Obrazy na stronie
PDF
ePub

par

noit singuliérement des beaux traits qui l'avoient une fois frappé. Son ame alors se remplisso it d'une espece d'enthousiasme, qui, pendant plusieurs jours, s'emparoit de son esprit au point de lui ôter la liberté de s'occuper de tout autre objet : il y rêvoit sans cesse, il en parloit de même. C'est ainsi, rapporte-t-on, que s'étant un jour laissé conduire à Ténèbres par Racine, et que s'ennuyant de la longueur de l'office, il se mit à lire dans un volume de la Bible qui contenoit les petits prophêtes. Il étoit tombé hasard sur la priere des Juifs dans Baruch, lorsque se retournant tout-à-coup vers Racine : qui étoit cc Baruch? lui dit-il, savez-vous que c'est un beau génie? Pendant plusieurs jours il fut continuellement occupé de Baruch, et ne se lassoit point de demander à tous ceux qu'il rencontroit: dvez-vous lu Baruch? C'étoit un grand génie. Ce trait, qui dans tout autre indiqueroit une sotte surprise, caractérise la préoccupation naturelle dont l'esprit de La Fontaine étoit susceptible, et la forte impression qu'il recevoit des objets sur lesquels il avoit une fois fixé son esprit.

Mais ce qu'il y a de surprenant, c'est que ce même homme, si négligent dans ses affaires et dans ses déhors, si incapable de tous soins de fortune, de toutes vues politiques, étoit d'un conseil excellent et sûr pour tous ceux qui,

dans quelque situation difficile, venoient lui confier leurs peines. Insensible pour tout ce qui le regardoit, il s'attendrissoit à la vue des malheureux; il adoptoit, pour ainsi dire, l'état et l'embarras de ceux qui étoient dans l'infortune, ou dans l'incertitude inquiete de la conduite qu'ils devoient tenir en certains cas, qui pouvoient décider de leur sort : il trouvoit des expédiens heureux, et leur donnoit les meilleurs conseils. C'étoient les seules occasions où l'on peut dire qu'il sortoit de lui même.

Toujours plongé dans quelque méditation, où il étoit comme absorbé, on le voyoit dans une distraction prodigieuse, ne sachant souvent ni ce qu'on disoit dans une conversation, ni ce qu'il y disoit lui-même ; à moins qu'il ne se trouvât familiérement à table avec des personnes de sa connoissance, et qu'on y traitât quelque sujet agréable et de son goût. Alors sa contenance et les traits de sa physionomie qui, dans toute autre occasion, n'annoncoient rien moins qu'un homme d'esprit, se paroient des graces de son génie; ses yeux s'animoient, parloient le langage de ses idées ; il disoit tout ce qu'il vouloit, et le disoit si bien qu'il enchantóit les oreilles les plus délicates. C'est à ces instans agréables, dont il ne s'est jamais apperçu lui-même, qu'il devoit l'empressement qu'ont en les personnes

les plus distinguées de la cour et de la ville, de jouir de sa conversation et de l'admettre à leur table. Mais l'on doit bien s'apercevoir par ce que j'ai déja tracé de son caractere, qu'il ne donnoit pas indifféremment par-tout la même, satisfaction ni le même plaisir. Témoin l'aven-. ture rapportée par Vigneul- Marville. (1)

وو

Trois de complot, dit-il, par le moyen d'un quatrieme qui avoit quelque habitude auprès de cet homme rare, nous l'attirâmes dans un " petit coin de la ville, à une maison consacrée ,, aux Muses, où nous lui donnâmes un repas, ,, pour avoir le plaisir de jouir de son agréable

وو

[ocr errors]

20

כל

entretien. Il ne se fit point prier; il vint à » point nommé sur le midi. La compagnie étoit ,, bönne, la table propre et délicate, et le buffet bien garni. Point de complimens d'entrée, point de façons, nulle grimace, nulle contrainte. La Fontaine garda un profond silence; on ne s'en étonna point, parce qu'il » avoit autre chose à faire qu'à parler. Il man"gea comme quatre, et bût de même. Le repas » fini, on commença à souhaiter qu'il parlât; mais il s'endormit. Après trois quart-d'heures de sommeil il revint à lui. Il vouloit s'excu» ser sur ce qu'il avoit fatigué. On lui dit que

[ocr errors]

دو

35

وو

2

(1) Dans ses Mélanges de Littérature, T. 2. p. 354.

[ocr errors]

,, cela ne demandoit point d'excuse, que tout ,, ce qu'il faisoit étoit bien fait. On s'approcha

[ocr errors]

رو

de lui, on voulut le mettre en humeur et » l'obliger à laisser voir son esprit; mais son esprit ne parut point, il étoit allé je ne sais » où, et peut-être alors animoit-il, ou une grenouille dans les marais, ou une cigale dans les prés, ou un renard dans sa taniere; car durant tout le temps que La Fontaine demeu» ra avec nous, il ne nous sembla être qu'une machine sans ame. On le jetta dans un car» rosse, où nous lui dîmes adieu pour toujours. gens ne furent plus surpris, et nous

[ocr errors]

دو

[ocr errors]

دو

دو

Jamais
nous disions les uns aux autres: comment se

» peut-il faire qu'un homme qui a sû rendre » spirituelles les plus grossieres bêtes du mon» de, et les faire parler le plus joli langage

[ocr errors]

qu'on ait jamais oui, ait une conversation si » séche et ne puisse pas pour un quart d'heure faire venir son esprit sur ses levres, et nous avertir qu'il est là ".

دو

Une autre fois, étant invité à dîner dans un de ces endroits où le maître de la maison présente un homme d'esprit aux convives, comme un des mêts de sa table; il mangea beaucoup, et ne dit mot. Comme il se retiroit de table de fort bonne heure, sous prétexte de se rendre à l'Académie, on lui représenta qu'il avoit très

peu de chemin à faire ; je prendrai le plus long, répondit La Fontaine, et le voilà parti. (1)

Il s'avisoit rarement d'entamer la conversation ; et comme il étoit presque toujours préoccupé, il y plaçoit souvent des idées, ou des reflexions bizarres et singulieres, auxquelles on ne s'attendoit gueres. Il étoit un jour chez M. Despreaux avec plusieurs personnes d'une érudition distinguée'; Racine, entr'autres, et Boileau le docteur. On y parloit depuis longtemps de S. Augustin et de ses ouvrages; mais La Fontaine tranquille et silencieux n'avoit point encore pris part à cette conversation, lorsque s'éveillant tout à coup au nom de S. Augustin, croyez-vous, s'écria-t-il, en s'adressant à l'abbé Boileau, que S. Augustin cût plus d'esprit que Rabelais? Lerdocteur interdit de la question, et le parcourant des yeux avec surprise : prenez-garde, répondit-il, monsieur de La Fontaine, vous avez ur de vos bas à l'envers; ce qui étoit vrai.

[ocr errors]
[ocr errors]

Le bruit ni les discours ne pouvoient troubler la léthargie apparente de ses méditations. Il

(1) C'étoit chez M. Laugeois d'Imbercourt, Fermier général, où M. Freron prétend qu'il fit si bonne chere qvec si peu de dépense d'esprit. M. Racine le fils, dans les mé moires qu'il a donnés fur la vie de son pere, dit que c'étoit chez M. le Verrier. Voyez le Tome premier de cè Livre, page 257.

L

« PoprzedniaDalej »