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A Milan, 1700, Aux dépens de l'Auteur. Chez Marc Antoine Pandolfe Malatesta, imprimeur du roi.

In-12, de 264 p., plus un frontispice gravé et imprimé en vert, avec quelques vignettes imprimées dans le texte, et le portrait de René Milleran.

Je n'entreprendrai certainement pas d'analyser avec détail un livre qui ne comporte nullement ce genre de travail, puisqu'il n'offre autre chose qu'un mélange hétérogène de matières diverses, ainsi que le titre peut le faire pressentir. Je dirai seulement que l'ouvrage qui figure le premier au frontispice, savoir: le Discours sur l'humilité de Jésus-Christ et de celle de S. Charles Borromée n'occupe que la moindre place du volume qui se trouve presque totalement rempli par le Miroir qui ne flate point, ce qui n'empêche pas que René Milleran n'ait trouvé le moyen de glisser au milieu de tout cela une foule de vers à sa louange, un Avis pour servir de plus grand éloge à la poésie et aux bons poetes, qui occupe près de 18 pages; un second Avis très important sur les diverses éditions de ses ouvrages; un Remede contre la peur de la mort, et mille autres pièces du même genre, le tout entremêlé de notes, de lazzis, de proverbes, de quolibets, qui font certainement de ce livre l'ensemble le plus bizarre, pour ne pas dire, le plus extravagant qui se puisse jamais voir. Il nous seroit certainement très facile de justifier cette assertion par de nombreuses citations; mais comme nous ne voulons ni épuiser une pareille source, ni fatiguer l'attention de nos lecteurs, nous nous contenterons de transcrire une note qui n'est pas la moins curieuse du livre et qui fera connoître à la fois le genre d'esprit et le style de l'auteur.

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René Milleran a pris soin, dans le texte même de son livre, de distinguer par des signes particuliers les expressions qui lui paroissoient dignes d'une remarque spéciale, telles que les locutions populaires, les proverbes, les phrases équivoques, métapho̟riques, etc., et il expose ainsi les motifs qui l'ont déterminé à choisir de préférence certains signes et à les appliquer comme il l'a fait, dans cette note qui se trouve à la page 260 et que je transcris littéralement :

Explicacion sinbolique des quatre marques ci-dessus.

Je ne me sers de la fleur de lis pour marquer les racines ou verbes

de stile bas et burlesque, qu'à cause que le menu peuple qui s'en sert plus souvent que qui que ce soit, est aussi plus sujet à s'en faire marquer sur les épaules pour les mechantes accions pareilles à leur stile bas et renpant.

Je ne me sers de l'étoile pour marquer les vieilles racines, ou verbes anciens, et de la loi dont les honetes gens peuvent se servir en tems et lieu, qu'à cauze qu'il n'y a point de marque ou de figure plus anciene dans le monde dont on puise mieux se servir par allusion.

Je ne me sers de la main pour marquer les racines ou verbes figurés ou métaforiques, que parce que les cinq doigts qui conposent la main sont ausi. diferens, qu'une frase figurée peut avoir de diferentes sinificacions, selon les endrois, où elle est employée.

+ Enfin je ne me sers de la longue croix pour marquer les verbes purement François, qu'à cause de la grande dificulté qu'il y a de s'en bien servir, comme les plus dificiles de chaque langue, par allusion aux souffrances et aux peines marquées par la Croix de Jesus-Chrit, d'où on dit que tout ce que nous soufrons, est autant de Croix, sans les quelles on ne peut venir à bout de rien, ni même opérer son salut.

Cette courte citation suffit certainement pour faire pressentir tout ce que ce livre doit contenir de neuf ou plutôt de bizarre, et nous n'ajouterons rien de plus. Nous dirons toutefois que si René Milleran est quelque peu novateur en fait de style et toutà-fait révolutionnaire en fait d'orthographe, il est resté du moins rigoureusement orthodoxe en fait de morale et de religion. Son ouvrage est tout-à-fait irréprochable sous ce rapport, et il faut presque lui en savoir gré; tant il est rare qu'un novateur quelconque, même en matière peu importante, sache, à tout autre égard, se maintenir dans les limites du vrai et du juste.

