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PREFACE DE L'EDITEUR.

vij bien sensés. D'ordinaire ces éditions sont accompagnées de notes ou de commentaires qui doivent varier suivant l'époque de leur publication et selon les lecteurs auxquels on s'adresse. Ces notes sont de trois sortes: historiques ou biographiques, grammaticales et littéraires. Les notes historiques sont nécessaires pour faire connaître les personnages, soit de l'antiquité, soit du temps, dont il peut être question dans ces fables, ou auxquels elles sont dédiées; j'ai cru nécessaire même de ne pas omettre les notes mythologiques. La mythologie tient aujourd'hui moins de place dans nos arts, dans nos mœurs et dans l'éducation de la jeunesse, qu'elle n'en occupait il y a quelques années; c'est pourquoi de brèves explications à ce sujet ne m'ont point paru superflues Les notes grammaticales sont plus indispensables encore. Non-seulement depuis La Fontaine beaucoup de mots sont tombés en désuétude ou ont changé d'acception, beaucoup de constructions et de tours ont vieilli; mais dès son temps même, La Fontaine employait une langue plus ancienne que lui; il aimait et lisait souvent nos vieux auteurs, Rabelais et Marot surtout, qu'il appelait ses maîtres; et il gardait dans sa poésie tous les priviléges de notre ancienne langue sans trop se soucier des décisions de l'Académie. Du reste, l'Académie, qui ne datait que de Richelieu, n'exerçait point encore une autorité absolue. Le temps où chaque province de France avait son dialecte particulier n'était pas si loin que les traces n'en demeurassent dans la langue dominante; les gentilshommes bretons, normands, poitevins, provençaux, rapportaient à la cour l'accent et les locutions de leurs provinces. Le style des auteurs gardait un goût de terroir, comme on peut le voir encore au françaisgascon de Montaigne; partout le peuple parlait son idiome natif, et le patois picard ou normand arrivait jusqu'aux portes

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de Paris. L'orthographe et la prononciation des mots étaient donc loin d'être invariables, et La Fontaine ne fit que suivre l'exemple de ses devanciers, en usant de cette liberté à sa convenance. Il en est de même pour les règles de la versi fication; bien que La Fontaine ait dû à une ode de Malherbe la révélation de sa vocation poétique, pour lui Malherbe n'est pas venu, il n'accepte nullement la loi de ce réformateur et se permet sans façon toutes les licences admises avant lui. Quant à un commentaire littéraire, il le faudrait aussi volumineux que l'auteur lui-même, et encore comment faire comprendre à de jeunes esprits toutes les beautés d'un tel ouvrage, tous les secrets de ce style si simple en apparence, si savant en réalité; comment donner l'explication de ses irrégularités, de ses hardiesses, de ses négligences qui sont un art? et si l'on y parvenait, de quel intérêt seraient ces dissertations pour ceux auxquels elles s'adresseraient? Laissons-les donc se divertir innocemment aux débats de dame Belette et de Janot Lapin, ou rire de la déconvenue de Raton tirant les marrons du feu au profit de Bertrand. Le temps viendra trop tôt où ils reconnaîtront dans le monde l'original de ces peintures, où ils auront assez vu, assez lu, assez comparé pour apprécier toute la valeur de la copie.

Les œuvres du génie sont comme celles de Dieu, que chacun comprend de son point de vue. C'est la vaste prairie où l'enfant ne voit qu'un vert tapis pour ses jeux et des fleurs pour ses bouquets, jusqu'à l'âge où il y trouve, selon sa profession, militaire, un champ de bataille; agriculteur, une terre à cultiver; savant, des plantes à observer; artiste, un site à reproduire : heureux s'il peut arriver au jour où, du brin d'herbe, son esprit s'élève au Dieu qui l'a créé !

A MONSEIGNEUR

LE DAUPHIN'

MONSEIGNEUR,

S'il y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, ou peut dire que c'est la manière dont Ésope a débité sa morale. Il serait véritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens a jugé qu'ils n'y étaient pas inutiles. J'ose, Monseigneur, vous en présenter quelques essais. C'est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge 3 où l'amusement et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Esope. L'apparence en est puérile, je le confesse; mais ces puérilités servent d'enveloppe à des vérités importantes.

(1) Louis, dauphin de France, fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche, était né à Fontainebleau le 1er novembre 1661. Il mourut à Meudon le 14 avril 1711. (2) Socrate.

(3) Le Dauphin avait, à cette époque, six aus et cinq mois

Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables : car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre : la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui apprend à se connaître sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse dont s'est servi très heureusement celui sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous apprenez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, Monseigneur, les qualités que notre invincible monarque vous a données avec la naissance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins; quand vous le considérez qui regarde sans s'étonner l'agitation de l'Eu rope et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d'une province3 où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu'il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des élémen's; et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste avouez le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgre i'impuissance de vos années; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maîtresse. Vous ne l'attendez pas, Monseigneur; vous le prévenez. Je n'en veux pour

(1) M. le président de Perigni, auquel Bossuet succéda comme précepteur du Dauphin.

(2) 11 désigne la triple alliance que l'Angleterre, l'Espagne et la Ilollande firent ensemble, il y a environ vingt ans, pour arrêter les conquêtes du roi. (Note de Richelet)

(3) Il parle de la Flandre, où le roi fit la guerre en 1667, et prit Douai, Tournai, Oudenarde, Ath, Alost et Lille. (Note de Richelet.)

(4) La Franche-Comté, conquise cu 1668.

témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage et de grandeur d'âme, que vous faites paraître à tous les moments. Certainement c'est une joie bien sensible à notre monarque; mais c'est un spectacle bien agréable pour l'univers, que de voir ainsi croître une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de nations. Je devrais m'étendre sur ce sujet; mais, comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionne à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci : c'est, Monseigneur, que je suis, avec un zèle respectueux,

Votre très humble, très obéissant,
é très fidèle serviteur,

DE LA FONTAINE,

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