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tout bas qu'ils auroient peut-être quelque raison de s'en offenser.

Veuillez, je vous prie, monsieur l'Editeur, insérer cette lettre et ma traduction dans votre Bulletin, si vous les jugez dignes, l'une et l'autre, de cet honneur, et recevoir l'assurance de mon sincère et affectueux dévouement.

Le docteur ALOYSIUS BUCHNARR, d'Eldersheim.

Paris. ce 18 juillet 1843.

Lettre de Polichinelle à son fils.

NOUVELLE MANIÈRE D'ÉTUDIER........... EN SE FAISANT LA BARBE

« Vous m'écrivez, mon cher enfant, que vous êtes décidé à consacrer une partie de votre temps à l'étude et à la lecture. J'approuve complètement cette sage résolution; mais il faut que je vous prévienne qu'il existe deux classes de lecteurs : ceux qui donnent au livre qu'ils lisent tout le soin, toute l'attention dont ils sont capables, et ceux, au contraire, qui laissent à l'ouvrage qu'ils parcourent, le soin de se rendre maître de leur esprit ou de leur pensée. Il est bon que vous sachiez, à l'avance, à laquelle de ces deux classes de lecteurs vous voulez appartenir. Comme votre père, j'ai sans doute le droit de vous donner quelques conseils, et si vous m'écoutez, vous acquérrez sans peine une habitude suffisante du jargon de l'homme de lettres, en vous préservant, avec le soin le plus attentif, de toute apparence de pédantisme, ridicule fort déplacé chez un homme du monde. Vous pouvez, sans sacrifier la plus petite partie du temps que vous devez à des occupations plus utiles, acquérir à peu de frais une assez grande connoissance des livres, pour être regardé comme un homme d'une profonde érudition, et, dans le monde où nous vivons, vous le saurez quelque jour par expérience, une belle apparence vaut au moins la réalité. Regardez autour de vous; comparez les fonctions et les hommes

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qui les occupent, je ne dis pas qui les remplissent, et vous me direz ensuite vous-même si je me trompe.

Vous faites votre barbe tous les jours. Eh bien! achetez de seconde main et au meilleur marché possible, un exemplaire du Commentaire de Blakstone, sur les lois d'Angleterre. Vous remarquerez que, dans la préface de cet excellent livre, l'auteur insiste avec raison sur la nécessité, pour un homme bien élevé, de connoître, au moins sommairement, l'ensemble des lois sous lesquelles il est appelé à vivre. Ainsi, mon cher fils, vous voudrez, j'en suis sûr, étudier un peu les lois de votre pays, et, si vous suivez mes avis, vous aborderez cette difficile étude dans la même disposition d'esprit que celle où vous seriez tout naturellement, si, pénétrant dans un riche et fertile verger, avec l'intention d'en dérober les plus beaux fruits, vous vouliez, au préalable, connoître tous les obstacles, tous les piéges plus ou moins dangereux qui pourroient vous gêner dans votre entreprise. Une fois cette connoissance acquise, vous pourriez, sans inconvénient et sans le moindre danger, prendre ici une belle pomme, là des prunes excellentes, remplir vos poches des fruits les plus beaux, et sortir de l'enclos sans le moindre risque, sans la moindre égratignure. Le monde, pour vous, doit être ce verger, protégé par des chausses-trapes, par des piéges de tout genre qui prennent ici le nom de lois; ainsi il vous suffira de connoître parfaitement, de ces lois, ce qu'elles ont oublié de prévoir, de manière à ce que vous puissiez passer aussi près d'elles que vous le voudrez sans craindre le moins du monde leurs prescriptions ou leurs atteintes. Soyez assez habile pour vous glisser ainsi au milieu de cet immense labyrinthe, et personne au monde ne se croira, ne sera du moins en droit de vous adresser le plus léger reproche. Vous n'avez jamais été pris au piége, la loi n'a jamais fait feu sur vous; vous avez par conséquent le droit de poursuivre, d'attaquer, comme un calomniateur, celui qui oseroit vous regarder d'une manière équivoque, en prononçant tout bas le plus petit mot injurieux pour votre probité.

«Mais j'en reviens à ma proposition: vous vous faites la barbe une fois par jour. Eh bien, ayez soin, chaque fois, de déchirer

une feuille du commentaire de Blakstone, et en essuyant votre rasoir sur cette feuille, lisez-la avec attention. Vous gagnerez ainsi beaucoup de temps, et si vous êtes fidèle à cette salutaire habitude, vous parviendrez sans peine et successivement à connoître parfaitement tout l'ouvrage. Quelquefois même vous repassez votre barbe deux ou trois fois; dans ce cas, pour essuyer votre rasoir, vous parcourez, vous étudiez au moins deux ou trois pages. J'ai beaucoup connu un lord chancelier d'Angleterre qui étoit si économe de son temps, qu'il n'employa jamais d'autre méthode pour connoître toutes les lois et tous les statuts. Dieu lui avoit donné la plus belle et la plus forte barbe des trois royaumes; tous les matins il se rasoit au moins trois fois, et chaque fois il apprenoit trois lois par cœur. Je lui ai entendu dire à lui-même que, comme jurisconsulte, il devoit toute sa réputation et tous ses succès à l'excellente habitude qu'il avoit de se raser de très près.

