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UN CHAPITRE DE L'HISTOIRE

DU PRÉSIDENT DE BROSSES (1).

II.

DE BROSSES S'était préparé au voyage d'outre-monts par les lectures les plus variées et par des excursions qui marquaient alors dans une vie de province. Il connaissait Genève, et il avait vu deux fois Paris. Dans un premier séjour qu'il fit dans cette capitale en 1732, il avait assisté à la première représentation du Glorieux, vu danser Gavilliers, Maltère et la Camargo, entendu le violon de Leclerc, les motets de Lalande, la voix tonnante de Chassé, la meilleure basse-taille et l'acteur le plus noble dont l'opéra ait gardé la mémoire. Il s'était passionné pour le chant et les grâces de Mme Carle Vanloo, fille, femme et sœur d'artistes également célèbres à divers titres. Il avait vu le

(1) Une nouvelle édition des lettres écrites d'Italie par le président de Brosses en 1739 et 1740, paraît en ce moment même à Paris. C'est ce qui a déterminé l'auteur du chapitre qui suit à détacher de la biographie du Président ce fragment tout à fait épisodique, et à le publier prématurément, comme un hommage à la production la plus brillante d'un des membres les plus éminens de l'ancienne Académie.

grand monde et le monde parlementaire, sans négliger ses relations naturelles avec Buffon et les autres représentans littéraires de la patrie dijonnaise. Ce dernier déjà frappait à la porte de l'Académie des sciences. Crébillon, ce volcan, qui fumait toujours, promettait dès-lors Catilina; Piron préparait Gustave, et Rameau son premier opéra ( Hippolyte ). Un second voyage fortifia ces précieux rapports et lui en donna d'autres avec les savans Bourguignons de l'Académie des belles-lettres et de la bibliothèque du Roi, Sallier, Melot, Moreau de Mautour, Sainte-Palaye. Ces souvenirs, on va le voir, ne furent point perdus.

Le samedi 30 mai 1739, de Brosses partit de Dijon avec un autre jeune conseiller, son parent, M. Loppin, homme d'esprit, ami intime des lignes droites, comme il l'appelle, un peu singulier, mais assez bon géomètre après tout pour que sa réputation primât alors celle de Buffon dans leur commune patrie; car ce dernier ne fut inscrit qu'après lui sur la liste de l'Académie, fondée à Dijon en 1740.

Le 7 juin, les deux voyageurs étaient à Avignon: c'était encore la France, et c'était déjà l'Italie.

Là ils avaient rendez-vous avec Sainte-Palaye, l'auteur des Mémoires sur l'ancienne Chevalerie, et Lacurne, ce modèle achevé de la tendresse fraternelle, dont toutes nos biographies ont omis le nom, que Plutarque aurait rendu immortel. Une étroite amitié unissait de Brosses aux deux frères; ils avaient avec lui des goûts communs, Lacurne celui de la musique, Sainte-Palaye celui des incriptions; mais surtout, et ce lien avait bien certes une autre puissance, par la naissance ils appartenaient tous trois à notre

Bourgogne, dont nuls autres ne possédaient mieux la joviale et franche cordialité.

La curiosité n'était pas tout dans ce voyage. Par un de ces dévouemens littéraires qui ne pouvaient plus guère se trouver qu'en province, de Brosses venait de s'imposer une tâche qui avait manqué aux labeurs et à la gloire du xvre siècle, la restitution de Salluste. Il rêvait aussi une édition de Suétone. Sainte-Palaye au contraire allait causer avec Muratori, son émule, et cherchait principalement en Italie les souvenirs et les manuscrits du moyen âge.

Avignon, la vieille ville papale, n'arrêta pas beaucoup les quatre voyageurs. L'époque admirait peu ces redans, ces machicoulis, ces belles murailles crénelées et flanquées de tourelles qui nous plaisent tant aujourd'hui qu'une révolution en a fait des ruines. Sainte-Palaye seul visita Vaucluse: les sonnets avaient fait leur temps, et Pétrarque n'était pour de Brosses qu'un sonettiere.

Mais à Aix, la cité parlementaire, celui-ci crut avoir retrouvé Dijon. Dans ses lettres de juin 1739, il se complaît fort à comparer ces deux cités jumelles et ne sait trop à laquelle adjuger le prix de la beauté. Il ne prisa guères moins Marseille et Toulon. Mais, dans ces deux villes, et même à Gênes, cette carrière de marbre taillée en colonnades, au milieu de ces palais tous peints à fresque, et semblables à une immense décoration d'opéra, ce qui le frappa le plus, ce furent les chefs-d'œuvre de notre grand statuaire Puget, cet homme de génie à qui la conscience de sa supériorité arrachait, à soixante ans, ces paroles d'une énergie toute méridionale : « Je « suis nourri aux grands ouvrages; je nage quand j'y

«< travaille, et le marbre tremble devant moi, pour «< grosse que soit la pièce. »

D'autres admirations appelaient de Brosses à Milan. A bien des égards toutefois, son attente fut trompée. Certes, il ne put voir sans un sentiment supérieur à l'étonnement le peuple de statues qui se presse sur le dome; mais, comme Duclos, il ne rendit pas justice à cette merveille inachevée. Nous l'avons dit, le xvin® siècle ne comprenait pas le moyen âge. L'architecture milanaise n'obtint en général de notre voyageur qu'un hommage restreint. Les palais de Gênes projetaient leur ombre sur ceux de Milan. Puis les hyperboles italiennes lui gâtaient les plus belles choses et jusqu'aux sites enchantés des îles Borromées.

L'accueil qu'il reçut dans la capitale de la Lombardie aurait dû, ce semble, exercer sur ses jugemens une influence bien autre. Les hauts salons, les cabinets des lettrés, les bibliothèques des couvens, les galeries et les collections d'amateurs lui furent ouverts à l'envi. L'amitié de Sainte-Palaye le recommandait suffisamment à cette noble société palatine, qui a si bien mérité des sciences historiques en publiant à ses frais les vingt-neuf volumes in-folio du grand recueil : Scriptores rerum italicarum. De Brosses vit de fort près les principaux membres de cette académie toute patricienne, le comte Charles Archinto, qui l'avait fondée, l'éditeur de Sigonius, Philippe Argellati, qui en avait conçu la pensée, et le docteur Sassi, conservateur de la bibliothèque Ambroisienne. C'est à ce dernier qu'il dut la communication des fameux manuscrits d'Anastase, où il lut la réfutation péremptoire de la fable de la papesse Jeanne, un des plus misérables romans que l'esprit de parti ait accrédités en falsifiant ces manus→

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