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Heureux temps que celui-là pour un voyageur homme de qualité! Partout les ambassadeurs de sa nation l'accueillaient comme un de leurs pairs. A peine arrivé dans une capitale, il était présenté à la Cour; et dans toute l'Europe les hauts salons lui étaient ouverts à deux battans. C'est ainsi que de Brosses eut audience du pape Clément XII, qu'il parut devant Charles III à Naples, devant Charles-Emmanuel III à Turin, que Jacques III l'admit à son cercle intime, et qu'il dansait à Modène avec la princesse qui fut depuis l'épouse du duc de Penthièvre. Il jouit plus qu'un autre en Italie d'un plaisir de plus en plus rare de nos jours, du premier des plaisirs pour un Français, celui de la société. Les Foscarini et les Tiepolo, dans la riche et dédaigneuse Venise; à Rome, les cardinaux Aquaviva et de Tencin, la princesse Borghèse, sœur du connétable Colonne et la duchesse de Caserte; à Naples, le cardinal-archevêque Spinelli, le marquis de Montalègre, premier ministre des Deux-Siciles, les ducs de Monteleone et de Caraffa, recherchèrent à l'envi la gaieté si spirituelle de notre compatriote. Il plut fort aussi aux étrangers de distinction qui le rencontrèrent à Rome, surtout à lord Stafford, de la maison d'Howard (1), dont la tante offrit si libéralement sa main à Crébillon fils, sur la lecture du plus oublié de ses mauvais livres.

Mais, de toutes ses liaisons passagères, de Brosses > ne conserva de commerce qu'avec ses bons amis de Florence. C'est lui qui écrivait : « Si vous voyez quelque

(1) Les Montmorency de l'Angleterre. L'aîné de cette maison (qui est demeurée catholique ) est le duc de Norfolk, premier pair du Royaume-Uni.

<< part un Italien qui ait de l'esprit et de la science, «< pariez que c'est un Florentin. » Vingt-trois ans après son retour d'Italie, il recevait encore de monsignor Cerati, proviseur général de l'université de Pise (1), des marques non équivoques d'estime et de confiance. Ses relations avec l'abbé Niccolini furent plus étroites encore et plus suivies. Nombre de lettres de ce dernier se sont retrouvées dans les papiers du président de Brosses, qui s'est ressouvenu de lui dans la préface de son dernier ouvrage, et qui, jusqu'en 1770, lui écrivit toujours avec le plus affectueux abandon. « C'est un maître homme, mandait-il; je n'en ai pas encore trouvé un sur ma route qui eût autant de justesse et d'agrémens dans l'esprit, une mémoire et une facilité de parler aussi grandes, ni des connaissances aussi étendues sur toutes choses imaginables, depuis les fontanges à la mode jusqu'au calcul intégral. >>

Enfin, après avoir vu s'ouvrir le conclave qui donna un successeur à Clément XII, prédit la thiare à Benoît XIV et presque assisté à son élection, de Brosses revint plein d'instruction et de souvenirs, riche de dessins et de variantes pour son grand travail sur Salluste, rapportant deux tableaux de Paul Véronèse, et je ne sais combien d'ariettes italiennes, mais surtout laissant derrière lui d'honorables liaisons et des amitiés durables: il était absent de France depuis dix mois.

TH. FOISSET.

(1) « L'un des plus aimables savans et les plus communi

«< catifs que j'aie rencontrés..... » (DUCLOS. )

UN MOT SUR L'HISTOIRE CRITIQUE DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE,

DE M. MÉZIÈRES,

PAR M. A. LEGEAY.

Le demi siècle qui vient de s'écouler est de ces époques qui remuent fortement les intelligences et les font marcher dans la voie du progrès. Quand les arts et l'industrie, fécondés par la science, étonnaient tous les yeux par tant de découvertes et de merveilleuses créations, la littérature, cette expression immatérielle de la civilisation, pouvait-elle rester stationnaire? Après avoir hâté la révolution qui s'opérait dans les esprits et dans les mœurs, elle devait à son tour en suivre l'impulsion; l'émancipation de la presse et de la tribune ne pouvait manquer de réagir sur elle, de l'enrichir et de la modifier.

