, la politique, l'histoire, la littérature même, à quoi s'attachent-elles? que font-elles? La philosophie convoque les doctrines à son tribunal, et de là, après avoir écouté chaque système, condamné chaque prétention exclusive, elle fait la part à toutes ces prétentions opposées, et des parties éparses d'une vérité partout plus ou moins altérée, elle cherche à composer un tout et plus vrai et plus vaste! Ce n'est pas à nous qu'il appartient de médire d'une pareille œuvre; nous la tenons pour utile et nécessaire. Nous tenons l'idée de la réaliser pour une des plus grandes idées du XIXe siècle. Mais quoi? les plus justes entreprises ont leurs écueils. Et celle-ci ne demande-t-elle pas des esprits hauts, des cœurs fermes et résolus? Êtes-vous au contraire une âme vacillante et peu sûre d'ellemême, prête à tourner à tout vent de doctrine? oh! alors prenez garde; ce n'est plus cette tolérance suprême qui croit et qui affirme, c'est la sceptique indifférence que vous risquez de recueillir sur le chemin. Il en est des voyageurs dans le pays des idées comme de ceux qui parcourent les contrées différentes dont se compose le globe. On en voit qui, pour quelques contradictions qu'ils ont remarquées, pour quelques expériences fâcheuses qu'ils ont faites, en reviennent pour jamais dégoûtés et incrédules; on en voit d'autres, au contraire, à l'intelligence plus élevée et plus sûre, qui savent aller au delà des apparences et pénétrer jusqu'au fond moral partout identique que recouvre l'humanité, et ceuxlà, ce n'est pas le doute, c'est la foi qu'ils en rapportent ! Que l'on condamne d'ailleurs cet esprit de la philosophie moderne ou qu'on l'approuve, la philosophie, encore une fois, n'est pas la seule qui se trouve par là attaquée ou glorifiée, c'est l'esprit de tout un siècle. Ne rien rejeter, tout concilier, n'est-ce pas le mot qu'ont écrit sur leurs drapeaux et la littérature qui cherche à

combiner toutes les poétiques, et l'histoire qui reconnaît la légitimité de tous les faits, et la politique qui se propose de fondre en une seule toutes les formes de gouvernement? N'accusons que la faiblesse de l'homme, s'il est des esprits si étroits qu'il faille, ce semble, que la vérité se fasse étroite elle-même pour y tenir à l'aise. Mais n'oublions pas que la conviction, même au prix de quelques erreurs, vaut mieux qu'une impartialité molle et lâche. Que ce soit la tâche de la jeunesse, d'associer l'étendue d'esprit qui ne repousse rien de ce qui est essentiellement bon,. essentiellement vrai, avec la foi qui s'y attache, sans fanatisme comme sans faiblesse.

Quant aux enseignements que la jeunesse actuelle reçoit du monde politique, je n'entreprends pas de les retracer en détail. Je serai compris si j'affirme seulement que ce qui caractérise le présent état de choses, ce n'est ni le désintéressement, ni la rigidité scrupuleuse en fait de moyens, ni le souci de la gloire, ni le souci du progrès; je serai compris si j'affirme que la haute politique de nos jours a travaillé beaucoup plus à diviser qu'à unir, et à affaiblir l'esprit public qu'à le nourrir et à l'étendre. Cette âme d'une grande nation, cette âme qui ne se sent qu'un même intérêt parce qu'elle ne se sent qu'une même vie, elle s'est fractionnée, amoindrie, je ne voudrais pas dire trop souvent abaissée. Un tel spectacle, je le demande, est-il fait pour développer dans la jeunesse actuelle l'esprit politique, cet esprit si actif et si énergique dans la jeunesse libérale de la restauration? Joignez à ces causes graves tout un ensemble de causes misérables. La société qui appelle un jeune homme à être électeur à vingt-cinq ans trouve déplacé, ou du moins n'approuve qu'avec une certaine ironie que ce même jeune homme manifeste une opinion. La société qui pendant huit ou dix ans lui a fait commenter de toutes les façons, par l'étude des langues antiques et l'histoire, ces grands mots de patrie et de liberté, se scandalise quand son élève, au lieu de s'occuper exclusivement de ses affaires personnelles, dirige un peu sa pensée sur les intérêts généraux. Que si par malheur ses lectures et ses réflexions le mènent à ne pas trouver admirable tout ce qui existe, et qui pis est, à ne pas s'en cacher, alors ce n'est plus seulement du blâme, c'est de la réprobation; fût-il du caractère le plus doux, de l'esprit le plus studieux, on dira du jeune opposant qu'il tourne mal. Le sage, aux yeux du monde, est celui qui n'a en tout, et notamment en

politique, qu'une demi-opinion, c'est-à-dire une opinion à moitié vraie, à moitié fausse; il n'a de supérieur dans l'estime que celui qui, après avoir commencé par ne pas approuver dans toutes ses parties le régime établi, passe du blâme à l'indulgence, de l'indulgence à l'apologie, et finit par prendre sa place parmi ces habiles qu'il avait d'abord condamnés.