«Vous remarquerez au reste, mon cher enfant, que l'opération de se faire la barbe est éminemment favorable à l'étude. En ce moment, l'âme semble complètement étrangère à toutes les vanités du monde extérieur, et tout-à-fait repliée sur elle-même. Un de nos plus grands romanciers, le plus grand peut-être de tous nos romanciers, a dit quelque part que s'il lui arrivoit quelquefois de quitter son pupitre en laissant un couple amoureux dans l'embarras, son héros ou son héroïne en danger, après avoir fait de vains efforts pour les délivrer, il n'en alloit pas au lit moins gaîment et moins tranquillement, assuré qu'il étoit de retrouver le lendemain matin, en se faisant la barbe, l'incident heureux qu'il avoit vainement cherché et qui lui avoit échappé la veille. Ne pourrions-nous donc pas conclure de cette curieuse et véridique déclaration que les délicieux romans du grand écrivain de l'Ecosse sont à la fois le produit du rasoir et de la plume?......

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Après avoir ainsi, votre rasoir à la main, lu Blakstone tout entier, vous pourrez, de la même manière, lire l'histoire ancienne et l'histoire moderne. Vous en saurez sur les Mèdes, sur les Perses, sur les souverains d'Egypte qui firent bâtir les pyramides, sur la grande charte d'Angleterre et sur un grand

nombre d'autres faits tout aussi mystérieux, tout autant, après un mois de barbe, que si vous eussiez, pendant plus d'une année, médité profondément, la tête appuyée sur vos deux mains. Vous aurez appris par cœur un assez grand nombre de noms propres, et les noms sont tout ce qu'il faut pour un homme, s'il sait les citer à propos et avec assurance, comme s'il étoit parfaitement au courant de tous les événemens qu'ils rappellent. La vertu et la science, dit lord Chesterfield, ont, comme l'or, leur valeur intrinsèque; mais faute d'être polis, ils perdent presque tout leur éclat, et, dans plus d'une circonstance, le cuivre poli, aux yeux du plus grand nombre, a bien plus de mérite que l'or brut. Lord Chesterfield s'y connoissoit.

« Il y a encore, mon fils, un autre moyen d'acquérir la science et la sagesse qui peuvent se trouver dans les livres. Vous avez vu sans doute les annonces de ces nouveaux et respectables docteurs qui guérissent toutes les maladies par l'odorat. Avec eux, plus de potions, plus de médecines nauséabondes; ces nouveaux docteurs ne demandent plus aucune indication à l'ibis, cet oiseau merveilleux auquel, si l'histoire dit vrai, Esculape luimême emprunta une de ses plus salutaires prescriptions; avec eux, il suffit que le malade ait un, nez, ils répondent de sa guérison. C'est de la même manière, c'est par un procédé analogue que beaucoup de nos savants ont acquis la science qui les distingue, par le simple odorat : ils flairent les volumes, rien de plus. Vous prenez un livre, vous l'approchez de votre nez, vous aspirez vivement, et aussitôt, tout ce qu'il contient, histoire, politique, poésie, polémique religieuse et morale, tout ce qu'il contient, dis-je, s'échappe en molécules invisibles et va se loger dans votre cerveau. Une aussi agréable méthode d'enseignement n'est pas à dédaigner, tout le monde en conviendra.

S'il en étoit autrement, et s'il falloit étudier pour savoir, croyez-vous donc, mon cher enfant, que tant de gens eussent une bibliothèque? Pensez-vous que les trois quarts de ces gens achètent des livres pour les lire? Pas du tout. Il leur suffit d'avoir sur leurs tablettes un certain nombre de volumes; de ces volumes réunis se dégage un parfum d'érudition et d'es

prit qui pénètre peu à peu le cerveau de leur propriétaire et lui donne la science sans peine et, en quelque sorte, malgré lui. S'il en étoit autrement, pensez-vous que tant d'ânes à deux pieds voulussent dépenser tant d'argent pour de magnifiques reliures: non, mon ami, ils assemblent des livres et ils acquièrent la science, de la même manière qu'ils prennent le frais, en passant d'un appartement à l'autre.

«Je vous en ai ditassez, mon fils, et je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'ajouter à ces conseils la liste des ouvrages que vous aurez à lire. Je vous engagerai seulement, comme dernier avis et dans l'intérêt de votre bourse, à emprunter le plus de livres que vous pourrez, en ayant soin de choisir les plus beaux, car les plus beaux sont évidemment les plus utiles, et une fois en possession de ces beaux volumes, vous aurez soin de les garder sans les rendre, pour rester ainsi complètement maître de toutes les belles choses qu'ils contiennent. >

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