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le sentit et recommanda Malherbe à son grand écuyer, M. de Bellegarde, qui lui donna mille livres d'appointements, et « l'entretint d'un homme et d'un cheval. » Cette générosité qui n'a surpris personne, m'avait paru assez singulière jusqu'au moment où j'ai lu dans Huet que M. de Bellegarde avait donné à Malherbe une place d'écuyer du Roi : s'il en est ainsi, il me semble très-naturel de supposer que les avantages que nous venons d'énumérer, ou du moins une partie, étaient attachés à cette place'. Ce n'est pas tout. Malherbe devint, probablement à la même époque, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roi, et les gages qu'il recevait en cette qualité, si, ce que tout porte à croire, ils étaient alors ce qu'ils furent cinquante ans plus tard, se montaient à deux mille livres3.

La mort de son père, arrivée avant le mois de juillet 1606, vint encore augmenter son revenu*; mais cela ne l'empêcha pas, tant que vécut Henri IV, de solliciter, soit sur le trésor royal, soit sur un évêché ou une abbaye, une pension, que de son côté le Béarnais ne se lassa pas de lui promettre ; et en attendant

1. L'Estat de la France dans sa perfection (1658) donne aux vingt ecuyers que le grand écuyer avait sous ses ordres sept cents livres de gages (p. 205). Je lis en outre, dans l'État de la France (1749, tome II, p. 201), au chapitre des Écuyers ordinaires de la Grande Écurie, qui, au dernier siècle, étaient au nombre de trois : « De ces écuyers, il y en a qui ont chacun cinq cents livres de gages, mille livres de livrées ou dépenses de deux chevaux, quatre cents livres pour états et appointements, sept cent vingt livres pour la nourriture de deux chevaux, cent quatre-vingt-deux livres dix sols chacun pour leur nourriture, qu'ils reçoivent par les mains de l'argentier. »

2. Suivant Huet, ce fut aussi M. de Bellegarde qui lui fit avoir cette charge.

3. Voyez l'Estat de la France dans sa perfection, p. 195.

4. M. de Gournay a découvert dans l'étude d'un notaire, à Caen, l'acte de partage de la succession paternelle entre Éléazar de Malherbe et son frère aîné. Le poëte eut pour sa part soixante-dix acres de terres, situés en la commune de Missy, la maison que son père habitait à Caen, quelques rentes en argent, blé et orge, et des faisances de peu d'importance. Sur ces biens, il devait payer une part du douaire de sa mère et diverses rentes montant à cent soixante-trois livres dix sols. (Mémoires de l'Académie de Caen, p. 263.) Dans l'Instruction, Malherbe évaluait, en 1605, le revenu de son père à six ou sept cents écus de rente.

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5. Voyez les lettres de Malherbe à Peiresc, en date du 18 juillet 1607, du 6 mars 1608, etc.

on sut tirer de lui tout le parti possible. « Lundi au soir, écrivait-il à Peiresc en date de février 1606, Monsieur le Grand (Bellegarde) me commanda de faire des vers pour les dames. Je fis ce que je pus pour m'en excuser, mais il n'y eut ordre. Vous pouvez juger si un homme qui a mauvaises jambes, comme j'ai, peut faire beaucoup de chemin en si peu de temps. J'en fis pourtant, car il fallut obéir; mais ce furent des vers de nécessité. Ils ne laissent pas d'être loués; le mal est que je ne les loue pas et que je ne veux pas qu'on les voie 1. »

A ces vers succédèrent des odes et des sonnets pour le Roi et pour M. de Bellegarde, des vers de ballets, et enfin les cinq pièces où il chante les amours de Henri pour la princesse de Condé.

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Des vers de commande ou « de nécessité, » des vers inspirés par le désir d'obtenir ou de payer un bienfait, une grâce, voilà ce qui forme la plus grande et la plus importante partie de son œuvre, depuis le moment où il se fixa à la cour; et chose singulière, parmi ces vers se trouvent précisément les plus beaux qui soient sortis de sa plume. Si jamais homme eut le tempérament d'un poëte officiel, c'est bien Malherbe. Son génie s'est nourri et s'est vivifié de ce qui en aurait tué d'autres plus poëtes que lui, et il est à cet égard un phénomène à peu près unique dans notre histoire littéraire. Ses vers d'amour pour la vicomtesse d'Auchy (Caliste) sont en nombre et en mérite au-dessous de ceux qu'au nom d'Alcandre il écrivit pour Oranthe, et il était si habitué à parler pour les

«

1. Il s'agit des stances Aux Dames, pour les demi-Dieux marins: voyez pièce xx, p. 84. Balzac écrivait à Conrart le 30 avril 1650: Vous savez ce que disoit le père Malherbe des sonnets et des stances de commande. En effet, Monsieur, l'humeur est une chose bien libre, et qui a bien de la peine à suivre et à obéir. Il y a des gens qui vont moins volontiers à l'église le dimanche que les jours ouvriers.» (Balzac, OEuvres, tome II, p. 879.)

