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Bossuet a traité un grand nombre de sujets neufs et admirables, et qui paraîtraient même encore nouveaux aujourd'hui, puisque, par je ne sais quelle fatalité, les prédicateurs semblent les avoir bannis de la chaire. Cependant il faut avouer qu'il n'est pas toujours également heureux dans ses choix; et rien ne prouve mieux que la différence de ses sermons, combien l'éloquence dépend de la matière que l'on traite. D'ailleurs, toujours fidèle à son plan d'instruction, il prêchait souvent plusieurs fois sur le même sujet : or, ses discours étaient tellement pleins, qu'après avoir épuisé lui-même, et les vérités fondamentales de religion, et les ressources de l'art oratoire, il ne pouvait plus se soutenir à la hauteur de ses premières idées. Chacun de ses sermons renferme des beautés dignes de lui: il n'en est presque aucun où l'on ne puisse le reconnaître. Mais on est étonné de la distance qu'il y a quelquefois de l'un à l'autre. Bossuet ne pouvait pas toujours être le Bossuet du grand Condé, de la duchesse d'Orléans, ou de la reine d'Angleterre 1. L'aigle s'élève au plus

'On reconnaît quelques traits de ressemblance avec Bossuet, dans cet admirable portrait que Cicéron nous a tracé de l'orateur Galba, si prodigieusement inférieur à l'évêque de Meaux, qu'il faut toujours mettre, en éloquence, hors de toute comparaison. Quem fortasse vis non ingenii solum sed etiam animi, et naturalis quidam dolor dicentem incendebat, efficiebatque ut et incitata, et gravis, et vehemens esset oratio: dein cum otiosus stylum prehenderat motusque omnis animi tanquam ventus hominem defecerat, flaccescebat oratio; quod iis, qui limatius dicendi consectantur genus, accidere non solet; propterea quod prudentia nunquam deficit oratorem, qua ille utens eodem modo possit et dicere et scribere. Ardor animi non semper adest, isque cum consedit, omnis illa vis et quasi flamma oratoris extinguitur. Brutus, de claris oratoribus, 24.)

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"Lorsque Galba parlait en public, son éloquence était peut-être en<< flammée, non-seulement par un certain feu d'imagination, et surtout « par les élans de son âme, mais encore par je ne sais quel pathétique « naturel, dont les mouvements donnaient à ses plaidoyers de la rapidité, du poids et de la véhémence. Mais dès qu'il prenait ensuite la plume pour écrire à loisir ce qu'il avait improvisé, toute cette agita«<tion dont il avait été ému venant à se calmer, son discours sans res<< sort et sans ardeur se ralentissait tout à coup comme un vent qui tombe, << et dont le souffle est bientôt insensible. Cette inégalité ne se fait pas «< remarquer ordinairement dans les écrivains qui ont une manière plus << soignée. La sagesse de l'esprit et le goût, en n'abandonnant jamais << un pareil orateur, le mettent toujours en état de parler et d'écrire avec << la même correction. La chaleur de l'àme, au contraire, ne peut pas « se soutenir habituellement au même degré; et quand elle est épui«sée, toute cette verve, et pour ainsi dire cette flamme, s'éteignent aus<< sitôt dans l'esprit de l'orateur. »

haut des airs, il tombe. L'insecte qui rampe ne saurait tomber. Il ne faut donc pas être surpris des inégalités qu'on voit non seulement entre ces discours comparés, mais encore dans le même discours. Tout grand orateur est nécessairement inégal : quand même son génie n'aurait pas besoin de ces intervalles de repos pour prendre haleine, les règles de l'art oratoire, qui ne permettent pas de chercher à produire sans cesse un grand effet, l'obligeraient de ralentir de temps en temps son essor; car celui qui veut être toujours sublime ne l'est jamais.

Il est vrai que les chutes de Bossuet sont presque aussi étonnantes que ses plus grandes beautés. Après ces élans sublimes, où l'on trouve la majesté des idées, la progression des mouvements, la magnificence des images, le choix des expressions, l'harmonie du style, chaque période finie avec soin, liée avec la phrase qui la précède et fondue avec celle qui la suit, on est frappé de la plus vive admiration, et l'on se dit à soi-même que nul écrivain n'égale, comme écrivain et comme orateur, l'aigle brillant de Meaux. Mais Bossuet est assez grand pour qu'il soit permis à tous ses lecteurs d'avouer ses fautes. Il faut donc convenir qu'il devient, de loin en loin, un peu dissertateur, et qu'il porte quelquefois la familiarité du style jusqu'à la négligence : c'est que tous les extrêmes se touchent, et qu'entre un trait burlesque et un trait sublime, il n'y a souvent qu'une ligne. L'homme d'un grand talent monte si haut, qu'on le perd de vue; s'il s'arrête un seul instant, il s'abat, et plus son vol était hardi, plus sa chute est profonde; au lieu que l'écrivain médiocre est séparé de ces abîmes par l'immensité des espaces intermédiaires qui, en l'éloignant de la région du génie, le préservent nécessairement de ses écarts; et de même qu'il s'élève sans devenir grand, il déchoit sans se trouver fort au-dessous des lieux communs qui forment son élément ordinaire. Aussi peut-on observer qu'il est beaucoup plus aisé de parodier un chef-d'œuvre plein de génie, et surtout les plus beaux endroits de ce chef-d'œuvre, qu'un ouvrage médiocre. C'est le concours d'une multitude de circonstances qui forme le sublime changez-en une

