Obrazy na stronie
PDF
ePub

l'alphabet grec, que le c ne représente le double sigma, et il avoit très bien corrigé Odyssée, comme on peut le voir par l'errata des deux tirages; les quatre feuilles ou demi-feuilles, signées L-M-N-O, lui ayant été soumises à leur tour, il crut certainement devoir revenir sur cette faute, puisqu'elle est rectifiée jusquà la fin, dans le fragment, depuis la signature P, et, ce qui est beaucoup plus remarquable, dans la seconde partie de l'ouvrage qui ne fait pas partie du fragment, de la signature A jusqu'à la signature E, circonstance' singulière et caractéristique qui prouve invinciblement la continuation de l'impression sous les mêmes presses. A la signature E, le compositeur ignorant reprit sa mauvaise habitude, et il y persista dès lors sans avertissement et sans contradiction, parce que Fénelon, justement effrayé, ne se mêloit plus de la publication de son livre, et avoit même cessé de correspondre avec son libraire. Il laissoit tout simplement imprimer, nonobstant prohibition; mais il corrigeoit d'autant moins, que les négligences et les infidélités du typographe pouvoient un jour lui servir d'excuse.

Que Fénelon, chargé de l'éducation d'un jeune prince destiné à devenir roi, ait pensé à renfermer tout un système d'enseignement moral et politique dans le cadre agréablé d'un roman, il n'y a rien de plus facile à comprendre. Que Fénelon ait fait à dessein de ce roman la satire rétrospective du règne d'un vieux roi, chargé d'années et de gloire, et dont il avoit récemment obtenu les marques de la confiance la plus signalée, il n'y a rien d'aussi absurde; mais il est de la nature de l'homme très perfectionné de croire à l'absurde. Cette idée impossible fut donc admise avec empressement par la ville et surtout par la cour. Le privilége donné à Barbin fut retiré, le fragment supprimé, et l'édition arrêtée à la page 208. Cette prohibition fut-elle exécutée avec beaucoup de rigueur? voilà ce dont il est permis de douter. Fénelon s'y soumit certainement, mais la veuve Barbin, qui étoit devenue propriétaire d'une édition du livre, et qui en attendoit un grand bénéfice, se montra plus récalcitrante. Les Aventures de Télémaque continuèrent à paroître, sans nom de lieu, sans nom d'imprimeur, sans vignettes, et surtout sans pri

vilége, mais si conformes en toutes leurs parties, de papier, de' caractères et de justification, qu'il n'y a pas moyen d'en contester l'identité typographique. C'est là l'édition dont il est question ici.

Elle fut reproduite avec tant de rapidité par Moëtjens et par divers autres imprimeurs, qu'il n'est pas surprenant que cette édition originale eut promptement disparu parmi les contrefaçons. Je ne suis pas éloigné de croire que la veuve Barbin se prêta elle-même aux combinaisons qui pouvoient faciliter l'exécution et le débit de ces éditions subreptices. J'ai du moins vu quelques lambeaux d'une prétendue édition hollandoise imprimée sous le nom de de Kondt, et datée de 1700, qui me paroît composée aux dépens de l'édition de Paris, ou réimprimée sous les mêmes presses. C'est ainsi que l'édition originale in-4° des Provinciales, reparut en Hollande sous la date de Cologne et le nom de Pierre de la Vallée. Si cette observation est fondée, le Télémaque princeps sera plus facile à reconstruire dans sa forme primitive que je ne l'ai pensé d'abord, et dans l'état même des choses, il ne faut peut-être que chercher avec un peu de patience et de foi pour en découvrir des exemplaires. Il n'y a guère de livres signalés comme uniques dans les catalogues, qui n'aient trouvé leurs ménechmes. Je me suis étendu sur celui-ci un peu plus que sur aucun autre, parce qu'il est capital dans son espèce, et que j'ai eu toute ma vie fort à cœur d'éveiller chez nous ce goût des classiques originaux de notre littérature, inutilement provoqué par Barbier et par Adry, et qui me paroît le plus digne objet d'étude auquel puisse se livrer un bibliophile françois.

XIII.

LE MÊME. Première partie. Paris, chez la veuve Claude Barbin, 1699, in-12, mar. violet, dentelle. (Koehler.)

C'est ici le fragment dont il vient d'être parlé, c'est-à-dire, selon moi, le tirage définitif de la première partie, au point où

l'impression de l'ouvrage fut arrêtée. Dans mon exemplaire, ce fragment porte six pouces de hauteur, sept à huit lignes de plus que l'exemplaire de l'édition complète qui a cependant des témoins. Cela provient, comme je l'ai dit, de ce qu'on mettoit sous les yeux de Fénelon différents modèles de tirage, et il est probable que c'est pour celui-ci qu'il s'étoit décidé, mais la prohibition ayant eu lieu au même moment, l'édition fut abandonnée au caprice de l'imprimeur. Ce fragment passe avec raison pour rare, et obtient un assez haut prix dans les ventes, mais il est incomparablement moins rare que les quatre autres parties.

