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pu être écrit que par le Taillevent de 1381. Ce livre a, sans aucun doute, été composé par un homme ayant une longue expérience de son art, et rien ne s'oppose à ce que Taillevent, écuyer de cuisine en 1381, fût déjà queux vers 1360. Une autre raison me porteroit encore à reporter au règne de Charles V l'époque de la composition du Viandier: c'est la tendance à écrire qui se manifesta alors, et qui résultoit sans doute des encouragemens donnés par ce grand roi à tous ceux qui étoient capables de composer des livres utiles dans tous les genres. Ainsi, laissant de côté les livres d'histoire, de théologie, d'astrologie, que Charles V réunit en si grand nombre pour son temps, il me paroît évident qu'il a voulu avoir des traités écrits par les gens les plus habiles de son siècle sur les arts les plus nécessaires à la vie. Il fit traduire le livre des Profits champêtres de Crescens, le Propriétaire des Choses, etc. Il fit écrire par un berger expérimenté, Jean de Brie, un petit Traité à l'usage des bergers, qui n'étoit pas seulement un précurseur de leur fameux calendrier, mais encore un recueil' utile de préceptes pour le gouvernement des troupeaux. N'y auroit-il pas lieu de croire que le Viandier, a de même été écrit par son ordre par celui de ses cuisiniers dont il apprécioit le plus l'habileté et l'expérience?

Je pense donc qu'on peut attribuer sans crainte le Viandier à notre Guillaume Tirel. Il est à regretter que les secrétaires de Charles V n'aient donné dans le registre du trésor des chartes qu'une mention de la donation à lui faite. S'ils avoient donné toute la charte, nous aurions su dans quelle rue demeuroit notre maître queux et ce quartier Saint Paul, déjà si plein des souvenirs du sage roi Charles V, et où elle étoit sans doute située, compteroit une rue de plus parmi celles dont le nom reporte au xive siècle la pensée de l'antiquaire qui les parcourt.

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Jusqu'ici Guillaume Tirel étoit le seul cuisinier de Charles V dont le nom eût passé à la postérité, encore n'étoit-il connu que sous le pseudonyme de Taillevent; il avoit cependant pour collègue, en 1362, un certain Girart Retel, avec lequel mes lecteurs seront peut-être bien aises de faire connoissance.

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Tirel étoit homme de lettres, Retel étoit homme d'action. Passionné pour son art et digne prédécesseur de Vatel, il regardoit comme un crime toute infraction au service de ses maîtres. Dans un mouvement d'impatience, il donna un coup de cuiller à un marmiton, et, celui-ci étant mort quelques jours après, Retel craignit d'avoir été l'auteur de sa mort. Le dauphin eut la bonté de le rassurer, et lui accorda, comme lieutenant du roi, des lettres de rémission qui donnent des détails assez curieux sur l'intérieur de la cuisine de Charles V, pour que je les donné ici presque textuellement.

« Girart Retel donc Keu (cuisinier) du lieutenant du roy et de sa très chère compaigne la duchesse de Normandie estant à Meleun sur Saine au service de la duchesse et faisant son office le juedi après la S. Barthélemy 1362 ordonna en la cuisine et commanda à Jehan Petit potagier de la duchesse qu'il fist et apparilliast pour le souper d'icelle et pour sa personne certaine viande et assez tost après, environ heure de souper, ledit Girart retourné en ladite cuisine trouva lad. viande esparce sur l'éstal de lad. cuisine et avecques l'ordure que l'en avoit ostée et vuidié des foiz josiers et autres menus drois des poulailles. Pour quoy ledit Girart sachant que l'en avoit accoustumé à servir la duchesse de semblable viande et qu'elle l'avoit bien chier et considérant qu'elle n'en povoit estre servie audit souper en blasma et reprint ledit Jehan lequel sans soy excuser suffisamment respondi fierement et tant que ledit Girart pour lesditz deffaut et response meutz (mu) de courroux et sans rancune ne malivolence (malveillance) qu'il eust par avant audit Jehan le feri, (frappa) d'une cuiller de bois sur le bras et tantost (aussitôt après) d'une des pièces d'icelle cuiller qui rompit en deux pièces feri, icelui Jehan autre foiz (une autrefois) en la joe: et saingná des dens sans plaie ne autre bleceure qui y apparust mais ledit jour Jehan but et menja avecques les autres familiers de la duchesse et le lendemain ala par la ville avec autres sans faire samblant qu'il eut mal à cause de ladite ferreure (coup) et par après ot(eut) fièvre ou atitre maladie en laquelle uns fusiciens (medecin) demourant à Meleun le visita et rapporta qu'il avoit une bosse ou apostume dedans le corps et une autre en la teste

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dont il mourut plusieurs jours après. En ce tems. plusieurs mouroient chacun jour en cette ville de bosses et d'apostumes par la volenté de Nostre Seigneur. Jehan Petit mourant dit au medecin et au confesseur qu'il ne demandoit riens de sa mort à Girart et qu'il ne mouroit pas par suite des coups qu'il en avoit reçus. Malgré cette declaration plusieurs maîtres de l'hostel du duc et de la duchesse firent des informations et il en resulta que Jehan étoit mort de maladie. Cependant pour calmer les craintes de Girart Retel le dauphin lui accorda en septembre 1362, étant à Paris, des lettres de remission (reg. 92, no 130) et c'est à la conscience timorée de ce confrère de Taillevent que nous devons d'être informés de ces curieux détails d'intérieur. Je regrette seulement de ne pas savoir quelle étoit cette viande si chère à madame la duchesse de Normandie : un autre plus heureux, le découvrira peut-être.