2. Rectifions en passant le texte d'une phrase qu'on lui a reprochée bien souvent. On lui fait dire dans une lettre à Peiresc (octobre 1606): « Vous verrez bientôt près de quatre cents vers que j'ai faits sur (lisez pour) le Roi. Je suis fort enthousiasme, parce qu'il m'a dit que je l'aime et qu'il me fera du bien. » Or, la lettre autographe porte: « Je suis fort embesogne, » ce qui offre un sens tout à fait différent.

autres, qu'on citait comme des exceptions les pièces qu'il composa pour lui-même'. Ronsard dont il faisait si peu de cas, d'Aubigné qui semble n'avoir pas existé pour lui, ne se seraient jamais effacés à ce point; mais s'il leur est inférieur pour l'originalité, le sentiment et la passion, il leur est infiniment supérieur par ce qui fait vivre l'écrivain: par le bon sens, le goût, la justesse et le choix de l'expression. Ce sont là les premières et nécessaires qualités d'un maître et d'un législateur de la langue, tel qu'il le fut et tel que, dans le mème siècle, devait l'être un jour Boileau; et celles-là il les eut à un haut degré.

Sa prose de commande ou de nécessité » est aussi excellente que ses vers, et il faudra désormais lui assigner comme prosateur une place qu'on n'avait point encore songé à lui donner. L'épître de consolation qu'en 1614 il adressa à sa protectrice la princesse de Conti, au sujet de la mort du chevalier de Guise, ne brille point, je le sais, par le naturel ni par la simplicité; mais au point de vue de la langue, sous le rapport de la noblesse et de la correction du style, c'est peut-être le morceau le plus achevé qui eût paru à cette époque; et son auteur mérite plus que Balzac, dont les premiers écrits ne furent publiés qu'en 1624, d'être appelé le créateur de la prose française. Sa traduction de Tite Live', pour laquelle il avait une si haute estime3, vient encore à l'appui de cette opinion, que ne démentiront certainement pas ses traductions de Sénèque. Je n'en dirai point autant des lettres familières, à l'égard desquelles il avait un tout autre système. « Je suis bien aise, écrivait-il à son cousin M. de Bouillon, que mes lettres vous soient agréables. Vous en pensez selon mon goût quand vous dites qu'en les lisant vous pensez m'ouïr deviser au coin de mon feu. C'est là, ou je me trompe, le style dont il faut écrire

1. Voyez la notice de la pièce LI, p. 174. 2. Voyez plus loin, p. 389 et suivantes.

3. Quelques-uns de ses amis le prièrent un jour de faire une grammaire de notre langue. Il avoit si bonne opinion de ses ouvrages qu'il leur répondit que sans qu'il prit cette peine, on n'avoit qu'à lire sa traduction du XXXIIIe livre de Tite Live, et que c'étoit de cette sorte qu'il falloit écrire. » (La Bibliothèque françoise de M. C. Sorel, Paris, 1664, p. 234.)

les lettres. » Il ne se trompait pas : voyez plutôt ce que le genre épistolaire est devenu sous la plume de Mme de Sévigné, de Voltaire et de tant d'autres; seulement pour y réussir il aurait fallu à cet esprit net et vigoureux, mais peu brillant et nullement prime-sautier, une vivacité et une souplesse qui lui manquaient complétement.

Marie de Médicis, devenue régente, ne garda point rancune au poëte de ses vers pour Oranthe, et se chargea d'acquitter les promesses de son époux. Six semaines à peine s'étaient écou lées depuis l'attentat de Ravaillac, que Malherbe pouvait écrire à Peiresc « Mme la princesse de Conti gouverne la Reine plus que jamais. Elle me fit hier accorder un méchant don.... Je n'ai autre peur que de ma mauvaise fortune, qui pourroit bien à l'accoutumée me frustrer de cette espérance'. » Deux jours après, il lui reparlait de ce qu'il continuait d'appeler une méchante affaire, bien qu'on lui eût dit, ajoutait-il, qu'elle valait dix mille écus. Enfin au mois de décembre il lui annonça qu'il était inscrit au nombre des « nouveaux pensionnaires, » et ne lui cacha pas les alarmes que lui causaient les dispositions hostiles de Sully. « Il est vrai, ajoutait-il, que la Reine en me promettant ma pension, a usé de ce mot d'absolument. Nous