Sans épuiser l'énumération des causes qui ouvrent une issue à l'indifférence actuelle, qu'il nous soit permis d'ajouter un mot sur l'influence de la littérature et d'une autre autorité qui de plus près encore, et à un titre plus sacré, s'adresse à l'âme des jeunes générations.

C'est la mode parmi certains théoriciens optimistes de vanter à tous propos la mission civilisatrice accomplie par les écrivains de nos jours. Il n'est pas un romancier ou un dramaturge qui, s'il vient à mourir, ne trouve un autre romancier ou dramaturge pour déplorer sur sa tombe l'œuvre de la civilisation si tristement interrompue. Perte irréparable, ajoutent ordinairement les panégyristes, s'il ne restait pour remplacer le mort des apôtres de rechange. Tous nos hommes de lettres se donnent à l'envi pour autant de saint Vincent de Paul qui dévoueraient leur vie à recueillir et à soigner les pauvres et les malades de l'intelligence. J'avoue que ce beau tableau me paraît bien fantastique. Ce qu'on peut dire de plus avantageux en faveur d'une littérature qui se propose bien moins la pureté que la puissance de l'émotion, c'est que jamais la société n'a été explorée avec plus d'énergie et peut-être de talent que de nos jours. Mais soit qu'elle mette en scène des situations ou des passions exceptionnelles, soit qu'elle étale les plaies les plus honteuses de la société moderne, soit qu'elle développe avec une finesse scrutatrice les misères individuelles ou les vices des différentes classes, la littérature actuelle peint pour peindre et raconte pour raconter; elle veut plaire et étonner, voilà tout. La morale ne serait entre ses mains qu'un moyen de plus d'obtenir l'effet et de raviver l'attention par la nouveauté, si ce moyen était aussi populaire et aussi facile à mettre en œuvre que ceux dont elle dispose. Ce qui s'en dégage le moins à présent, c'est un enseignement; si elle n'en eut jamais plus la prétention dans ses préfaces, elle en eut rarement moins la réalité dans ses livres; et, pour la jeunesse qui s'en nourrit, le résultat le plus net qu'elle en recueille est une certaine expérience précoce, fausse et amère, une vue anticipée du monde

qui tend à lui faire considérer les hommes comme autant de malades ou de scélérats hypocrites qui passent leur vie à cacher soigneusement leurs plaies et à dépister sur leur compte l'opinion ou la police. Admirable disposition pour se croire de moitié meilleur que le reste du genre humain quand on n'est qu'un habile égoïste!

A tant de causes qui laissent dépérir ou se flétrir les jeunes âmes, quel enseignement oppose le clergé catholique? Toujours féconde pour les bonnes œuvres, pour les œuvres de charité sociale, l'Église, dans ces derniers temps, a été beaucoup moins heureuse dans la sphère intellectuelle. Je ne veux pas dire assurément qu'elle ait cessé d'enseigner le dogme et la morale du christianisme et par là de remplir de vérité tant d'âmes qui seraient, sans elle, déshéritées de la parole de vie; mais il est certain qu'elle a mêlé à l'exposition du dogme le plus fàcheux alliage. Elle a mis un singulier et bien triste acharnement à établir l'impuissance radicale de l'esprit humain, le néant de ses travaux, l'erreur de ses efforts dans la double sphère de la spéculation et de la pratique. Son tort et son malheur ont été de donner à la chose éternelle par excellence, à la religion, un certain air de mode et de paradoxe. Ainsi, tandis qu'on pouvait compter pour beaucoup dans la renaissance religieuse la poésie, la musique, l'architecture, toutes ces raisons d'admirer plutôt que de croire si éloquemment mises en lumière par l'auteur du Génie du christianisme, elle a, quant aux directions générales et à la démonstration du dogme, quitté la route large des Bossuet, des Fénelon, des Fleury, pour s'attacher à suivre l'étroit sentier de de Maistre et de l'ancien abbé de Lamennais. Elle a cherché les curiosités, les antiquités; elle s'est reprise d'amour pour les vieilles légendes du moyen âge et pour une foule de petites pratiques évoquées de la nuit des temps; elle a eu son romantisme et son socialisme, son histoire à elle, sa philosophie à elle, même son histoire naturelle, qui n'étaient bien entendu ni l'histoire naturelle, ni la philosophie, ni l'histoire telles que les ont faites trois siècles de travaux et de découvertes laïques; elle a formé un parti dans la science, elle a formé un parti dans l'État. Contrairement à sa vraie nature, elle a plus critiqué que dogmatisé, plus nié qu'enseigné. Je crois sincèrement que tel n'était pas son dessein; mais en contestant la possibilité de démontrer par la raison seule, comme l'ont fait

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