'Je n'en citerai aucun exemple, par respect pour ce grand homme. Ma plume se refuse à relever des fautes de goût qu'il aurait très-certainement corrigées, s'il eût publié lui-même ses sermons; mais il me semble que les éditeurs devaient se charger de ce soin, et qu'on ne les accuserait point d'avoir altéré les originaux de Bossuet, s'ils s'étaient bornés à corriger toutes ces négligences de style, sans rien ajouter aux manuscrits de l'évêque de Meaux.

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seule, substituez même dans une phrase un mot à une autre expression synonyme en apparence, mais sans noblesse et sans harmonie, l'enflure, l'exagération, le ridicule, vont frapper tous les esprits, et vous rirez du même trait oratoire qui enlevait votre admiration, ou qui vous arrachait des larmes.

On ne se contentera peut-être point de reprocher à Bossuet quelques intervalles d'assoupissement qui rappellent le sommeil d'Homère. J'ai connu des gens de lettres qui, n'ayant jamais lu la vingtième partie des productions de ce grand homme, établissaient dans leur étroit cerveau, comme un dogme fondamental en matière de goût, que c'est un écrivain sans style. Si par style on entend la froide monotonie des antithèses, les énigmes qu'on appelle réticences, le ton du madrigal, les petites phrases épigrammatiques, la prétention de montrer partout de l'esprit, le néologisme à la mode, les grands mots alambiqués, et cette frénésie épileptique qu'on ose appeler chaleur oratoire, il faut avouer que Bossuet n'a point de style, car il n'a certainement pas celui-là. Mais si l'on attache à ce mot l'acception qu'il doit avoir en éloquence, c'est-à-dire, si le style n'est autre chose que l'art de présenter ses idées; s'il suffit, pour bien écrire, d'être hardi avec sagesse, clair, simple, noble, pur, précis, varié, pittoresque, véhément, harmonieux, périodique; s'il ne faut que donner aux expressions le ton du sujet, aux métaphores la couleur de l'image, aux mouvements du discours les élans de l'âme, aux tours oratoires le caractère de la passion, l'accent et le trait du sentiment; si le style en un mot n'est que la peinture ou plutôt la représentation de la pensée avec tous ces caractères divers, contempteurs de Bossuet, humiliez-vous devant un si grand génie que vos regards ne peuvent atteindre dans une si haute région, et lisez ses écrits jusqu'à ce que vous appreniez enfin à les sentir et à les admirer! Vos yeux, accoutumés à l'élégante symétrie de nos jardins, ne sauraient-ils donc plus contempler l'antique majesté des forêts?

Quelque frappant que soit le style de Bossuet, il n'en est pas

'L'éloquence de Bossuet est toujours frappante, parce que ce grand orateur n'écrit jamais sans que son esprit soit animé par une forte passion. Au lieu de ne rechercher que des beautés accessoires, il s'attache aux seules beautés principales; et il les tire toutes du fond mème de ses sujets. C'est pour s'être écartés de cette dernière règle de l'art oratoire, que plusieurs écrivains, nés avec beaucoup d'esprit, et même du talent, ne produisent cependant aucun effet dans la carrière de l'éloquence.

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moins naturel et malgré les digressions abstraites auxquelles il s'arrête quelquefois en traitant les mystères, surtout au commencement de ses premières parties, on voit qu'il a écrit de verve tous ses sermons, et qu'il ne perd jamais l'accent d'une inspiration soudaine et involontaire. Ses plans, partie fondamentale et la plus difficile du travail de l'orateur, sont ordinairement vastes et heureux. On con