1. Lettre du 26 juin 1610.

a

2. Elle ne fut terminée qu'en 1618, et M. Roux-Alpheran l'a parfaitement résumée, d'après les pièces originales conservées aux archives d'Aix (voyez Recherches, p. 30-32). Voici ce dont il s'agissait. Au mois de juin 1615, Malherbe présenta au Roi un placet pour obtenir en pur don un terrain situé sur le port de Toulon, et où il se proposait de faire bâtir des maisons. Après une expertise faite par les trésoriers généraux de France à Aix, ceux-ci, malgré l'opposition des consuls de Toulon, reconnurent l'utilité du projet, et Louis XIII, par un brevet, daté du 30 juin 1617, et où il déclare « vouloir gratifier le sieur de Malherbe, en considération de ses mérites et des bons et recommandables services qu'il a rendus et rend journellement à Sa Majesté, » lui fit don du terrain demandé. Ce terrain était situé dans l'enclos de la darsine de Toulon, et on devait y bâtir vingt-deux maisons, à la charge, les constructions terminées, d'une rente annuelle de deux écus par maison, et des droits seigneuriaux, en cas d'aliénation, au profit de Sa Majesté. Le brevet fut suivi de lettres patentes enregistrées au parlement d'Aix, au mois d'avril 1618. Cette compagnie, où il comptait beaucoup d'amis, le tint quitte des épices dues à raison de l'enregistrement.

saurons dans dix ou douze jours ce qui en sera1. » Les jours, les semaines et les mois se passèrent, et ce fut seulement vers la fin d'avril 1611 que l'affaire fut réglée. Cette pension, qui était de quatre cents écus, fut portée à cinq cents en juin 1612. » C'était le prix de devises faites pour la Reine par le poëte, qui se promettait de mériter, l'année suivante, une nouvelle gratification par quelque nouvel ouvrage. »

Il n'y manqua pas; car à peine en 1614 eut-il fait contre les princes révoltés une paraphrase du psaume cxxvI3, qu'il demanda à être compris « dans la capitulation. » La Reine le lui promit, et probablement tint parole. En 1615, c'est le frère de Peiresc, M. de Valavez, qu'il met en avant, et inutilement cette fois, pour obtenir une pension sur un évêché *. »

Malherbe, du reste, au lieu d'ètre un grand poëte, n'aurait été qu'un simple courtisan qu'il aurait mérité ces faveurs par son assiduité près de la Reine et le dévouement qu'il lui témoigna, tant qu'elle garda le pouvoir. Malgré l'ennui que lui

1. Lettre à Peiresc, du 23 décembre 1610.

2.

« Encore que je n'aie aucun digne sujet de vous écrire, si je n'ai voulu perdre la commodité de ce laquais pour vous dire que la Reine se laissa persuader devant hier au soir à M. de Malherbe de lui augmenter sa pension de cent écus, de sorte qu'il a cinq cens écus par an. (Lettre citée plus haut de M. de Valavez à son frère Peiresc, en date du 13 juin 1612.) Malherbe, de son côté, dans une lettre à Peiresc, raconte ainsi le fait : « J'ai fait voir à la Reine les devises que j'ai faites pour elle. Elle les a trouvées fort à son goût, ce que je crois, pource qu'elle l'a dit, mais encore plus parce qu'elle m'a augmenté ma pension de cent écus. Si je me fusse préparé à lui faire cette requête, je la trouvai si bien disposée que je crois qu'elle eût passé plus avant: ce sera, Dieu aidant, pour l'année prochaine; cependant je tàcherai de mériter cette gratification par quelque nouvel ouvrage. Cette lettre, qui n'est pas datée dans l'édition de Blaise, y est classée à tort parmi celles de 1613 (p. 269); car elle est adressée à Peiresc à Paris; or le savant conseiller n'avait séjourné dans cette ville qu'en 1612, et dès le mois de novembre de cette année était retourné en Provence, d'où il ne revint qu'en 1616. M. de Gournay, qui s'appuie sur cette pièce, s'est donc trompé en disant (p. 268) que la pension de Malherbe, qui était d'abord de quinze cents livres, fut en 1613 portée à dix-huit cents.

3. Voyez plus loin, pièce LXIII, p. 207.

4. Voyez les lettres à Peiresc, des 6 octobre, 15 et 28 novembre

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