Cet ouvrage de René Milleran, moins connu et plus rare encore, à ce qu'il paroît, que ses deux Grammaires et que ses Lettres, se recommande donc doublement à la curiosité des amateurs. Il est certainement un des livres les plus singuliers que l'ôn connoisse, et il est en outre assez difficile à rencontrer pour que l'on puisse attacher un certain prix à sa possession. C'est là sans doute un bien faible mérite aux yeux de quelques personnes; mais pour un vrai bibliophile ce sont des titres qu'il apprécie et qui peuvent au besoin remplacer tous les autres. G. DUPLESSIS.

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DE TAILLEVENT

ET DE QUELQUES AUTRES CUISINIERS DU XIVe SIÈCLE.

C'est vers le milieu du siècle dernier qu'on a commencé à s'occuper de la vie privée de nos pères. Le marquis de Paulmy, en concevant l'idée d'un grand ouvrage sur ce sujet et en commençant son exécution, avoit montré que les collecteurs de beaux livres pouvoient, en dépit du préjugé commun, qui, depuis La Bruyère, les fait considérer par le vulgaire comme de ridicules maniaques, posséder le contenu de leurs livres aussi bien que ces indifférens dont la bibliothèque se compose uniquement de volumes déguenillés. Malheureusement la mésintelligence qui éclata entre le marquis de Paulmy et Legrand. "d'Aussy, chargé avec Contant d'Orville et autres de travailler sous la direction du marquis à ce grand ouvrage, empêcha l'exécution de son dessein, et l'ouvrage de Legrand, relatif à la nourriture de nos pères, est tout ce qui a été imprimé des travaux entrepris dans la somptueuse bibliothèque de Paulmy.

Quelque restreint que soit le cadre de Legrand, son ouvrage est encore curieux et utile, et il a pu attirer l'attention des amateurs sur certains volumes relatifs à la vie privée, qu'il avoit consultés, et sur d'autres qu'il n'avoit pas connus. Parmi les différentes branches de la bibliophilie, celle-ci est une des moins ruineuses, et cependant elle donne souvent, à ceux qui l'exploitent, l'ineffable jouissance de faire des découvertes nouvelles et d'en remontrer à leurs anciens (1).

De ces anciens ouvrages d'économie domestique, le Viandier de Taillevent, est un des plus connus et des plus anciens;

(1) Dernièrement l'auteur de cet article a eu le vif plaisir d'acquérir, dans une vente, à un prix très inférieur à sa commission, un traité (mánuscrit) complet d'économie domestique, écrit vers 1375, par un Parisien, pour sa femme, et qui, resté jusqu'à présent inconnu, sera certainement publié

sous peu.

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il a été imprimé plusieurs fois de la fin du xve siècle jusqu'en 1604, date d'une édition de Lyon, que je crois la dernière, et il est assez étonnant que le goût de la nation ait assez peu varié pour qu'un livre de cuisine, écrit par un officier de bouche de Charles V, ait encore pu être d'une utilité pratique sous le règne de Henri IV. Il est probable, au reste, que la province seule en étoit restée à Taillevent; la cour avait les salmigondis, les dindons nourris de dragées musquées, les asperges (1), etc., mets tous inconnus au vieux cuisinier. Depuis long-temps le viandier n'est plus qu'un livre curieux, ou, pour mieux dire, car je parle à des amateurs, monté à la dignité dé livre curieux; mais comme tel il a encore son utilité, et il a pu notamment être consulté avec fruit pour faire connoître les sauces et mets dont il est parlé dans Rabelais. Mais, à quelle époque vivoit ce Taillevent? qui étoit-il? Voilà ce que je désirois depuis long-temps connoître et ce qu'un heureux hasard m'a appris depuis peu.