[ocr errors]

XIV.

Le même ouvrage. Londres, Dodsley, à la Tête de Tully, en Pall-Mall, 1738, 2 vol. in-8, gr. papier fort de Hollande, portrait, fig., mar. rouge, compart. et dent. (Bradel aîné.)

Bel exemplaire d'une édition peu commune dont nous affectons de parler avec beaucoup de dédain, depuis que nous avons bien voulu accorder aussi au Télémaque des éditions de luxe. Nos bibliographies, nos catalogues et les réclames de nos journaux font foi qu'il n'y a rien à comparer en perfection à ces grandes éditions d'un format incommode à la main et impossible à la poche, imprimées sur un papier de coton hygrométrique et spongieux, et décorées du dixième ou douzième tirage de quelques images froides et maussades. C'est notre nec plus ultrà, notre to kalon, ce que tous les arts réunis ne surpasseront jamais. J'y consens de tout mon cœur, pourvu qu'on me permette de m'en tenir à ce pauvre Télémaque de Dodsley, dont le papier est ferme, élastique, sonore; dont les caractères sont nets . et se détachent en bonne encre sur un fond ami de l'œil; dont les estampes, réduites au format du livre dans une proportion bien entendue, par un burin vigoureux, rappellent les bonnes figures des éditions de Hollande, c'est-à-dire, du pays du monde où l'on a le mieux réussi, selon moi, à illustrer les livres. Il faut convenir en passant que le superbe papier de cette édition est

i.

fort sujet à des altérations très graves, et particulièrement à la rouille, et je suis porté à croire que c'est là la véritable cause de son discrédit très réel. Mon exemplaire est tout-à-fait exempt de ce défaut, mais sa fastueuse reliure est moins irréprochable aux yeux des amateurs exigeans, quoiqu'elle puisse passer pour un des chefs-d'œuvre de Bradel. C'est à Bradel que commence, en reliure, cette effroyable époque de décadence universelle dont l'histoire se souviendra sous quelques autres rapports, 1789.

XV.

MOULINET (Nicolas), sieur du Parc (Sorel). La vraye histoire comique de Francion, soigneusement reueue et corrigée par Nathanaël Duez, maistre de langues. Leyde et Rotterdam, chez les Hackes, 1668, 2 vol. in-12, fig.; mar. rouge, dos et coins ornés. (Niédrée.)

Charmant exemplaire d'un Elzevier véritable, qui est des moins communs et qui n'est pas des moins jolis. Les figures en sont fort bonnes, et tout annonce que cette petite édition d'un livre célèbre alors, a été soignée avec une prédilection particulière. Le nom de Nathanaël Duez, réviseur et correcteur du texte, n'est pas toutefois une excellente garantie. Ce bon homme est auteur d'un livre intitulé: Epitome dictionum quarumdam æquivocarum et ambiguarum in lingua gallica. Lugd.-Batav., Elzevir, 1651, pet. in-12, qui est certainement un des livres les plus rares de la collection, et on peut m'en croire sur ce point, car je n'ai plus le bonheur de le posséder. Ce singulier travail, le plus ancien que je connoisse sur nos homonymes françois, demande, par-dessus toutes choses, une exquise délicatesse d'oreille qui manquoit absolument à notre philologue germain, et dont l'absence produit souvent les plus plaisantes bévues. C'est ainsi qu'il donne pour homonyme à Boudin un autre substantif qui a un p pour initiale, et que les honnêtes gens n'écrivent même que par son initiale, quand ils sont forcés à l'écrire.

Je reviens à Sorel, dont le nom est en littérature d'une autre

autorité que celui de Duez. Le succès incontestable du roman de Francion est le fait d'un siècle encore naïf, ou bien moins raffiné que le nôtre. Dans ce temps-là, on toléroit volontiers les licences badines et plus ou moins grossières de la parole, qui nous révoltent aujourd'hui. On n'auroit pas toléré le paradoxe effronté qui peint le crime de couleurs séduisantes, qui le protége et qui l'enseigne. Maintenant tout est permis à l'idée, mais nous sommes implacables pour le mot. La réimpression de Francion, qui est d'ailleurs une peinture assez vraie des mœurs de l'époque où il a été écrit, donneroit des nausées à un sergent de police, et des velléités de réquisitoire à un procureur du roi. Je me garderai donc bien de le recommander aux étudians en vacances et aux nobles châtelaines en villégiature; mais je le recommande hardiment aux linguistes. Il n'existe pas en françois un plus curieux trésor de gallicismes familiers, de rares proverbes, et de bonnes phraséologies populaires.

[merged small][ocr errors]
« PoprzedniaDalej »