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La guerre n'était pas finie. Le 9 août 1608, les médecins Marc Offredi, André Bonet, Pierre Canal et Colladon furent appelés en Conseil pour avoir refusé de voir en consultation avec Magnus le Sr. Jean de la Maisonneuve. On leur fit de grandes censures de ce complot, avec com<< mandement d'aller visiter ledit Sr. de la Maisonneuve et de luy assister1». A partir de cette date, soit que Magnus ait renoncé à ses procédés irréguliers, soit que le temps ait fait son œuvre d'apaisement, le registre est muet sur les différends du médecin piémontais avec ses confrères. Il resta cependant encore plusieurs années à Genève, où sa présence est constatée pour la dernière fois le 26 septembre 1615. Il fut alors convoqué avec les autres médecins et exhorté comme eux à donner ses soins aux pestiférés 2.

Un autre Italien fut aussi à la même époque accusé de contrevenir aux ordonnances. Il répondait au nom ronflant de Laurentio Borboni Montini. Il avait été reçu bourgeois gratis le 13 février 1609, à condition de servir sans gages à l'hôpital et d'enseigner son état de chirurgien à quelquesuns des pensionnaires de la maison. Cette condition ne fut jamais exécutée; les procureurs de l'hôpital paraissent n'avoir pas eu grande confiance dans les talents de Montini qui n'entra jamais en fonctions. Il n'avait pas tardé d'ailleurs à s'intituler médecin aussi bien que chirurgien, ce qui constituait un cumul illégal, et à pratiquer à tort et à travers, en ville et au dehors. L'autorité fut plusieurs fois nantie de plaintes contre lui. On lui reprochait tantôt la violence de ses remèdes, tantôt l'exagération des honoraires qu'il demandait. Ses nombreux voyages sous pré

1 R. C., vol. CV, fol. 131, vo. 2. R. C., vol. CXIV, fol. 243.

texte d'aller voir des malades et les sommes importantes qu'on lui voyait dans les mains le firent aussi soupçonner d'intelligences avec les Savoyards. Il semble que le Conseil poussa un soupir de soulagement en lui accordant son congé, le 8 mars 1619'. Montini alla s'établir à Yverdon et publia plus tard une chronique apocryphe du Pays de Vaud, qui a eu plusieurs éditions.

Franchissons maintenant plus d'un siècle, pour parler d'un personnage qui troubla profondément la faculté de 1732 à 1746. Il se nommait Bernard Hillbrunner, du canton de Berne, mais il avait traduit son nom et se faisait appeler tout simplement La Fontaine ou Fontaine. C'était, d'après le bruit public, le neveu d'un bourreau de Genève qui, après avoir servi d'assistant à son oncle pour une exécution, s'était improvisé médecin sans aucunes études préalables. Il n'en eut pas moins d'emblée beaucoup de succès: les premières familles de la ville et la noblesse étrangère se disputaient ses soins. Les médecins, appuyés par les chirurgiens et les pharmaciens, menèrent la lutte contre lui avec vigueur. Les mémoires, requêtes et arrêts donnés à l'occasion de ce médecin autodidacte rempliraient un gros volume. La reproduction de ces textes manquerait d'ailleurs d'intérêt. Le style officiel n'a plus au temps de Voltaire la pittoresque brièveté des ages précédents. Bornons-nous donc à résumer les phases de la lutte.

Le 31 mars 1732, la faculté obtint un arrêt du Conseil ordonnant audit Lafontaine de se retirer incessamment

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« de la ville, de faire emporter toutes ses drogues et médicamens, avec deffenses audit La Fontaine de rentrer en

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« ville ? ».

R. C., vol. CXVIII. fol. 59, vo.

R. C., vol. CCXXX, p. 115.

Malheureusement, les pouvoirs du Conseil expiraient près des fortifications. Fontaine emporta tranquillement ses drogues en Savoie et n'eut pas besoin pour cela d'aller plus loin que Grange-Canal. Il y avait dans ce bienheureux hameau, à deux kilomètres de la porte de Rive, des maisons dépendant de la Seigneurie, des maisons du fief de Chapitre et des maisons sur terre de Savoie. C'était le paradis des voleurs, des contrebandiers et des charlatans: on n'avait que la rue à traverser pour passer d'une juridiction à une autre, sans parler des avantages que présentaient les terres de Chapitre. Sur ce territoire, les compétences des autorités savoyardes et genevoises s'étaient à la longue si bien embrouillées que toute intervention des unes ou des autres donnait lieu à des litiges interminables. Par lassitude, on en était venu des deux parts à éviter les complications et à laisser sommeiller la justice. Cet édifiant état de choses dura jusqu'au traité de Turin (1754).