Le titre du Viandier prouvait suffisamment que Taillevent avait été cuisinier d'un roi de France; mais de quel roi? Legrand d'Aussy, se fondant sans doute sur le menù d'un festin donné par le duc du Mayne en 1455, au boys sur la mer (menu qui a été ajouté au travail de Taillevent dans les imprimés), avoit dit qu'il avoit été de la maison de Charles VII

(1) Quoique les asperges soient citées dans les Géoponiques, attribuées à Constantin porphyrogénète, et traduites en françois par Anthoine Pierre, en 1544, quoiqu'elles aient aussi un chapitre dans la Maison rustique de Ch. Estienne et Jean Liébaut, elles étoient cependant très rares en province en 1585. L'auteur des contes d'Eutrapel, breton de la vieille roche, les regardoit comme une nouveauté luxueuse. Voici ce qu'il en dit dans ses contes, feuil. 176, éd. 1585 : « Un jeune conseiller de Paris estant à un festin à Vennes, lors des grands jours auxquels l'abbé Colledo, nourri aux voluptueuses délicatesses de Rome, n'avoit rien oublié, jusques aux parfums, eaux de senteurs et cassolettes aux planchers, au bas, au travers des chambres et sales, interrogé de ce somptueux et superbe souper, dit que le tout s'estoit assez bien porté s'il y eust eu des asperges; mais il ouït pour réponse que ce n'estoit comme à Paris, où il y avoit abondance de cornès, dont issent et proviennent icelles herbes. » Ces derniers mots font une allusion facétieuse à un préjugé consigné dans les Géoponiques, et qu'on retrouve encore dans le Jardinier françois de Nicolas de Bonnefond, imprimé en 1651, et suivant lequel des cornes de moutons percées et enterrées produisoient. des asperges. Le Grand d'Aussy n'a rien dit de ce légume.

(Legrand, éd.de. 1815, t. II, p. 20). J'avais lu dans les Mélanges d'une grande bibliothèque, qu'il étoit cuisinier de Charles V et de Charles VI (t. III, p. 42). Aucun des deux auteurs ne donnoit de raison ni d'autorité. Dans ce doute, je voulus voir un manuscrit. Celui de la bibliothèque du roi n'étant pas disponible, j'appris de M. de la Villegille (1), qui en avoit eu communication que le manuscrit du roi, beaucoup moins complet qu'un autre de la bibliothèque Mazarine, l'étoit t'rependant beaucoup plus que les imprimés, et portoit la note suivante :

1

Cest viandier fu acheté à Paris par moy Pierre Buffaut," "l'an mil cce iiijxxxij, ou pris de ví sous parisis.

"

Il résultoit de cette note qu'en 1392 le Viandier avoit déjà paru.depuis quelque temps, car c'auroit été un singulier hasard que Pierre Buffaut eût acheté ce volume précisément l'année de son apparition, ou la suivante. L'auteur du Viandier ayant écrit avant 1392, ne devoit donc pas être différent du Taillevent, écuyer de cuisine, que Legrand d'Aussy avoit vu figurer dans un état de la maison de Charles VI, pour 1381, et que, préoccupé toujours du menu de 1455, il avoit pris pour un ancêtre de l'écrivain (t. II, p. 230). Plus tard, faisant des recherches dans les registres du trésor des chartes, je vis (reg. 92, no 75), que le duc de Normandie (depuis Charles V) étant à Conflans, près Paris, en avril 1361 (2, nouveau style), avoit donné à GUILLAUME TIREL, dit TAILLEVENT, son queux (cuisinièr, coquus), la somme de 100 fr. d'or, pour ses bons et agréables services, et pour acheter une maison en la ville de Paris, laquelle Monseigneur (le duc de Normandie) lui avoit commandé à acheter pour être plus près de lui pour le servir.

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Cette donation me parut révéler et le véritable nom de Taillevent et l'époque précise à laquelle il vivoit, et je ne crus pas qu'il fût possible de l'attribuer au père de notre écrivain. En effet, le livre acheté probablement d'occasion en 1392 n'a

(1) Vice-président de la société royale des antiquaires, bien connu par ses recherches sur les fourches patibulaires de Montfaucon et d'autres inté

ressans travaux.

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