La poésie avait un pas à faire. Il était temps qu'elle dît adieu à la mythologie, à toutes ces fictions de l'antiquité qui ne disent plus rien au cœur ; il était temps qu'elle fût ramenée à son caractère primitif, à la nature, au vrai. C'était une réforme ; et il ne lui suffisait pas, pour être goûtée, d'être essayée avec bonheur par celui même qui l'avait prêchée de toute la puissance de son magnifique talent. La lyre d'un de nos poètes en a fait l'épreuve avec un succès plus décisif. Ses inspirations et son harmonie ont montré comment on peut, sans recourir à de froides allégories, trouver de nobles images de toutes les impressions de l'ame.

Nous avons vu la philosophie, encore pusillanime malgré les sublimes aperçus de Pascal et de Descartes, sortir de ses voies timides, pénétrer plus avant dans le mystère de l'homme, et opérer la fusion des idées platoniciennes et du Christianisme. L'éloquence délibérative a pris un essor inconnu jusqu'à nos jours. Elle a doté la patrie d'une palme nouvelle. Eclairée elle-même du flambeau philosophique, elle a répandu sur les plus graves questions de l'ordre social une lumière irrésistible. Sous la plume d'un écrivain, le modèle accompli du goût antique, l'éloge s'est dépouillé de cette parure d'emprunt, de ces emphatiques lieux communs dont, il était gâté, pour prendre un ton plus gracieux, plus vrai, plus persuasif. L'histoire, écrite sous l'influence du patriotisme, a quitté les sentiers étroits et rebattus où elle s'était engagée; et désormais plus vivement préoccupée des intérêts des peuples, elle a mieux connu le but moral qu'elle doit se proposer d'atteindre. Telles sont les gloires de notre époque.

Une fois la carrière des améliorations ouverte, on a rarement su s'arrêter. Des esprits plus aventureux que réfléchis, entraînés sans doute par la séduction du progrès, désireux peut-être de ne pas se trouver dans la même carrière face à face avec les hommes du grand siècle, tentèrent de nouvelles voies et rêvèrent, en littérature comme en politique, une réforme radicale. Comme si les règles étaient autre chose que le suffrage des peuples les plus éclairés, réduit à la plus simple expression, on a imaginé de n'en admettre aucune, et de remettre en question les élémens du goût. Ainsi la vraisemblance n'a plus été respectée; on a évoqué de l'oubli les souvenirs les plus hideux, on les a chargés d'incidens étrangers; on s'est fait une loi de présenter

les images les plus révoltantes. On n'a pas eu plus d'égards pour la forme que pour le fond; on s'est cru poète pour avoir fait rimer des termes incompatibles; on a réuni ce qu'il y a de plus inconciliable, le burlesque et le sérieux, le bas et le sublime; on a pris le pédantisme pour la gravité, la raideur pour le bon ton, l'emphase des mots pour l'élévation des idées. L'intempérance de l'esprit a été portée au point de menacer de tout corrompre; et au premier moment l'attrait de la nouveauté a paru séduire la foule, et entraîner les jeunes intelligences au dédain des maximes consacrées par l'autorité des siècles.

La meilleure digue à opposer à l'invasion de cette barbarie moderne, c'était la critique judicieuse d'une section très-importante de la littérature la plus originale de l'Europe; c'était un livre où il fût établi par des preuves irrécusables que, sans dévier des principes universellement reçus, on peut être piquant, profond, pathétique et voilà précisément ce que démontre à toutes les pages l'histoire critique de la littérature anglaise.

Jamais examen ne fut plus grave. Loin de ressembler à certains aristarques, l'auteur ne prononce jamais sans avoir mûri sa pensée. On sent que son opinion ne se fonde ni sur des conjectures, ni sur des lectures superficielles, ni sur le texte d'une traduction, ni sur des préjugés nationaux. Il juge avec toute la bienveillance d'un compatriote et toute l'impartialité d'un étranger. On sera étonné au-delà du détroit de voir des opinions, que l'on croyait sans appel, rectifiées par un arbitre compétent; on le sera en France de voir un Français accorder plus d'estime à certaines notabilités littéraires de la Grande-Bretagne, à Chesterfield par exemple,

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