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CHAPITRE IV.

État actuel de la Famille en Angleterre.

Il est, dans la vie des nations, des moments décisifs qui passent et ne reviennent plus. Malheur aux peuples qui ne savent pas en profiter. Une longue agonie, peut-être une ruine totale viendront les punir, comme l'ingrate Jérusalem, de n'avoir pas voulu connaître la visite que daignait leur faire celui qui seul donne aux rois la sagesse, aux sujets la docilité, à tous la paix véritable, fille de l'ordre. Le seizième siècle fut pour l'Europe une de ces époques critiques : comme l'Église, la société humaine pouvait en sortir pleine d'une vigueur nouvelle. Il n'en fut pas ainsi. Plus ou moins saisies de la fièvre protestante, fièvre d'orgueil et d'indépendance, les nations méprisèrent la voix de leur mère. Elles crurent pouvoir se suffire à elles-mêmes. Et voilà que tout devint faible et incertain dans les conseils des rois; on ne consulta plus, pour se conduire et se tirer des difficultés sans cesse renaissantes, que les règles d'une politique tout humaine. On flatta tour à tour la vérité et l'erreur; on ferma les yeux sur la grandeur des dangers qui

menaçaient l'ordre moral: les intérêts matériels avaient usurpé la première place. Au lieu d'employer avec vigueur et persévérance les remèdes préparés par l'Église pour la guérison des mala› dies qui travaillaient la société domestique et préparaient à petit bruit la ruine de la société politique, on les dédaigna. On en vint jusqu'à tenir pour suspecte la main bienfaisante qui les présentait, et le mal fit des progrès rapides. Après un laps de cinquante ans, la vieille Europe ne fut plus reconnaissable. Entre ce qu'elle est aujourd'hui et ce qu'elle était au milieu du seizième siècle, que la différence est grande! Alors, chrétienne dans sa foi, chrétienne dans ses constitutions, chrétienne dans ses habitudes, chrétienne dans son langage, elle n'a plus aujourd'hui de caractère décidé. Est-elle encore chrétienne? ne l'est-elle plus? il est permis de le demander, et l'observateur attentif hésite à répondre.

Quoi qu'il en soit de la société politique, il est certain que la famille dont nous avons ici à nous occuper, est bien différente d'elle-même. Quand vous la considérez d'un coup d'œil, telle qu'elle se présente à vous dans l'Europe entière, vous la voyez partout défigurée, plus ou moins, par le double cancer qui la dévorait dans le monde antique, qui la dévore encore chez les nations modernes esclaves de l'idolâtrie, le sen

sualisme et le despotisme. Comme conséquence de cette double maladie, vous voyez le lien domestique relâché, l'esprit de famille presque anéanti, l'autorité déplacée, ou sans fixité, la soumission incertaine, l'insubordination à la place de l'obéissance, l'indifférence à la place de la piété filiale, l'égoïsme à la place du dévouement réciproque. De là des désordres moraux, graves et nombreux, conduisant tour à tour aux dissensions intestines, à la dégradation de la femme et trop souvent à la mort spirituelle et corporelle de l'enfant. De là enfin, le malaise universel qui se manifeste chez toutes les nations actuelles de l'Europe sourdes rumeurs, préludes effrayants de prochaines tempêtes. A ces maux, les sages en qui n'est point la science de Dieu cherchent vainement le remède dans telle ou telle combinaison politique. Ils ignorent donc que ces faits extérieurs ne sont eux-mêmes que les symptômes d'une maladie qui échappe à leur courte vue. Ils ne peuvent ou ils ne veulent pas voir que la société domestique est à la société politique ce que la racine est à l'arbre, ce que la base est à l'édifice. Que la racine soit empoisonnée, et jamais l'arbre ne portera de bons fruits; que la base repose sur un sable mouvant, et l'édifice, au lieu d'être jamais solide, sera toujours chancelant jusqu'au jour nécessairement peu éloigné de sa ruine.

Telle est la physionomie générale de l'Europe. Sous les brillants oripeaux d'une civilisation matérielle, se cache un mourant, bientôt peut-être un cadavre. Comment la vie s'est-elle éloignée? l'esprit de Dieu s'est retiré. Pourquoi? parce que l'homme est devenu chair? Comment est-il devenu chair? parce qu'il a rompu avec Dieu qui est esprit. Quand s'est opérée cette rupture? lorsqu'on a dit à l'Europe: Brise le joug de l'autorité et tu seras comme Dieu. Qui a dit cela? qui a porté au sein de la famille le désordre qui se produit dans la société? qui a brisé le joug de la foi? Nous adjurons les hommes de conscience de relire l'impartiale histoire qui précède, et de répondre.

Mais il est temps d'apprécier en particulier les effets de la réforme et de la philosophie sa digne suivante, sur la famille, dans les deux premières nations de l'Europe, l'Angleterre et la France : par elles, on jugera des autres. Dans le tableau que nous allons esquisser, Albion n'occupera qu'une place secondaire; au premier plan sera la France, cette patrie bien-aimée, quoique bien coupable. C'est pour elle surtout et pour sa guérison que nous avons composé cet ouvrage.

Pendant bien des siècles, l'Angleterre se montra digne de la foi qu'elle avait reçue de l'Église romaine. La piété, la charité, les vertus publi

ques et privées de ses habitants lui méritèrent le surnom glorieux de l'Ile des saints. La société domestique participait à cet état de perfection et de bonheur. Comme dans tous les pays catholiques, elle présentait, par la douce et sainte union de ses membres, un spectacle digne des anges. Qu'elle est différente aujourd'hui ! La famille anglaise végète plutôt qu'elle ne vit; on dirait un malade que mine lentement un vice organique. Ne vous en étonnez pas ; des atteintes graves ont été portées à sa divine constitution. Le protestantisme a nié le sacrement qui l'ennoblissait en la sanctifiant ; le mariage anglais n'est plus qu'une cérémonie religieusement inefficace. Privés des secours puissants que Jésus-Christ leur avait ménagés, les époux ne peuvent plus accomplir les difficiles devoirs que le mariage impose aux chrétiens. En tête de ces devoirs, il faut placer l'indissolubilité du lien conjugal. Avant l'élévation du mariage à la dignité de sacrement, on ne voit nulle part ce devoir fidèlement accompli ou rigoureusement commandé : la Synagogue elle-mème tolérait le divorce. Supposez le mariage ramené au niveau d'un simple contrat naturel, ou vous verrez disparaître l'indissolubilité conjugale, ou elle ne sera maintenue temporairement que par une heureuse inconséquence.

Telle est la judicieuse remarque d'un pieux et

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