Avant de terminer cet article où j'ai tant parlé de cuisine, je veux détromper les gens qui croient que les cuisiniers n'ont d'importance politique que depuis l'introduction en France du gouvernement représentatif. On a vu que, Charles V faisoit acheter une maison à Taillevent; une autre fois, le 30 nov. 1361, il donna 50 fr. d'or, somme très considérable pour le temps, à un autre écuyer de cuisine; Jehan le Grenetier, pour ses bons et agréables services (reg. 90, no 57) (1). Enfin lorsqu'en 1418, Perrinet le Clerc ouvrit les portes de Paris à Jean-sans-Peur, il avoit parmi ses complices un escuier de cuisine du roi nommé Jean Dieuxpart qui eut pour récompense de sa trahison 400 livres par. de rente, savoir: 200 fr. assis en général sur les biens confisqués (30 mars 1421), et 200 sur les biens de Pierre le Gode et sur ceux du malheureux Philippe de Corbie, maître des requêtes décapité aux halles de Paris pour ce qu'il tenoit (dit une généalogie manuscrite de la maison de Corbie) le party du roy de France son maistre et souverain sei

gneur.

JÉRÔME PICHON.

(1) J'ai encore vu la mention d'un don, par le même prince, de deux cents francs d'or à un autre usage de cuisine; mais je n'ai pu retrouver la note que j'en ai prise.

DANS UNE BIBLIOTHÈQUE DE PROVINCE.

(SUITE.)

M. Delorme. - Voyage en Flandre.

XIX.

Images de Caen. - La Mandarinade. L'abbé de Saint-Martin.

Voici l'écrivain le plus excentrique, le plus bizarre, le plus divertissant, le seul qui puisse enlever à Catherinot ou à Bluet d'Arbères, comte de Permission, le sceptre de l'originalité. Ce personnage n'est rien moins que Michel de Saint-Martin, seigneur de la Mare du Désert, marquis de Miskou (en Canada), né à Saint-Lô, le 1er mars 1614, d'un père qui avoit fait sa fortune dans le négoce de l'Amérique, et avoit acheté des lettres de noblesse. Vain, laid, sot et ridicule, le jeune Saint-Martin devint le point de mire de tous les mystificateurs de son siècle.. Il s'établit à Caen, voyagea à Rome, dans les Pays-Bas et en Angleterre. Il rapporta du premier voyage le titre de protonotaire du Saint-Siége, et des derniers des relations écrites, dont une a été imprimée et l'autre annoncée.

Jamais homme n'afficha plus de prétentions avec moins de moyens de les justifier. Le costume grotesque qu'il avoit adopté ajoutoit encore à sa laideur. Sous le prétexte qu'il souffroit toujours du froid, il portoit sept chemises, sept paires de bas, et sept calottes qu'il recouvroit d'une perruque, et quelquefois d'un capuchon : il disoit que cette manière de s'envelopper la tête étoit un enseignement qu'il avoit reçu secrètement d'un grand médecin pour conserver sa mémoire et son bon sens. Ainsi couvert, il se blotissoit dans une de ces voitures appelées vinaigrettes, fourrée dé peaux en été comme en hiver, dont il se prétendoit l'inventeur, et se faisoit tirer par un valet. La nuit, il

couchoit sur un lit de briques échauffées par un fourneau constamment entretenu.

La vanité plutôt que la bienfaisance lui fit faire quelques établissemens utiles à Saint-Lô, sa ville natale, mais plutôt encore à Caen, sa résidence habituelle. Il y fonda deux prix annuels de poésie où les vainqueurs remportoient une plaque d'argent avec ses armes gravées en bosse, et un anneau d'or avec les mêmes armoiries en creux; et deux prix de musique, en l'honneur de sainte Cécile, qui consistoient en des flambeaux d'argent. De plus il orna de statues et de bas-reliefs les églises et les places principales de Caen.

Les plaisans de toutes les provinces, soit par plaisir, soit par curiosité, vinrent en foule visiter l'abbé de Saint-Martin, qui avoit tellement foi en son mérite, qu'il se croyoit l'objet de l'admiration générale. Cependant quand il se supposoit, par quelque maladresse des visiteurs, l'objet de la risée publique, il intentoit aux rieurs des procès qui achevèrent de le couvrir de ridicule. Des mystificateurs profitèrent de l'arrivée (réelle ou inventée à plaisir) des ambassadeurs du roi de Siam en France, pour persuader à l'abbé de Saint-Martin qu'ils étoient envoyés par ce prince pour l'engager à se rendre dans ses états afin d'y remplir le poste éminent de grand.mandarin. Le Seigneur de la Mare du désert les crut; il traita magnifiquement les ambassadeurs et fut reçu mandarin avec les cérémonies bouffonnes imaginées par Molière dans le Bourgeois gentilhomme: des écrivains on même avancé que l'auteur comique a puisé le fond de son sujet dans les aventures burlesques et réelles de l'abbé de Saint-Martin; mais il est de fait que le Bourgeois gentilhomme fut représenté en 1676, quelques années avant la prómotion du protonotaire apostolique au grade de grand mandarin. Ces cérémonies burlesques ont été décrites dans La Mandarinade, ou histoire du mandarinat de M. l'abbé de Saint-Martin, etc., etc. A la Haye, chez P. Paupie, sur le Spuy, M. DCC. XXXVIII, in-12 de 9 fol., 33 p. et 116 pp., précédé de son portrait en caricature. Le pauvre abbé était alors dans sa soixante-douzième année, et il mourut intimement persuadé de la possession de sa haute dignité, le 14 novembre 1687. On l'inhuma dans une

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