'On ne saurait trop éviter, dans les assemblées publiques, les matières abstraites qui sont étrangères à la plupart des auditeurs, et inintelligibles pour les esprits vulgaires. Cicéron était bien convaincu de cette règle du goût, puisqu'il décide, dans son Traité des orateurs illustres, qu'un discours qui n'obtient point l'approbation du peuple ne mérite jamais le suffrage des savants. Lorsqu'il défendit la cause du poëte Archias, il embellit cette harangue d'une très-belle apologie de l'étude, que tous les gens de lettres savent par cœur. Cependant, quoique cet éloge de la littérature fût amené naturellement par son sujet quoiqu'il fût d'ailleurs écrit d'un style clair et à la portée de tous ses auditeurs, Cicéron crut devoir demander gråce, dans son exorde, pour une digression si peu familière au peuple romain. Une pareille précaution oratoire prouve que ce grand orateur regardait toutes les dissertations métaphysiques comme très-opposées à la véritable éloquence. Voici le second paragraphe de ce plaidoyer: Sed ne cui vestrum mirum esse videatur, me in quæstione legitima, et in judicio publico, quum res agatur apud prætorem populi romani, lectissimum virum, et apud severissimos judices, tanto conventu hominum ac frequentia, hoc uti genere dicendi, quod non modo a consuetudine judiciorum, verum etiam a forensi sermone abhorreat, quæso a vobis, ut in hac causa mihi detis hanc veniam, accommodatam huic reo, vobis, quemadmodum spero, non molestam; ut me pro summo poeta atque eruditissimo homine dicentem, hoc concursu hominum litteratissimorum, hac vestra humanitate, hoc denique prætore exercente judicium, patiamini de studiis humanitatis ac litterarum paulo loqui liberius; et in ejusmodi persona quæ propter otium ac studium minime in judiciis periculisque tractata est uti prope novo quodam et inusitato genere dicendi. Quod si mihi a vobis tribui concedique sentiam, etc. L'esprit de Cicéron était tellement préoccupé du danger auquel il s'exposait en traitant des détails abstraits, et quelquefois peut-être supérieurs à l'intelligence commune de ses auditeurs, qu'il termina son plaidoyer en réclamant de nouveau l'indulgence publique pour cet épisode. Quæ de causa dixi, judices, ea confido probata esse omnibus: que non fori, neque judiciali consuetudine, et de hominis ingenio, et communiter de ipsius studio locutus sum, ea, judices, a vobis spero esse in bonam partem accepta; ab eo qui judicium exercet, certe scio. Pro Archia poeta.

Je ne saurais rappeler l'éloquence de Cicéron à la tête des sermons de Bossuet, sans faire observer que dans son discours sur la pénitence, où l'on admire la verve de l'orateur et l'originalité de sa com position, l'évêque de Meaux a imité très-heureusement un beau morceau de Cicéron, tiré de sa harangue pour Ligarius

çoit aisément que Bossuet ne peut guère se renfermer que dans un grand espace encore cet espace est-il souvent trop étroit, et son génie en sort comme par bonds. C'est ordinairement dans ces épisodes, ou si l'on veut dans ces écarts, qu'il est sublime; mais alors l'admiration qu'il inspire justifie l'irrégularité de sa marche, et fait sentir vivement le besoin qu'il avait de prendre son essor pour mettre ses sentiments on ses idées en liberté.

On lui pardonnera donc plus aisément de perdre quelquefois son sujet de vue, que de l'annoncer avec trop de recherche. J'ai cru apercevoir de la prétention dans la manière dont il présente quelques-uns de ses sujets. Si l'éloquence sacrée tolère les divisions, elle est trop austère du moins pour souffrir en chaire les antithèses puériles, que Fénelon appelait des tours de passe-passe 1. C'est une perte de temps que les orateurs doivent éviter, ne fût-ce que pour cacher à l'auditoire le misérable emploi qu'ils ont fait de leurs loisirs. Lorsque Bossuet composa ses discours, les divisions maniérées étaient fort à la mode. On en retrouve, mais rarement, des exemples dans cette édition, comme un monument du tribut que les plus grands hommes sont quelquefois obligés de payer au mauvais goût de leur siècle. La Bruyère2 se moque très-ingénieusement des prédicateurs qui pirouettent en quelque sorte sur leurs divisions. «< Depuis trente << années, dit-il, on prête l'oreille aux rhéteurs, aux déclamateurs, «< aux énumérateurs; on court ceux qui peignent en miniature. Il << n'y a pas longtemps qu'ils avaient des chutes ou des transitions si ingénieuses, quelquefois même si vives et si aiguës, qu'elles pou<< vaient passer pour des épigrammes. Ils les ont adoucies, je le veux, « et ce ne sont plus que des madrigaux; ils ont toujours, d'une né«< cessité indispensable et géométrique, trois sujets admirables de << vos attentions; ils prouveront une telle chose dans la première << partie de leur discours, cette autre dans la seconde partie, et cette << autre dans la troisième. Ainsi vous serez convaincus d'abord d'une «< certaine vérité, et c'est leur premier point; d'une autre vérité, et «< c'est leur second point; et puis d'une autre vérité, et c'est leur << troisième point. De sorte que la première réflexion vous instruira << d'un principe des plus fondamentaux de votre religion; la séconde, «< d'un autre principe qui ne l'est pas moins; et la dernière réflexion, <«< d'un troisième et dernier principe le plus important de tous, qui << est remis pourtant, faute de loisir, à une autre fois. Enfin, pour 1 Dial. sur l'éloq.

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2 Chapitre des Prédicateurs.

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