Fontaine ne venait plus voir ses clients; ses clients allaient le trouver et les médecins de Genève n'y pouvaient rien et regardaient défiler sur la route de Grange-Canal la foule des malades à pied, à cheval et en carrosse. Ils ne prenaient leur revanche que si le cas était grave et le patient intransportable. Si Fontaine se hasardait malgré les défenses à venir voir ceux qui ne pouvaient aller à lui, on le faisait comparaitre en Conseil et on lui renouvelait solennellement l'interdiction de pratiquer la médecine dans la ville et son territoire.

En 1739, le conflit s'envenima. La popularité de l'ancien aide du bourreau allait toujours en augmentant et il ne se génait guère pour venir voir en ville ses patients bien apparentés en Conseil. Sur de nouvelles plaintes des trois corps de la faculté, le Conseil décida, le 26 septembre, que

ΧΧΧ.

Nouv. série, X.

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les défenses seraient renouvelées. Mais les protecteurs de Fontaine firent ajouter, à la fin de l'arrêt, la phrase suivante qui le rendait à peu près illusoire : « Sauf au Conseil

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d'accorder la dispense dans des cas extraordinaires aux << malades qui se pourvoiront par requête1». Fort peu satisfaite de cette cote mal taillée, la faculté fit plusieurs députations au Conseil, lui adressa requêtes sur mémoires pour obtenir justice, c'est-à-dire l'observation des ordonnances dans leur intégrité. Le Conseil tint bon et maintint son droit de dispense.

En 1742, Fontaine voulut régulariser sa position et alla solliciter le bonnet de docteur à Valence, sous son nom légitime de Bernard Hillbrunner. Un des professeurs de cette école, alors encore fréquentée par les étudiants genevois, demanda des renseignements au Conseil qui lui répondit en lui communiquant les détails biographiques que nous avons donnés plus haut. Il est donc probable que la demande de Fontaine ne fut pas admise et qu'il dut continuer à se contenter des titres qu'il s'était arrogés de sa propre autorité. Il n'en revint pas moins retrouver sa clientèle qui ne faisait que croître et embellir:

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8 février 1743. Mr. le Premier Syndic et Mr. le Syndic « de la Garde ont rapporté qu'ils étoient sollicitez tant par << ceux qui demandent des permissions pour voir Fontaine

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que par les Spectables Docteurs Médecins qui s'en plaignent »

Le Conseil persista dans sa résolution précédente, et continua à autoriser les malades qui en demandaient la permission à faire venir Fontaine. Cette fois, les médecins se fâchèrent tout de bon. Après avoir encore essayé par

1 R. C., vol. CCXXXIX, p. 444. 2 R. C., vol. CCXLIII, p. 139.

plusieurs lettres et mémoires de faire revenir le Conseil sur sa décision, ils finirent, le 3 mai', par renvoyer aux Seigneurs Commis le Livre des Ordonnances, déclarant qu'ils se considéraient comme libres de tout engagement et regardaient le corps de la médecine comme étant dissous. Un nouvel incident avait contribué à envenimer encore les choses. Un médecin avec lequel les autres docteurs ne voulaient pas avoir de consultations parce qu'il avait fait banqueroute accepta de voir avec Fontaine le Premier Syndic gravement malade. Il n'est plus question de Fontaine dès lors, mais la grève de la faculté dura trois ans. L'accord ne fut rétabli entre le Conseil et les médecins que le 13 mai 1746.

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Rapport sur la Faculté de Médecine. Monsieur le Premier Syndic a dit que les Seigneurs de ce corps qui « ont été joints aux Seigneurs Commis sur la faculté de Médecine pour disposer les Spectables Médecins à re

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prendre leurs fonctions se sont assemblés avec le Doien, << les Jurés et quelques-uns des Spectables Docteurs. Que << tout s'y est passé convenablement, que lesdits Médecins

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ont promis de reprendre le Livre et de suivre à leurs

fonctions et qu'on leur a aussi promis que le Conseil useroit avec beaucoup de retenue du droit de dispense et que c'étoit l'intention du Conseil ? ».

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La question du médecin failli était résolue par le fait qu'il avait fait honneur à toutes ses dettes et avait été réhabilité deux mois auparavant. Quant au droit de dispense, peut-être les médecins cédèrent-ils parce que la mort ou un départ définitif les avait débarrassés de leur concurrent suburbain.

1 R. C., vol. CCXLIII, p. 306. 2 R. C., vol. CCXLVI, p. 169.

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